Les mères pas vraiment à la fête… le beau rôle à la maison, ce sont désormais les pères qui l’ont <!-- --> | Atlantico.fr
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70% des mères ont le sentiment de jouer le rôle du "mauvais flic" à la maison.
70% des mères ont le sentiment de jouer le rôle du "mauvais flic" à la maison.
©DR

Autorité douce

Les mères ont bien besoin d'une fête, car le père, autrefois figure de rigueur et d'autorité, passerait presque aujourd'hui pour le meilleur ami des enfants. Celui-ci est le plus souvent associé aux jeux, détentes et amusements, tandis que la mère endosse le mauvais rôle.

François  de Singly

François de Singly

Professeur de sociologie à l’université Paris Descartes, François de Singly dirige le Centre de recherches sur les liens sociaux du CNRS. Il a notamment publié Séparée. Vivre l’expérience de la rupture (A. Colin, 2011) et vient de publier En famille à Paris (A. Colin, 2012). 

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Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : En France, jusqu'en 1970 la loi consacrait l'autorité paternelle plutôt que parentale. Malgré le changement, au sein du foyer la figure du père est longtemps restée synonyme d'autorité. Pourtant, selon un article relayé par le Daily Mail (lire ici),  70% des mères ont le sentiment de jouer le rôle du "mauvais flic" à la maison. Comment expliquer cette évolution ? Comment la figure du père a-t-elle évolué au point que ces derniers finissent par endosser le "beau rôle" ? 

Gérard Neyrand : Ce sont là les conséquences d'une évolution assez complexe. C'est entre 1968 et 1975 que basculent les normes de fonctionnement de la sphère privée, et donc les rapports homme-femmes et familiaux. Ce n'est pas une mutation qui intervient au hasard : à la fin des années 60, on assiste à une cristalisation de diverses évolutions à différents niveaux. Tant culturelle, avec la promotion de la figure individuelle, qu'en termes d'éducation avec les lois Jules Ferry et la massification de l'enseignement qui s'est mise en place aux XIXe et XXe siècles. La génération de 68 commence à accéder massivement aux études supérieures et peut porter une contestation des anciens modèles. Le tout est accompagné d'une transformation économique – la société devient libérale – et de larges progrès médicaux qui permettent, en 1967, la loi de Neuwirth. Dès lors, les moyens de contraception se diffusent et il devient possible aux femmes de maîtriser leur sexualité. Ce qui aura, bien évidemment, des conséquences extrêment importantes et va contribuer au mouvement d'émancipation des femmes, dès 1970. C'est là que l'on trouve les raisons de la remise en cause de la structure traditionnelle du couple, fondé autour du mariage d'institution.

Lire également : Petit message à l’attention des papas acheteurs de cadeaux... c’est prouvé, les loupés de fête des mères poussent les femmes à l’adultère

Aujourd'hui, on assiste à une désinstutionalisation du couple, laquelle renvoie à ces valeurs d'égalité et de liberté tant vis-à-vis des individus que des sexes. C'est cela qui a permis l'investissement des femmes dans le monde professionnel, et des hommes dans celui de la sphère privée. C'est véritablement à partir de là que ce phénomène des "nouveaux pères" s'installe et que les médias mettent en valeurs ces pères qui s'occupent de leurs enfants.  Car, jusqu'à présent, la structure se construisait sur une opposition entre deux fonctions. D'une part celle, maternelle, de soin et de présence auprès de l'enfant, et d'autre part celle, paternelle, d'apporter de quoi vivre et d'exercer l'autorité. L'émancipation féminine a permis de changer de modèle, et effectivement, en 70, la loi remplace, très symboliquement, le principe de puissance paternelle par celui d'autorité parentale. L'autorité est alors exercée conjointement, ce qui destitue bien évidemment le père de son autorité unique. Il n'est plus cette figure qu'il était auparavant, d'autant plus que le plus souvent, c'est la mère qui demeure auprès de l'enfant. Se développe un nouveau modèle de famille, que l'on décrit souvent comme "démocratie familiale".

François de Singly : Les mères se plaignent de faire la police des familles tandis que le père gendarme s’amuse et amuse la galerie de ses enfants. C’est à la fois vrai et faux. Vrai dans la mesure où les mères s’occupent plus de la vie quotidienne que les pères. Or c’est dans tous ces moments-là que se jouent les rappels à l’ordre, l’heure du coucher, des devoirs, du rangement. C’est pour cela que la distinction entre les actes usuels et les actes importants, utilisée dans la gestion éducative après la séparation est en partie erronée. Dans l’éducation, tout est important, aussi bien les petites que les grandes décisions. C’est pour cela que les beaux-parents, les personnes qui sont là au quotidien, sont de fait des éducateurs importants. Faux, dans la mesure où les hommes se réservent de discuter des grandes décisions, avec leur compagne, pour l’éducation mais aussi pour tout autre domaine.

De manière générale, comment se répartissent les rôles entre les pères et les mères ? 

Gérard Neyrand : Un nouveau modèle de famille n'efface pas pour autant les modèles antérieurs.  Si on connait aujourd'hui un modèle "démocratique", les modèles précédents – fussent-ils républicains ou catholiques – étaient autrement plus asymétriques. Des modèles traditionnels où les rôles de chaque sexe sont bien différenciés. Et chaque famille compose naturellement avec des éléments issus de chaque modèle pour pouvoir constituer son prore mode de fonctionnement familial. Ce qui implique, nécessairement, un processus de diversification des modes de fonctionnement des familles. Cela se constate dans le fonctionnement de la famille, mais aussi dans la situation familliale : il y a de plus en plus de familles monoparentales ou recomposées. 

C'est pourquoi il est désormais impossible de prétendre donner un modèle général au sein duquel on pourrait dire qui fait quoi et qui punit comment, à quel moment. C'est, globalement, égalitaire mais cela varie énormément selon les familles. Il est par ailleurs commun que certaines personnes vivent au sein de plusieurs milieux tout au long de leur évolution, parce qu'elles rencontrent différents individus, ou tout simplement en raison de cette évolution que nous évoquions.

François de Singly : Cette division du travail et du pouvoir de décision recoupe la division générale du travail entre les conjoints. Les femmes feraient mieux d’être exigeantes pour tout par rapport à leurs maris ou leurs conjoints, elles seraient ainsi déchargées en même temps de leur rôle disciplinaire.

Faut-il y voir un refus de la part des pères à jouer leur rôle ? 

Gérard Neyrand :  Dans une certaine mesure et d'une certaine manière, oui. Il est clair que les pères d'aujourd'hui ne refusent pas d'avoir une position d'autorité en tant que telle, mais bien au contraire de n'être caractérisés que par celle-ci. Ils revendiquent aussi les positions de proximité avec leurs bébés et enfants. Ce qui amène à une reconfiguration des spécialisations. Ce n'est pas un refus d'incarner l'autorité, c'est le refus de n'incarner que l'autorité, et en un sens c'est en laisser une partie aux mères, conformément à l'évolution démocratique du modèle famillial.

Auparavant la mère était représentée comme une figure protectrice et douce. Quel rôle l'émancipation des femmes a-t-il pu jouer dans cette évolution ?

Gérard Neyrand : Cela est lié, comme je le disais, à l'émancipation des femmes et au fait qu'elles ont disposé des mêmes accès à la formation et aux études que les hommes. Dans toutes les sociétés, on constate que l'émancipation des femmes est intrinsèquement liée à leur niveau de scolarité, et une société qui en viendrait à résister à cette émancipation refuse que les filles puissent accéder à des niveaux de scolarisation supérieurs. On connait de nombreux exemples.

L'émancipation implique une demande de travail professionnel. On passe d'un modèle, traditionnel, de la femme au foyer, à un modèle de couple à double carrière. Avec les conséquences déjà discutées : les femmes investissent le domaine professionnel, et les pères passent plus de temps dans la sphère privée. Mais l'émancipation s'est aussi faite au travers de progrès de la médecine qui ont permis de différiencier sexualité et reproduction. Les mœurs comme les représentations ont évolué vers cette volonté d'émancipation tandis que les conditions pratiques se mettaient en place pour que celle-ci puisse être vécue concrètement par les femmes. Ce qui pousse les couples à avoir des enfants bien plus tard, aux alentours de 30 ans plutôt que dans les environs des 20, comme il y a quelques dizaines d'années.

François de Singly : On peut noter que l’humeur sociale n’est pas à l’autorité pour que les femmes se plaignent d’en avoir "trop", et qu’elles envient leur compagnon d’être cool ! Si avoir de l’autorité était si attractif (c’est ainsi que la loi en France définit le parent, presque exclusivement par l’autorité), les femmes seraient ravies d’avoir ce privilège. Il faut entendre derrière ces plaintes deux choses :

  • Le fait que la relation avec l’enfant doit être aujourd’hui avec un peu d’autorité, mais beaucoup de négociation, de doigté, d’attention, de souplesse, et que faire des rappels à l’ordre (comme le président à l’Assemblée nationale !) n’est pas si enviable.

  • Le fait que l’autorité quotidienne est inséparable de la présence à la maison, du soin à l’enfant, de la surveillance des devoirs, de la préoccupation de sa santé. Pour rendre plus équilibrée la situation de pouvoir entre les conjoints, une seule solution : plus d’égalité entre le père et la mère pour tout le travail domestique, y compris le travail éducatif. C’est l’inégalité du travail à l’intérieur de la famille qui crée les conditions, paradoxales, de l’inégalité du partage de l’autorité.

Pour l’écrire autrement, les femmes ont gagné pendant ces décennies un peu de pouvoir à la maison, au lieu de gagner l’égalité réelle du partage du travail ménager et éducatif. En fait dans le contexte actuel, l’autorité au sein de la famille est devenue une des dimensions du travail domestique !

Quelles conséquences cette division du "travail parental" peut-elle avoir sur les relations que les enfants entretiennent avec chacun des parents ?

Gérard Neyrand : La division du travail parental est fréquente, mais pas systématique. Là encore, elle dépend beaucoup des familles, et on assiste à une perduration des anciens modèles, transmis lors de la petite enfance. Or, la logique de plus en plus égalitaire, caractéristique du modèle contemporain, entre en contradiction avec les modèles antérieurs. Ce qui induit des tensions entre ces différentes logiques, pas uniquement familiale : les femmes ont toujours du mal à investir les sphères professionnelles et politiques, tandis que les hommes font toujours face à une très forte présence de la femme dans le domaine du privé. Cette position de la femme est en vérité très ambigüe : d'un côté il y a une vrai demande d'égalité avec l'homme, et parallèlement, il y aussi la volonté de ne pas perdre de ce caractère spécialisé, et somme toute assez unique, avec l'enfant. Ce sont toujours les femmes qui s'occupent majoritairement de la relation à ce dernier, ce qui inclut forcément les dimensions de contrôle et les tâches ingrates qu'elles jugent négativement et inégalement réparties. Pour autant, ça n'est pas seulement une mauvaise volonté de la part de la figure du père, c'est une logique sociale antérieure qui a été intériorisée, et qui entre en contradiction avec les nouvelles logiques. Ces logiques se diffusent et se mettent en place de diverses façons selon les milieux sociaux. Globalement, elles ont été portées par les couches moyennes, et sont donc naturellement plus présentes dans les milieux populaires. Pour ce qui est des strates plus élevées de la population, la démocratisation n'est pas nécessairement faite, et le modèle asymétrique continue de fonctionner. Cependant, il est important de garder en tête le fait que l'étude a été réalisée aux Etats-Unis, ou l'opposition des rôles des genres est plus prononcée qu'en France. La tendance existe bel et bien, mais elle n'est pas aussi tranchée que chez eux.

Dans quelle mesure la notion d'équipe parentale est-elle indispensable dans l'éducation d'un enfant ? Comment procèdent les familles monoparentales ?

Gérard Neyrand : Elle n'est, à mon sens, pas indispensable. Je crois qu'il est possible de fonctionner autrement ; et finalement il n'est pas dur de constater que d'autres modèles sont possibles. Il suffit de se retourner sur l'histoire et donc de réaliser qu'on a, et pendant très longtemps, fonctionné autrement. Jadis, "maman"  s'occupait essentiellement des devoirs et des autres tâches associées, tandis que "papa"  n'était appelé à l'aide que lorsqu'il fallait faire preuve d'autorité et imposer des sanctions. Concrètement, la mère s'occupait des enfants au quotidien, seule, et le père n'avait d'autre utilité que de nourrir l'ensemble de la famille, et de faire régner l'ordre. L'idée d'équipe a émergé avec la mutation des modèles, et a été portée par la loi de 1971 qui met sur le même plan homme et femmes. Egalement, elle est renforcée par les lois de 1987 et 1993 qui mettent en avant l'idée de co-parentalité en cas de divorce. D'autant plus qu'un modèle monoparental peut tout aussi bien fonctionner. Le processus, contemporain, d'égalisation des classes pousse à parler d'équipe parentale, pour autant ce sont des choses qui se distribuent très différemment selon les familles, et avec plus ou moins de succès. Mais il n'y a pas de recette miracle.

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