Les inégalités se sont réduites au sein de l’UE mais accrues dans la zone euro. Et c’est un problème majeur<!-- --> | Atlantico.fr
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Des billets en euros le 17 septembre 2018 à Francfort-sur-le-Main. La BCE a dévoilé de nouvelles versions des billets de 100 et 200 euros.
Des billets en euros le 17 septembre 2018 à Francfort-sur-le-Main. La BCE a dévoilé de nouvelles versions des billets de 100 et 200 euros.
©Arne Dedert / dpa / AFP

Monnaie unique

L’objectif de l’euro -et l’une des conditions de son fonctionnement optimal- était d’assurer la convergence des économies partageant la monnaie commune. Ne pas l’atteindre est un défi à la fois politique et économique.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : L'Euro était censé fonctionner en faisant converger les économies. Qu'en est-il actuellement ? La zone euro fait-elle face à une tendance particulière ? Pourquoi ?

Pierre Bentata : Cela dépend des pays que l'on regarde. Les pays historiques de l'Union européenne, ceux de l'Europe, oui, on a des divergences qui sont de plus en plus marquées, entre globalement les Etats du Nord et les Etats du Sud. Si, en revanche, on regarde d'une façon plus globale en incluant les pays plus récemment intégrés, notamment à l'Est, alors on observe une tendance qui est différente. Comme ces pays avaient des pouvoirs d'achat qui étaient plus faibles et dont les économies étaient moins développées, leur développement produit un effet de convergence. Mais cette convergence se fait en élargissant l'échantillon.

Cette tendance est-elle normale ? En intégrant plus de pays peu développés, il est logique qu'il y ait des convergences ; la divergence des pays historiques plus riches  de l'Union n'était pas attendue théoriquement. On nous avait promis avec l'euro un rapprochement des Etats. Cependant, cette divergence était elle-aussi prévisible, même si elle n'était pas souhaitée ni souhaitable. Aucune théorie ne nous dit qu'en mettant en place une monnaie commune et des politiques monétaires identiques pour des pays qui avaient déjà des trajectoires et des cycles de croissance qui n'étaient pas les mêmes cela pouvait amener à la convergence. Il faut prendre le raisonnement à l'envers. Si on pense aux théories des zones monétaires optimales, par exemple, celle de Mundell, même si elle ne fait pas consensus, elle nous dit que si on a des cycles et des trajectoires de croissance identiques dans une aire géographique alors il est plus efficace d'avoir une monnaie unique. Mais ce n'est pas que parce qu'on a une monnaie unique, qu'on obtient une trajectoire de croissance qui s'uniformise dans une région.

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Cette divergence n'est donc pas surprenante. Quand on regarde, en outre, la crise de 2008, puis la crise des dettes souveraines qui a suivi en 2010, et maintenant la crise actuelle, nous avions des pays qui étaient dans des situations très différentes, c'est assez logique que ces situations s'amplifient.

L'euro en tant que monnaie commune n'exige-t-elle pas une convergence des économies ? Ne faut-il pas craindre un retour des crises en Europe si la divergence se perpétue ? 

Pierre Bentata : C'est une possibilité en effet, mais il faut bien préciser pourquoi. Ce n'est pas le fait qu'on ait une monnaie commune qui est un problème. Ce qui pose un problème, c'est que la monnaie unique accentue un risque sur deux conditions économiques. La première condition est celle de l'endettement des Etats : face à un haut niveau d'endettement, les plus endettés peuvent se retrouver dans une situation difficile. Même s'il faut nuancer, car dans les situations de crise, la monnaie commune peut protéger les plus petits Etats - comme ce fut le cas pour la Grèce, en 2008, les marchés ne pouvant spéculer contre sa monnaie. Le cœur du problème se pose sur la capacité d'endettement qui devient dépendante de la monnaie commune. Ce risque se superpose bien-sûr aussi au niveau des pouvoirs d'achat, des exportations, et des effets sur le tourisme. Mais cela dans la mesure où les Etats sont déjà très exposés avec de hauts niveaux d'endettement. La deuxième condition qui peut amener à des problèmes se pose par rapport aux politiques publiques. Quand il faut intervenir dans l'économie de manière différenciée, la monnaie unique ne bénéficie pas également à ces actes politiques. Si on avait des Etats qui ne voulaient pas mener de politiques de relance ou qui n'étaient pas très interventionnistes, le problème ne se poserait probablement pas. Le problème de la monnaie unique se pose au regard des logiques de stop-and-go passant de l'austérité à la relance keynésienne, en ayant des effets différenciés sur chaque pays. La politique favorable aux Etats du Nord n'est en effet pas du tout la même que celle qui serait efficace pour les Etats du Sud dans le cadre d'une ambition de relance. Ici on a une situation de blocage politique qui ensuite crée des tensions sur les marchés financiers et obligatoires, parce qu'ils perçoivent cette situation figée ou paralysée, ils sont inquiets et n'investissent pas.

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Le problème ne se pose pas si on a un projet clair pour une monnaie unique mais alors il faut s'empêcher dans les politiques budgétaires à niveau national. A partir du moment où on veut une politique budgétaire nationale et qu'en même temps, on a une monnaie internationale, là cela pose nécessairement un problème. On ne peut pas avoir nationalement des politiques keynésiennes et avoir une monnaie qui est la même pour des politiques très différentes. Il n'y a donc que trois possibilités. On peut avoir une politique budgétaire keynésienne commune, ce qui revient à une fédéralisation totale ; avec des effets de relance qui soient ciblés. On peut avoir une politique budgétaire keynésienne nationale mais alors il faut revenir à des monnaies nationales, de manière à ce que les pays puissent dévaluer ou avoir des politiques d'intérêts faibles s'ils en ont besoin. On peut enfin encore suivre une troisième situation avec une politique monétariste européenne avec des politiques budgétaires monétaristes ; c'est-à-dire qui s'abstiennent d'intervenir le plus possible et qui maintiennent simplement le cadre de la concurrence.

Si l'on compare avec les Etats-Unis, la politique monétaire américaine et la banque centrale américaine sont orientées vers une logique keynésienne dans ses statuts. La banque centrale a été créée dans ses statut sur le modèle du monétarisme : elle est là pour contrôler l'inflation, maintenir une monnaie forte et prévenir l'inflation importée. Cette logique monétariste de la banque centrale nous met dans une contradiction constante : soit les pays qui sont très interventionnistes y perdent ; soit il y a une remise en cause du monétarisme et dans ce cas-là, ce sont les pays du Nord qui y perdent, à moins d'un saut fédéraliste.

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Dans les périodes de croissance, cela ne pose pas trop de problèmes ; mais dès qu'il y a une crise, l'Europe se retrouve avec des instruments qui ne fonctionnent pas correctement pour y faire face.

Que peut nous apprendre la comparaison entre la zone monétaire de l’Union européenne et celle des Etats-Unis ?

Pierre Bentata : La zone américaine est plus homogène au niveau des inégalités certes, mais cet indicateur est assez partiel. Les inégalités ne sont pas un problème en soi pour une économie en pleine croissance ; tant que tout le monde s'enrichit, c'est cela le plus important. En revanche, ce que nous montre la situation américaine ; c'est que les inégalités y sont moins entre Etats fédérés qu'à l'intérieur de la population. Et cela révèle ensuite, que l'économie américaine est intégrée, qu'elle est nationale, même si son territoire est très grand et qu'il y a des différences culturelles. Les facteurs de production, les travailleurs et les capitaux, circulent entre Etats, et produisent un marché global. Dans l'Union européenne, la mobilité est beaucoup plus faible. La stabilité dans le niveau d'inégalités dans l'Union européenne montre que quand vous êtes Français, vous n'allez pas travailler en Bulgarie si vous avez une opportunité, quand vous êtes Grecs, vous n'allez pas aux Pays-Bas. Tant que cela sera le cas, vous aurez certes un marché commun mais pas une économie commune mais bien des économies nationales et différentes. Les capitaux et les biens circulent, mais comme des pays qui échangent, pas comme des échanges dans un même pays.

Quels défis économiques et politiques pose cette divergence ?

Pierre Bentata : Comme à tout moment de crise, ce qui est visible, c'est que nous sommes dans une situation qui n'est pas stable : il y a un entre-deux qui ne peut pas fonctionner. La première option est de passer le pas et aller vers un fédéralisme, étant entendu qu'on peut avoir un fédéralisme à l'Américaine, avec une autonomie des Etats qui pourraient même être plus grande que ce qu'ont nos Etats aujourd'hui. La seconde option est de retourner à un échelon national. On ne peut pas rester dans la situation où une partie de la politique économique est nationale et l'autre partie qui est non seulement européenne, mais qui ne dépend même pas de personnes élues et qui donc ont un intérêt qui n'est pas du tout le même dans la structure démocratique et son agenda. Il n'y a pas du tout la même situation pour les décideurs élus dans leurs pays et qui contrôlent à peu près leurs budgets et certaines politiques publiques, et la banque centrale qui a un objectif fixé, qui ne peut pas changer démocratiquement sur une seule élection, mais qui requiert un accord européen. Le défi c'est de savoir ce qu'est cette Europe et ce qu'elle veut ; en revanche ce qu'on sait, c'est qu'on ne peut pas avoir une Europe économique sans une réflexion politique d'ampleur derrière. On peut très bien revenir à une zone de libre-échange sans l'intégration par la monnaie. L'Union européenne a été conçue comme une sorte de laboratoire de l'intégration économique la plus poussée au monde. L'expérience nous montre que ce n'est pas suffisant sans la dimension politique : soit il faut reculer dans l'intégration économique, soit avancer dans l'intégration politique. Autrement, il n'est pas possible de résoudre les problèmes. Cela peu importe l'idéologie économique qu'on peut avoir : libérale, monétariste, keynésienne, néoclassique, aucune de ces doctrines ne peut être mise en place avec la situation européenne actuelle.

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