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Les Français ont-ils besoin d’augmentations de salaires… ou de pouvoir d’achat ?
©©INA FASSBENDER / AFP

Salaire ou pouvoir d'achat ?

Des manifestations en faveur du pouvoir d'achat ont lieu un peu partout en France ce jeudi à l'appel de la CGT, Solidaires et FSU.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Alors que s'organise jeudi une journée de mobilisation pour les salaires et le pouvoir d'achat, quelle a été l'évolution, ces dernières décennies, des salaires face au revenu du capital ?

Alexandre Delaigue : Sur la dernière décennie, jusqu’à peu avant la période Covid, on a observé globalement une période de stagnation salariale en Europe, même si en France les salaires ont un peu plus augmenté que dans d’autres pays comparables. Dans le même temps, le prix des actifs a considérablement augmenté. C’est un effet de richesse, mais il a été très avantageux pour les détenteurs de patrimoine. Paradoxalement, les mesures de soutien au pouvoir d’achat et à l’activité pendant le Covid ont plutôt eu tendance à bénéficier aux salaires. Jusqu’à récemment nous observions des tensions sur le marché du travail signe que l’on commençait à voir arriver une période plus favorable pour les salaires. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins car les banques centrales remontent leur taux. Aux Etats-Unis, la hausse des taux d’intérêt vise à faire porter aux détenteurs de capital une partie de la lutte contre l’inflation. Avec le contexte inflationniste, on ne sait pas dans quelle direction vont s’orienter les salaires. Il est possible que cette période favorable aux salariés soit déjà terminée.

Si l’on s’intéresse aux tendances de long terme, il faut rappeler que dans la période des années 1970, il y a eu une évolution des revenus défavorable au capital et favorable au travail. La part de la valeur ajoutée vers le travail a alors augmenté avant de diminuer dans les années 1980. L’inflation avec indexation des salaires de cette période a fait que les salaires suivaient l’inflation et pas les revenus du capital. La désinflation a eu l’effet inverse. Depuis, les choses étaient relativement stables, légèrement favorables au capital.

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A quel point, y-a-t-il une confusion, potentiellement trompeuse, entre salaire et pouvoir d’achat dans la tête des Français ? 

Depuis une vingtaine d’années, en raison des caractéristiques du système social et en particulier des retraites, une grande partie des salaires sont toujours du pouvoir d’achat pour les Français, mais pas pour les salariés, puisque cela va aux retraites. Thomas Piketty faisait remarquer dans les années 2000 que même en cas de gains de productivité, les salaires nets n’augmentaient pas beaucoup, même si le coût du travail augmentait. C’est ce qui crée une forme de décalage entre le salaire, entendu comme coût du travail, et les perceptions sur le pouvoir d’achat. Les retraités estiment que leur retraite n’augmente pas très vite et les salariés considèrent que les évolutions de leurs salaires ne sont pas très fortes. 

Dans quelle mesure a-t-il un effet de la part du pouvoir d'achat contraint ?

Quand on dit que  les salaires ont suivi l’inflation, cela cache le fait que l’inflation est une moyenne de choses qui sont très variées. Il y a d’énormes variations selon les produits. Et certaines choses ont augmenté bien plus que l’inflation moyenne tandis que d’autres augmentaient moins, voire diminuaient. Et le fait est que, parmi les choses qui augmentent actuellement, on trouve un certain nombre de produits qui entrent dans la catégorie des dépenses contraintes : assurances, énergie, logement, etc. De l’autre côté, ce qui a tendance à baisser n'apparaît pas tant que cela comme un gain. C’est notamment vrai pour les produits électroniques : un ordinateur acheté 800 euros aujourd’hui est bien plus performant qu’un ordinateur acheté au même prix il y a dix ans. Mais cela crée un hiatus entre les perceptions et les données statistiques ? 

 N'y aurait-il pas intérêt à agir pour faire baisser la dépense contrainte plutôt qu’augmenter les salaires ? 

Le problème est qu’on ne sait pas vraiment comment faire à court terme. Il n’y a que structurellement qu’on peut jouer sur ce genre de dépenses contraintes. On peut réduire la facture de chauffage en isolant la maison, et on peut éventuellement subventionner la rénovation, mais cela prend du temps. L’effet n’est pas immédiat et il ne sera pas forcément si élevé que cela. Et parfois certains choix se révèlent ne pas être si judicieux que cela. Investir dans une voiture au GPL il y a trois ans se révèle être une bien mauvaise idée aujourd’hui.

A l’heure actuelle, y a-t-il une rationalité économique à augmenter les salaires ?

Quels salaires ? Dans quelle situation ? Il est difficile de juger. Le problème est que si l’on décrète une augmentation des salaires par une compression des taux de profits, une augmentation du déficit, dans la configuration actuelle d’inflation (qui n’en est pas vraiment une) on ne fait que déplacer le problème vers quelqu’un d’autre. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée, mais il faut avoir conscience de ce que l’on fait. L’autre risque, c’est celui de créer une boucle prix-salaire.

La participation, l'association des salariés aux revenus de l'entreprise, pourrait-elle une piste féconde pour augmenter le pouvoir d'achat ?

Si les taux d’intérêts montent, la valeur des revenus du capital va aussi avoir tendance à baisser. Donc cela peut aussi être un marché de dupes. Et puis nous avons essayé, depuis les années 1960. Et ce n’est pas si facile. Même aux Etats-Unis, les choses ne sont pas si évidentes que cela. 

Quelles pistes de solution envisager ?

Malheureusement, nous sommes dans une période où il faut serrer les dents. Outre-Manche, on fait en sorte que les salariés ne soient pas pénalisés et on pousse la croissance. En théorie, cela pourrait fonctionner. Mais comme on le voit en Grande-Bretagne, on ne sait pas vraiment comment faire. Les mesures envisagées sont loin d’être suffisantes, d’où la sanction des marchés.

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