Les Français 77e au classement de la générosité mondiale mais donnent-ils vraiment moins que les autres ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français sont-ils moins généreux que la moyenne ?
Les Français sont-ils moins généreux que la moyenne ?
©REUTERS/Jonathan Ernst (

À votre bon cœur

La Charities Aid Foundation publie au mois de décembre le World Giving Index, un classement des pays qui ont été les plus généreux lors de l'année précédente. La France n'y figure qu'à la 77e position, tandis que les Etats-Unis se classent à la première.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Les Français donnent-ils vraiment moins que les autres ?

Jean-Philippe Delsol : En effet, les Etats-Unis sont classés cette année comme les plus généreux donateurs, non seulement de leur argent, mais aussi de leur temps, de leur savoir… L’an dernier, c’était l’Australie. Globalement, et d’une année sur l’autre, ce sont les pays le plus ouverts à l’économie de marché qui sont toujours dans les premiers : le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Irlande… Selon des évaluations réalisées il y a déjà trois ou quatre ans, le total des dons privés aux Etats-Unis représentait 310 milliards de dollars ou 1.7% du PIB (contre 0.7% en Europe). Par comparaison, les Canadiens donnaient 10 milliards de dollars (en dons individuels), les Britanniques 16 milliards, les Allemands 6,5 milliards et les Français de l’ordre de 3 milliards de dollars. En France, on attend beaucoup plus de l’État que des individus…

Les enquêtes sur les donateurs américains montrent aussi que ce sont les vrais entrepreneurs riches qui sont les plus enclins à faire des dons. Plus de 75 % d’entre eux en font, contre seulement 25 % de ceux qui ont hérité d’une fortune. Plus intéressant : il n’est pas nécessaire d’être très riche pour faire des dons. Il existe des fondations individuelles qui ont été créées avec seulement 10 000 dollars de dons. Quand on veut donner de l’argent, on peut le faire avec des sommes qui peuvent paraître ridicules. L’important c’est de recueillir le plus de donateurs possibles. Le don s’apprend dès le plus jeune âge. Des écoles privées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne enseignent aux enfants des familles riches l’importance du don privé. Des fondations font des formations dans les classes et permettent même aux enfants de faire un simple don à une cause de leur choix. En France, l’Éducation nationale prépare nos enfants à tout recevoir de l’État… En France ; la création d’une fondation est un parcours d’obstacles qui relève de la compétition de haut niveau !

A l'appel de Bill Gates et de Warren Buffett, onze milliardaires américains ont accepté de donner la moitié de leur fortune à des œuvres de charité. Une telle démarche serait-elle possible en France ?

La démarche de Bill Gates et de Warren Buffet est très estimable. Au demeurant, ils n’ont pas dit qu’ils laisseraient leurs enfants sur la paille ; et une petite partie de leur patrimoine laissé à leurs enfants représenterait encore une grande fortune pour eux. Il faut donc relativiser un peu. Je dois dire aussi que le don est un très beau geste, mais que l’idée de transmettre à ses enfants un patrimoine important en leur apprenant à en être responsable, et notamment sur le plan social, en leur inculquant les valeurs de l’entreprise, en leur permettant de continuer à créer de la richesse, à embaucher, à innover… c’est très bien aussi et c’est même probablement plus difficile. A cet égard, les dynasties de Michelin ou de Mulliez sont à certains égards plus utiles à leur pays que les Bill Gate ou les Warren Buffet. Au demeurant il existe aussi en France des industriels qui donnent beaucoup à des œuvres charitables. Pierre Fabre a créé une fondation à laquelle il a apporté l’essentiel du capital de son entreprise. Les Mulliez  donnent aussi beaucoup tout en essayant de maintenir l’esprit d’entreprise dans la lignée familiale. Ce qui est vrai, c’est que c’est plus facile de donner lorsque le taux des prélèvements obligatoires est moins important.

L'Etat-providence n'existe pas aux Etats-Unis. D'une certaine manière, les Français ne donnent-ils pas autant, voire plus que les autres pays, notamment à travers la fiscalité ?

Car en effet, les Français sont accablés par les prélèvements fiscaux et surtout sociaux qui conduisent à une véritable spoliation. Les Français sont parmi les nations qui payent les impôts les plus élevés au titre de l’impôt sur le revenu (58%, voire jusqu’à 75%), de l’impôt sur les sociétés (jusqu’à 41% en prenant en compte la taxe de 3% sur les distributions de dividendes), des charges sociales qui représentent souvent plus que le salaire net lui-même, des droits de succession (45% en ligne directe)… Après de tels prélèvements les riches Français sont K.O. et il leur reste moins d’argent que leurs collègues étrangers pour donner.

Du point de vue de la lutte contre les inégalités, quel est le système le plus efficace : le modèle américain fondé sur la charité ou le modèle français fondé sur la redistribution ?

Le problème de la France est que le secteur public ou parapublic y est devenu dominant. Plus de la moitié des Français actifs sont rémunérés par l’argent des contribuables. Et le secteur public y est hyper protégé avec notamment le statut de la fonction publique qui confère quasiment un emploi à vie. Les associations françaises à but non lucratif sont elles-mêmes financées à environ 60% par des subventions ou dotations publiques. De ce fait les critères de rentabilité ou seulement d’efficacité sont moins prégnants dans ces associations que dans celles qui doivent démontrer tous les jours à leurs donateurs qu’elles sont utiles et performantes.

Bien entendu, il faut distinguer selon les associations car certaines d’entre elles sont remarquables de qualité, de générosité et en même temps de professionnalisme ; certaines d’entre elles mobilisent des membres bénévoles et néanmoins très actifs, ce qui leur permet de faire beaucoup avec peu. Mais d’autres sont devenues des succédanés de la fonction publique qu’elles côtoient tous les jours et dont elles dépendent. Malheureusement, les associations en perdent parfois leur image. A cet égard, je pense que le modèle américain est plus efficace parce qu’il est, par son mode de fonctionnement, plus à l’abri de ces dérives. Les Américains du nord sont plus généreux parce qu’ils sont moins ponctionnés. Les associations y sont donc plus vivantes, plus riches, plus nombreuses, plus actives. Mais les associations y sont aussi soumises en quelque sorte à plus de concurrence et à plus de surveillance de la part des donateurs. Dans ces conditions le système américain, tout imparfait qu’il soit sans doute, est plus sain. Les Américains sont plus volontiers que les Français dans l’esprit que John Kennedy appelait de ses vœux dans le discours inaugural de sa présidence le 20 janvier 1961 : « Vous qui, comme moi, êtes Américains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Les Français, eux, se demandent chaque jour comment obtenir plus de l’État ou des collectivités locales et certaines associations ne sont pas en reste dans cette démarche. Mais ce faisant elles jouent contre leur camp car elles détruisent ainsi ce qui reste d’esprit généreux et spontané au cœur des Français.

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