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 Renseignement : Les Etats-Unis ont ils renoncé à vaincre l'Etat islamique ?
©Reuters

THE DAILY BEAST

Les responsables de la sécurité nationale ne parlent plus de l'État islamique comme d'un ennemi à abattre. Ils décrivent le groupe terroriste comme "une maladie chronique dans le corps politique international".

Kimberly Dozier

Kimberly Dozier

Kimberly Dozier est contributrice pour The Daily Beast et CNN. Elle couvre les sujets relatifs aux conflits au Moyen-Orient et en Europe, ainsi que ceux concernant la sécurité nationale des Etats-Unis depuis 1992. 

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The Daily Beast - Kimberly Dozier

ASPEN, Colorado - Officiellement, l'administration Obama reste déterminée à vaincre l'État islamique (EI). Mais lors de la réunion annuelle des responsables de la sécurité nationale à Aspen, personne ne parlait de battre l'armée terroriste ni ses membres.

Au lieu de cela, une résignation morne et de sombres avertissements à propos du long et difficile combat à venir ont dominé les discussions. Toutes prévoyaient une augmentation des attaques terroristes dans le monde, y compris aux États-Unis. "Est-ce que nous nous attendons à plus d'attaques ? Malheureusement, oui, à la fois en Europe et aux États-Unis" a déclaré le représentant de Californie, Adam Schiff, membre haut placé du House Intelligence Committee. Même si certains espèrent un triomphe militaire sur l'EI en Irak et en Syrie, ils ont reconnu qu'une telle avancée ne représenterait que la première étape d'un combat promis à durer, contre un groupe qui a déjà étendu sa présence dans des régions instables du Moyen-Orient, de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est et qui est derrière les attentats de Paris, San Bernardino, Orlando et Istanbul. "Si nous détruisons [l'EI] en Syrie et en Irak afin qu'il n'ait plus de territoire, bien sûr, nous réduisons son influence. Mais le califat virtuel n'est pas détruit", a déclaré le coordinateur pour la lutte contre le terrorisme de l'Union européenne, Gilles de Kerchove, lors d'un entretien, faisant référence à l'impressionnante présence en ligne de l'EI. "Sa capacité à inspirer des actions en Occident lui survivra quelques temps."

Rien à voir avec les précédentes réunions de l'Aspen Security Forum, lors desquelles les hauts responsables et les experts saluaient la mort d'Oussama ben Laden comme un coup fatal porté à l’extrémisme islamique. Et le ton était nettement différent des déclarations faites par le président Obama il y a quelques mois, où il réaffirmait son engagement à "vaincre [l'EI] et à éliminer le fléau de ce terrorisme barbare qui se produit partout dans le monde." Au contraire, à Aspen, les responsables de la sécurité nationale n'ont pas vraiment parlé de l'EI comme d'un ennemi que l'on pourrait anéantir. Ils ont parlé du groupe terroriste comme d'un problème à gérer sur le long terme, une maladie chronique dans le corps politique international. Le débat sur les solutions s'est centré sur les dégâts qui pourraient être infligés à l'EI en le chassant d'Irak et de Syrie, ce qui entamerait le prestige du groupe en le privant de son califat autoproclamé.

Un responsable européen pense qu'une fois dessaisi de son État de facto après une bataille longue et sanglante, l'EI perdrait ses soutiens et s'effondrerait comme un château de cartes. Mais beaucoup d'autres affirment que le groupe transférerait ses opérations dans d'autres régions instables, processus qui est déjà en cours. "C'est nécessaire mais pas suffisant" a déclaré au Daily Beast Lisa Monaco, conseillère dans la lutte contre le terrorisme de la Maison Blanche, à propos de la volonté de priver l'EI de son territoire en Irak et en Syrie.

Dans son discours au forum, elle a décrit l'EI comme un mélange entre groupe terroriste, armée rebelle et phénomène social. Vaincre l'armée est la partie la plus simple de cette tâche presque impossible, de la même ampleur qu'éradiquer le trafic de drogue ou mettre fin à la traite des êtres humains. Nicholas J. Rasmussen, directeur du Centre national de lutte contre le terrorisme américain, le NCTC, a souligné qu'il faudra sans doute attendre un certain temps après les victoires de la coalition sur le champ de bataille pour voir des signes d'affaiblissement du groupe. "Même s'ils perdent du territoire, cela ne limitera pas nécessairement leur capacité à frapper en dehors de leurs frontières, a-t-il averti. Même avec un fief significativement réduit, ils ont toujours la capacité de mener des actions à l'international." Un point sur lequel ils s'accordent tous, c'est que le terrorisme est le symptôme du danger que représente une instabilité mondiale alimentée par des conflits locaux, liés à des affrontements concernant les ressources, dont des pénuries en eau et en aliments dues au changement climatique et entretenues par la croissance de la population jeune.

Ces jeunes sont nombreux à avoir l'impression de ne disposer d'aucune opportunité d'aller de l'avant ou à ne pas ressentir de loyauté ou de sens du devoir envers des gouvernements corrompus et faibles, incapables de leur offrir un avenir. Cela les rend vulnérables au sentiment fallacieux d'appartenance et de devoir que l'idéologie militante leur offre. Et comme il n'existe aucune solution à court terme à ces problèmes internationaux, le mieux que les pays attaqués puissent faire consiste à s'en prendre aux symptômes : les forces militaires et de renseignement ciblent des produits finis hostiles mais pas la machine à dysfonctionnements mondiale qui les produit. Même si, selon toutes les projections, les opérations antiterroristes prendront des années, les membres de l'administration Obama répugnent à déclarer que cela deviendra la norme. "Je crois que les gens ont raison de se sentir mal à l'aise, car c'est vraiment imprévisible, a répondu Lisa Monaco à une question du Daily Beast. Je ne crois pas que l'on doive jamais considérer comme normal ce type de carnage, d'immoralité, comme ce qui s'est produit à Nice. Si l'on en arrive là, je pense que nous nous serons égarés en chemin."

Elle se référait là au ressortissant français qui a lancé un camion dans la foule le jour de la Fête nationale en France en juillet, tuant plus de 80 personnes. Avec d'autres, elle a reconnu que l'EI a ouvert une "nouvelle phase" en encourageant les terrroristes à rester là où ils se trouvent et à utiliser comme arme ce qu'ils ont à leur disposition pour s'en prendre à la cible de leur choix. "Prenez un camion, écrasez tout un groupe, prenez une arme, un fusil et tirez sur les gens", a résumé Jim Clapper, directeur du renseignement national pour décrire la tactique de l'EI durant son intervention au forum. "Plus c'est brutal, plus c'est gratuit, mieux c'est." Pour le général à la retraite, "ces attaques à plus petite échelle… ont un impact psychologique beaucoup plus important" qu'un plan plus vaste comme celui du 11 septembre. "Elles ont un effet de contagion. Cela en incite d'autres à passer à l'acte."

On ressentait une certaine frustration ainsi qu'un épuisement chez certains responsables, qui ont affronté ces combattants d'une façon ou d'une autre, depuis les attaques d'Al-Qaïda sur New York et Washington en 2001. "J'ai vu l'évolution depuis les attaques menées par des terroristes affiliés à Al-Qaïda", a déclaré Jeh Johnson, le responsable de la sécurité du territoire et ex juriste haut placé du Pentagone, qui aidait à déterminer quelles cibles étaient légales pour les frappes américaines. "Notre réaction a consisté à déplacer la lutte contre les ennemis à l'étranger dans des pays comme le Yémen et la Somalie. Il faut les avoir avant qu'ils ne nous aient."

"Maintenant, nous sommes témoins de… l'augmentation des attaques d'inspiration terroriste dont les acteurs peuvent ne s'être jamais rencontrés, ne jamais s'être entraînés avec l'organisation, ne jamais avoir reçu d'ordre direct mais avoir été inspirés par les réseaux sociaux sur Internet pour lancer une attaque. C'est plus complexe." L'envoyé spécial du président, Brett McGurk, a déclaré qu'il était "presque impossible, voire impossible, de repérer" des individus ainsi radicalisés, même s'ils expriment leur soutien à l'EI sur les réseaux sociaux. "Nous travaillons avec Twitter, Facebook, YouTube. Twitter, à éliminer plus de 125 000 comptes pro-EI," mais la capacité des terroristes à continuer à attirer des followers est immense. "Lorsqu'Obama est arrivé au pouvoir, il y avait environ 2,5 millions de tweets par jour. Aujourd'hui, il y en a 500 millions." Le directeur du NCTC, Nick Rasmussen, a souligné qu'il est de plus en plus évident que s'appuyer sur le FBI pour avoir accès  à une cellule grâce à un travail d'enquête traditionnel ne permettra pas d'arrêter tous les projets d'attaque. Selon Lisa Monaco, et c'est un leitmotiv partagé par tous les responsables de la lutte antiterroriste : le filet de sécurité conçu après 2001 pour détecter les réseaux terroristes et leurs projets n'a pas été pensé pour cela. "Comment pouvez-vous détecter que quelque chose ne tourne pas rond dans la tête de quelqu'un ?" a-t-elle demandé.

Comme d'autres hauts fonctionnaires, elle a insisté sur la coopération nécessaire avec l'échelon local comme l'un des rares moyens de repérer ces attaquants potentiels, notamment ceux avec un passé de maladie mentale qui sont plus sensibles à l'influence de l'EI. L'idée du "si vous voyez quelque chose, dites quelque chose" constitueun appel logique mais un peu troublant à appliquer à sa famille, à ses amis et à ses collègues.

Brett McGurk a minimisé l'importance de l'extension de l'EI à d'autres pays, notamment par la fusion avec des groupes existants comme Boko Haram, qui changent leur nom et jurent fidélité à la nouvelle entité. "Il y a huit affiliés autoproclamés à l'EIIL, a-t-il dit, en utilisant l'acronyme privilégié par le gouvernement américain pour désigner l'État islamique autoproclamé. On ne peut pas être bouleversé à chaque fois qu'un groupe arbore le drapeau de l'EIIL" car il s'agit de groupes qui étaient déjà surveillés et contre lesquels les forces antiterroristes américaines sont engagées.

Il a souligné que la Libye, dont on craignait qu'elle ne devienne la nouvelle place forte de l'EI avec 5 000 à 7 000 combattants, a maintenant "atteint un plateau et que les chiffres diminuent désormais". Al-Qaïda reste également une menace, mais moindre. Le directeur du NCTC, Nick Rasmussen, a souligné qu'Al-Qaïda a essayé de rester un acteur important en faisant du fils de Ben Laden, Hamza, "un porte-parole et quelqu'un qui pourrait reprendre les rênes de l'organisation", mais celle-ci semble avoir compris qu'elle ne peut pas faire face à l'influence considérable de l'EI. Selon les responsables, les deux groupes coopèrent parfois sur le champ de bataille mais restent des concurrents au niveau du recrutement, ce qui alimente une surenchère ininterrompue d'attaques là où ils sont implantés et en Occident.

Lisa Monaco a également averti avec beaucoup d'insistance que le groupe dépendant d'Al-Qaïda en Syrie reste dangereux et capable d'organiser des attentats contre les États-Unis et l'Europe depuis les territoires en guerre, malgré son changement de nom et ses apparentes tentatives de se distancier de son groupe parent. "Il a défini une zone sûre de plus en plus vaste en Syrie en profitant du chaos." Elle a rappelé au public que lorsque le gouvernement a lancé ses opérations contre l'EI en Syrie en 2014, il a également lancé des frappes simultanées "contre un groupe de vétérans d'Al-Qaïda, venu à dessein en Syrie de la région de l'Afghanistan et du Pakistan dans le but avoué de profiter de cet espace sans gouvernement." Gilles de Kerchove, représentant de l'Union européenne, a renchéri : "Les récentes déclarations du Jabhat Al-Nosra [affilié à Al-Qaïda] affirmant qu'il n'est lié à aucune organisation extérieure sont un leurre. Ce groupe reste dépendant d'Al-Qaïda et est très dangereux."

Le général Joe Vote du commandement central américain a pour mission de les détruire tous les deux. Mais il a averti qu'il ne fallait pas s'attendre à « un grand défilé triomphal" pour marquer la fin du combat contre l'EI, remarque reçue par des signes de têtes approbateurs de la part du public, formé de membres et d'ex-membres de la Maison Blanche, du Pentagone et de la CIA. Il a proposé un plan : une campagne pour tourmenter l'EI sur de multiples fronts. "Nous sommes après vous à Al-Anbâr… Nous sommes après vous dans la vallée du Tigre… Nous sommes sur vous au nord de la Syrie. Nos efforts se concrétisent au sud de la Syrie. Nous réalisons des frappes importantes dans ces deux pays," a-t-il répondu à une question du Daily Beast, en qualifiant l'ennemi "d'extraordinairement malin et capable de s'adapter."  "Pour moi, c'est comme un match de lutte, a-t-il ajouté. Nous luttons, nous marquons un point et nous passons au mouvement suivant. Si vous répétez la manœuvre suffisamment de fois, vous finissez par dominer."  "Pour donner une évaluation approximative, je dirais que nous sommes peut-être à 25 % dans notre progression pour neutraliser les pires menaces posées par l'EI," a déclaré John McLaughlin, l'ancien directeur adjoint de la CIA dans un essai écrit pour le forum dans le journal du Renseignement en ligne, The Cipher Brief, commentaire qu'il a répété au cours d'un bref entretien. "Mais les 75 % restants seront plus difficiles" car les membres vont se disperser et se mêler aux populations locales dans des dizaines de pays aux gouvernements et aux forces de sécurité faibles. "Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une guerre sans fin, a estimé Joe Votel. Je pense que c'est un combat de longue haleine, que nous devons savoir poursuivre." Aucun représentant de l'administration n'a souhaité, même de façon non officielle, proposer une limite dans le temps à cet affrontement.

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