Les différents scénarios de la mise en place du prélèvement à la source et ce que cela va changer concrètement pour les ménages<!-- --> | Atlantico.fr
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Le recouvrement de l'impôt à la source devrait être instauré avant 2017.
Le recouvrement de l'impôt à la source devrait être instauré avant 2017.
©Flickr

Ça coule de source

A l'approche du congrès du PS, le sujet du prélèvement de l'impôt à la source est de nouveau évoqué en France. Ce mode de recouvrement devrait être instauré avant 2017 si l'on en croit Bruno le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée. En plus de bouleverser une partie de l'administration fiscale, les Français seront eux aussi concernés par quelques changements.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Bruno Leroux, président du groupe PS à l'assemblée, a annoncé l'ouverture d'un nouveau chantier : le prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source avant 2017. Pourquoi la France est jusqu'à aujourd'hui le dernier pays de l'UE à ne pas pratiquer le prélèvement à la source ?

Thomas Carbonnier : Le mécanisme de la retenue de l’impôt à la source même du revenu n’est pas nouveau en soi. Il est déjà bien connu en fiscalité internationale concernant certains revenus de capitaux mobiliers tirés de source étrangère (ex : dividendes distribués à un contribuable français par une société allemande).

En principe, la retenue à la source est un acompte sur l'impôt qui devra être payé par le contribuable. Si l'impôt retenu permet de se soustraire au régime normal d'imposition, le prélèvement est dit libératoire.

Dans le projet français actuellement en débat, il s’agirait d’étendre la retenue à la source aux revenus salariés de source française avant la fin de l’année 2017. L’idée n’est pas nouvelle et revient régulièrement dans les projets de réforme de la fiscalité des personnes physiques. Le mécanisme de la retenue à la source est déjà pratiqué chez certains de nos voisins européens. Ainsi en Belgique, l’impôt retenu à la source répond au doux nom de précompte professionnel. L’entreprise retient sur le salaire le montant d’impôt que devrait payer le salarié.

Jean-Yves Archer : Selon un site dépendant de l'Administration, le prélèvement de l'IR à la source serait un " mode de recouvrement relativement simple et indolore pour le contribuable favorisant l'acceptabilité de l'impôt ". Indolore, acceptabilité : les grands mots sont avancés et révèlent l'intention de la Puissance publique. Pour parler en termes clairs, en changeant l'axe de la lame de la tondeuse, le mouton sera d'autant plus coopératif. Pour parler en termes de science politique, le prélèvement à la source peut devenir une grandiose opération d'enfumage qui masquera, pour des millions de citoyens, la vraie charge publique.
Autrement dit, prélever en amont c'est s'assurer d'avoir l'aval de celui qui paye et ne comprend plus le schéma d'ensemble. C'est donner quitus aux gouvernants par-delà les errements éventuels de leur gestion. Rendre indolore c'est participer à l'aveuglement du contribuable dans un pays qui est peut-être le dernier de l'UE à ne pas prélever à la source mais qui est le premier en pourcentage de PIB ( 57,4% ) pour sa dépense publique.

Curieusement, aucun chiffrage de l'économie de cette charge administrative n'a été avancée par Bruno Le Roux ou d'autres responsables. Partant d'un coût de collecte évalué à 600 millions d'euros, peut-on espérer une économie globale de 25% ?

A l'inverse, il faut absolument avoir conscience des milliers d'heures de travail que ce mode de recouvrement va induire pour les entreprises : des grands groupes à la plus modeste des TPE. A cet effet, il faudra attendre des chiffrages prévisionnels des experts-comptables ou autres pour jauger de l'ampleur de la vague bureaucratique qui va – éventuellement – s'abattre sur les entreprises traitées, dans ce dossier, comme des baudets. 

Qu'est-ce que le prélèvement à la source changerait pour les Français ? Et qu'est-ce que cela impliquerait pour l'administration française ?

Thomas Carbonnier : Il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit, c’est un salarié qui n’aurait plus à se soucier d’épargner suffisamment d’argent pour payer ses impôts en fin d’année. L’Etat pourra plus aisément plumer l’oie sans la faire crier. Le contribuable n’aura progressivement plus conscience de la pression fiscale à laquelle il est soumis. Ce qu’on ne voit pas c’est à qui va réellement profiter ce changement de système. Avec un système d’imposition l’année suivant la perception du revenu, le contribuable peut faire travailler son argent pendant une année. Avec un système de paiement de l’impôt sous forme d’une retenue à la source, c’est l’Etat qui peut faire fructifier l’argent.

Pire encore, l’entreprise devra connaître l’ensemble des revenus dont dispose le salarié pour calculer le montant d’impôt à retenir à la source... Les entreprises pourraient donc connaître le patrimoine du salarié. C’est une véritable intrusion dans sa vie privée du salarié. Dans un pays où l’argent est un véritable tabou, le dossier s’annonce explosif !

Jean-Yves Archer : De toute évidence, le prélèvement à la source est truffé de conséquences liberticides qu'un simple lot de questions permet de situer :

- Acceptez-vous que votre employeur, pour fixer le taux de votre imposition, ait accès obligatoire aux revenus de votre conjoint ou à vos éventuels revenus fonciers ou financiers ?

- Acceptez-vous que votre employeur connaisse les détails de votre vie de famille ? Pour fixer le nombre de parts, il faudra bien indiquer le nom ( et donc le sexe ) de votre conjoint.

- Si vous travaillez dans deux entreprises simultanément, laquelle assumera le rôle d'organisme de déclaration ?  Souhaitez-vous que l'employeur B connaisse vos revenus chez l'entreprise A ?

- En cas de coresponsabilité d'établissement de la déclaration, vous sentez-vous assez armé pour contester une erreur de l'employeur dont vous dépendez ?

- Si vous demeurez le seul responsable, pensez-vous que l'entreprise sera totalement motivée et vous fournira une garantie de bonne fin pour votre retenue à la source ?

- Avez-vous autant confiance, en matière de confidentialité, en notre Administration fiscale ( voir son étanchéité pour Messieurs Cahuzac et Thévenoud ) qu'en votre employeur et ses services dédiés ?

- Suite à une donation-partage, si vous êtes usufruitier, acceptez-vous que l'entreprise le sache ?

- Etc.

Pour l'Etat, l'impôt sur le revenu représente 72 milliards d'euros soit 24,1% du total des quelques 300 mds de recettes fiscales. Soit la moitié de la TVA ( 47,3% et 146 mds ) vis-à-vis de laquelle on doit remarquer le niveau très relatif d'effort de recouvrement.

La fraude dite carrousel est en effet évaluée à 32 mds d'euros ce qui est presque la moitié du rendement net de l'impôt sur le revenu et " x " fois les avantages supputés du prélèvement à la source. (http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/controle_fiscal/procedes_fraude/5_Fraude_tva_type_carrousel.pdf )

Il semble donc assez irresponsable de chercher une retenue à la source du côté de l'IR alors que la nocivité et la déviance antifiscales sont nettement plus avérées du côté de la TVA comme le répète régulièrement le syndicaliste Vincent Drezet ou les avocats fiscalistes dont Jérôme Turot.

En fait, la retenue à la source pose une vraie question de société : en étant soi-disant débarrassé mensuellement ET passivement de l'impôt sur le revenu, le citoyen ou la citoyenne gagnerait en pseudo-confort de vie. Il pourrait dépenser son net à payer post fiscalité. Soit. Alors, pourquoi pas une retenue à la source des loyers ? Bien au-delà des systèmes de prélèvements bancaires actuels qui sont récusables. Tout ceci est un bouillon de culture pour l'irresponsabilité et éloigne le citoyen de sa bonne capacité à gérer ses propres affaires

En matière de fiscalité, le gouvernement sera face à un choix : procéder à une double imposition sur une année ou abandonner une année fiscale. Quelles seraient les conséquences pour chacune de ces possibilités ?

Thomas Carbonnier : Il paraît improbable que le gouvernement envisage une double imposition en fin de mandat, peu de temps avant les élections présidentielles. Après l’explosion du nombre de contribuables ayant des difficultés à payer leur IR, ce serait l’explosion sociale tout court ! Ce serait une véritable folie.

Il est en revanche plus plausible que la réforme soit menée de manière progressive sur trois voire quatre ans. Le cadeau ainsi laissé au gouvernement qui sera en fonctions après l’élection présidentielle 2017, sera un véritable cadeau empoisonné.

Jean-Yves Archer : Avant d'être face à un choix, le Gouvernement – s'il persiste et signe dans son projet à l'opposé du refus net et marqué du ministre Jean-Marie Le Guen – devra d'abord veiller au respect constitutionnel de l'égalité devant l'impôt.

S'il abandonne la perception d'une année fiscale, c'est une impasse de près de 70 milliards ce qui parait hors d'atteinte et donc hors de propos. Hors de faisabilité si l'on songe à ceux qui sont déjà mensualisés.

S'il pratique une double imposition concomitante ( les revenus de l'année précédente et les revenus de l'année en cours ), c'est d'évidence une hérésie du fait du risque tangible de voir un fort tassement de la consommation des ménages. On serait tenté de rappeler que la surpression fiscale en temps de croissance atone a déjà été expérimentée par l'inoubliable duo Ayrault / Moscovici. Et avec quels résultats !

Bref, la réforme se fera peut-être : elle me parait liberticide, attentatoire à la compétitivité des entreprises et vexatoire pour l'Administration fiscale dont les coûts de collecte vont en s'améliorant depuis des années.

1% d'effort sur la fraude à la TVA, c'est au moins 60% du coût de la collecte de l'IR. Alors, de grâce, cessons les ballons d'essais plus ou moins gadgets pour s'attaquer aux vraies questions. Des prix de transferts, par exemple.

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