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Les défis de la démocratie libérale : le renouveau libéral
Les défis de la démocratie libérale : le renouveau libéral
©Reuters

Bonnes feuilles

Loin de n'avoir été qu’un polémiste de talent, Jean-François Revel (1924-2006) a été avant tout animé par la passion des faits. Ce philosophe s’est constamment employé à pourfendre et à déconstruire les impostures idéologiques dont se sont nourries les diverses tentations totalitaires qui ont marqué le XXe siècle. Philippe Boulanger, dans "Jean-François Revel, la démocratie libérale à l'épreuve du XXème siècle" (Les Belles Lettres), expose les étapes successives et les multiples aspects de cette pensée de combat. (1/2)

En deux décennies (1979-1999), un renouveau libéral semble en effet gagner l’Europe en faisant accéder au pouvoir des formations politiques de centre droit et de centre gauche acquises aux idées du libéralisme. Revel le fait même débuter entre 1980 et 1985 : en Italie, communistes et socialistes se veulent de moins en moins dirigistes ; en Espagne, les socialistes ne l’ont jamais été ; au Portugal, des libéraux, à deux reprises, privatisent l’économie ; et en France, surtout, l’échec de la politique de nationalisation de la gauche apparaît dès 1983 1.

Comme souvent en histoire, il n’y a donc pas de rupture brutale en 1989, mais simplement la confirmation, dans les politiques menées par les gouvernements occidentaux, de la poussée libérale entamée dans les années soixante-dix. La révolution libérale née aux États-Unis s’est donc diffusée à l’Europe. Elle a été expérimentée d’abord en Amérique latine, puis en Grande-Bretagne, enfin en Europe centrale et orientale, aux lendemains de la chute du communisme. D’où l’idée largement fantasmée d’une « victoire écrasante » du libéralisme à l’échelle du continent européen. 

En 1989, Revel remarque donc un double glissement en Europe : à l’Est, les partis communistes deviennent sociaux-démocrates ; à l’Ouest, les partis socialistes deviennent libéraux. Les premiers le proclament, les seconds le cachent. Les uns et les autres, néanmoins, tendent au même but par les mêmes moyens. La conversion des partis socialistes occidentaux s’étend à toute l’Europe démocratique. À la longue, les sociaux-démocrates ont opté pour la réforme contre la révolution, et pour l’économie de marché contre l’économie collectivisée. Ils ont compris les limites de l’État providence, même s’ils ont le ralliement vindicatif et expédient au capitalisme quelques coups symboliques. Une grande partie de la gauche européenne s’est, malgré tout, convertie au capitalisme. 

Les différences d’application sont réelles, mais elles sont plus de dosage que de doctrine. Les « nouveaux libéraux » cherchent à repérer la frontière exacte au-delà de laquelle la redistribution paralyse la production, donc engendre l’appauvrissement et aggrave les inégalités : elle devient donc de plus en plus contestée dans les nations développées. Tous savent, affirme Revel un peu vite, que seul le capitalisme permet de réaliser l’unique forme de « socialisme » possible : une sorte de « garantisme », à la fois du pouvoir d’achat et de la couverture sociale, ainsi que de leur progression régulière. Mais, pour rendre visible ce « socialisme-là », il faut accepter comme structurelle l’inégalité des frontières et des revenus, même si le processus d’enrichissement global tend à la réduire. Il rappelle que l’inégalité sévit bien davantage dans les sociétés marxistes : inégalité dont la source est le pouvoir politique, distributeur de privilèges et prébendes ; inégalité stérile, qui n’est pas la contrepartie d’une création économique 2.

Deux leçons se détachent de ses analyses. D’abord, Revel s’inscrit dans les pas d’un libéralisme intégral, méfiant à l’égard d’un interventionnisme étatique excessif, ouvert à la création de richesse, confiant envers l’économie de marché – mais nullement hostile à une redistribution maîtrisée. Il serait donc aventureux de le classer en 1990 parmi les néolibéraux à la Hayek. On relève aussi une nouvelle embardée à gauche, typique de Revel, puisqu’il évoque à nouveau, comme en 1976 dans La Tentation totalitaire, ce type de « socialisme démocratique » nourri par le libéralisme économique. Veut-il dire par là qu’une société de solidarité ne peut exister que grâce au capitalisme ? Auquel cas, le réemploi du vocable de socialisme jette quelque confusion sur son adhésion au libéralisme.

À ce stade de l’étude, il faut mentionner, avant d’y revenir plus loin, que Revel, homme de gauche déclaré, a soutenu Giscard aux élections présidentielles de 1974 et de 1981 contre le candidat socialiste ; et qu’il a, surtout, manifesté son approbation de la politique extérieure et économique de Reagan. On peut penser que, dans son esprit, le libéralisme économique – qu’il serait sans doute plus judicieux d’aborder sous l’angle de la propriété privée – contribue davantage à égaliser les conditions socio-économiques que l’économie administrée d’obédience marxiste. D’où, aussi, son engouement pour la libéralisation des gauches européennes au cours de la décennie quatre-vingt-dix, qui allie justice sociale et efficacité économique – mais avec la notable exception de la gauche française.

1.J.-F. Revel, La Grande Parade. Essai sur la survie de l’utopie socialiste, Plon, 2000, p. 11-13.

2. Le Point, 23 octobre 1989, p. 50.

Extraits de "Jean-François Revel. La démocratie libérale à l'épreuve du XXème siècle" de Philippe Boulanger publié aux éditions Les Belles Lettres (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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