Les conséquences que le temps fou passé devant des écrans a sur le cerveau<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a un phénomène d'habituation des écrans sur le cerveau.
Il y a un phénomène d'habituation des écrans sur le cerveau.
©Reuters

Lobotimie

A passer quotidiennement 8h devant les écrans, notre cerveau est naturellement modifié. Pour le meilleur ou pour le pire... Certains changements pourraient être désastreux.

Michel  Desmurget

Michel Desmurget

Michel Desmurget est chercheur. Spécialisé en neurosciences cognitives, il a dénoncé les effets délétères de la télévision et des écrans au travers de son ouvrage TV Lobotomie - la vérité scientifique sur les effets de la télévision

 
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Atlantico : Une étude américaine (voir ici) estime qu'un adulte passe en moyenne 8h par jour devant un écran (ordinateur, téléphone, télévision confondus). Combien de temps passe-t-on devant un écran en France ? Y  a-t-il des dangers ? Quels sont-ils ?

Michel Desmurget : En France, il n'existe pas d'étude complète, telles qu'on peut en trouver aux Etats-Unis, et dans d'autres pays. Néanmoins, il faut savoir que les chiffres sont sensiblement les mêmes. Certes, les Américains ont tendance à plus regarder la télévision que les Français, mais ça n'est pas particulièrement significatif. Si, aux Etats-Unis, on passe environ 8h par jour derrière un écran,  on constate également que c'est globalement le même nombre d'heures que celui dont font état les études transnationales.

Les dangers sont divers et variés. Selon l'âge, ils ne sont d'ailleurs pas les mêmes. A propos des troubles cognitifs, on constate des effets indirects, qui sont notamment liés au sommeil, à la sédentarité. Les écrans sont également la cause première de certains problèmes de transpositions (bien plus directs que les problèmes cités précédemment), de soucis d'attention ; des pertes d'imagination et de créativité…

Un adulte risque, pour sa part, de finir avec des pathologies comme Alzheimer. Une heure passée à regarder la télévision augmente le risque de 30 %. La moyenne (il n'existe pas de chiffre global pour le temps passé derrière les écrans de façon global, mais on sait ce qu'il en est à des niveaux plus spécifiques, et selon les appareils) est à 4 ou 5h de télévision par adulte et par jour.

L'adulte souffre d'avantage d'effets sanitaires ou liés au contenu. Plus on avance dans l'âge, plus les effets de contenus sont importants.

A quoi sont-ils dus ? Comment les écrans peuvent-ils avoir des effets si pervers ? Quels sont les processus qui mènent à ce genre d'impact négatif ?

Le corps se développe en proportion de ce qu'on lui donne à manger, de comment on le nourrit. Le cerveau fonctionne de la même façon : plus le milieu est riche, plus il est porteur d'éléments de développement, plus le cerveau évolue. Cela fait plusieurs milliers d'années que le cerveau progresse. De toute évidence, ça n'est pas dans les écrans qu'on trouve de quoi "nourrir" le cerveau. Particulièrement le cerveau enfant.

On s'est aperçu que lorsque les gens jouaient à Super Mario Bros, par exemple, le cerveau changeait d'architecture. Les zones préfrontales s'épaississent. Une fois que c'est dit, c'est l'effervescence. Ce qui n'est pas précisé, c'est que les études du développement de l'intelligence démontrent que sur ces zones, c'est l'amincissement qui est corrélé au développement de l'intelligence. Quoiqu'on fasse, le cerveau se réorganise. Qu'on se gratte le nez ou qu'on joue au foot, il change. Ça n'est pas nécessairement bien.

Les jeux-vidéos, et les écrans de façon plus générale, développent le système attentionnel externe. D'une façon plus claire : c'est le monde qui vient vous chercher plus que vous n'avez besoin d'aller à lui. C'est un bonhomme qui arrive à l'écran, par exemple. On en vient à hypertrophier ce système externe au détriment du système d'attention endogène.

Le système externe donne lieu à une forme d'attention toute particulière : la distractivité. Quand vous jouez au jeux-vidéos, vous devenez propice à la distraction. Quand on entend que le jeu-vidéo requiert une forme d'attention, c'est sans doute vrai, mais qui est strictement à l'opposé de l'attention dont on aura besoin pour réaliser une carrière scolaire honorable. Ces deux systèmes sont frontalement opposés. Il faut pouvoir filtrer, dans le cadre du travail, la "distractibilité" pour pouvoir se concentrer sur des stimuli neutres. Lachaux le disait bien : l'attention, c'est pouvoir se concentrer sur des stimuli ennuyeux.

Et c'est un autre des problèmes que posent les écrans, essentiellement à l'enfant. Les enfants ne savent plus s'ennuyer. Or l'ennui est fondamental dans le développement des zones associées à l'imaginaire et à la créativité. Je parlais également de problèmes liés à la transposition, tout à l'heure : un enfant qui vit dans une maison avec un écran (particulièrement la télévision, mais c'est également valable pour les autres écrans) entend deux fois moins de mots en moyenne. Des études menées notamment par Harvard soulignent cette situation inquiétante : un jeune issu d'un milieu favorisé mais vivant dans une maison avec une télévision apprendra 7 % de mots en moins par heure consommée de télévision. Ce jeune n'aura au final que le niveau de développement langagier d'un enfant autrement plus défavorisé.

Egalement, les écrans posent un souci en matière de sédentarité : on bouge nettement moins depuis leur arrivée dans la vie de tous les jours. Or le corps est fait pour bouger, et finalement, les études démontrent qu'un adulte qui passe deux heures devant un écran à deux fois plus de chances de décéder suite à un arrêt cardio-vasculaire qu'un adulte qui n'y passe qu'une heure.

Pour autant, est-il possible, aujourd'hui, de vivre sans écran ? Comment se protéger vis-à-vis des dangers qu'ils représentent ?

C'est possible ! Je le fais. Bien entendu, cela dépend ce qu'on appelle vivre sans écran. Les écrans sont utilisés par les jeunes à 90 % ou 95 % dans un but récréatif. Est-ce qu'il est possible de se passer des écrans dans le cadre du travail ; la réponse est non, évidemment. Est-ce qu'il est possible de supprimer les usages récréatifs des écrans sans que les enfants en souffrent ? Oui. Les études le montrent : les enfants éloignés des écrans n'en souffrent pas, ne sont pas des parias sociaux. Ils ne se jettent d'ailleurs pas dessus dès qu'ils voient un écran, comme des morts de faim. Il faut simplement prendre le temps d'expliquer pourquoi les écrans peuvent être dangereux.

Est-ce qu'il est souhaitable de supprimer les écrans ? Je ne sais pas. De diminuer drastiquement le temps d'usage récréatif ? La réponse est oui. Mille fois oui. Aucun individu honnête ne pourra dire l'inverse. On ne peut pas décemment encourager les gens à rester 8h durant derrière un écran. C'est insensé. Un peu d'écran en moins, c'est beaucoup de vie en plus pour tout le monde. Une heure passée devant la télévision, c'est 22 minutes de vie en moins. C'est le même principe que la cigarette : une cigarette ne tue pas, mais quand on fume de façon chronique et que vous divisez le temps d'espérance de vie perdu par cigarette, on tombe sur un résultat comparable. La télévision coûte en moyenne deux à deux ans et demi d'espérance de vie. Chez l'adulte, l'obésité est directement liée à l'usage de la télévision.

Tout n'est pas négatif dans les écrans pour autant. Ils ont leurs défauts intrinsèques, néanmoins l'usage qui en est fait est aussi négatif. On entend toujours parler de l'usage qui pourrait en être fait. Bien sûr il pourrait y avoir un usage sympathique et utile, de façon raisonnable. Aujourd'hui cet usage est massivement délétère.

Vous comparez écrans et cigarettes. Les écrans sont-ils devenus une drogue ?

C'est un débat compliqué. Il y a bel et bien un phénomène d'habituation, mais ce ne sont pas les mêmes mécanismes physiologiques qui sont impliqués dans l'addiction aux écrans. On parle parfois d'addiction psychologique. Je trouve que ce terme correspond plutôt bien. Il y a de plus en plus de gens dans un état d'inquiétude peu commun dès lors qu'ils n'ont plus accès à leur téléphone portable.

C'est avant tout un problème de termes : on ne peut pas parler d'addiction puisque c'est très différent, physiquement parlant. On peut parler de dépendance.

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