Les cinq conditions pour un retour pérenne de l’industrie en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Un employé dans l'usine Airbus de Bouguenais (Loire-Atlantique).
Un employé dans l'usine Airbus de Bouguenais (Loire-Atlantique).
©LOIC VENANCE / AFP

Conditions sine qua non

Un rebond pérenne de l’industrie de moyenne gamme en France nécessite un certain nombre d’éléments qui ne sont pas du tout présents dans le pays. Voire sont niés en bloc.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Un rebond pérenne de l’industrie de moyenne gamme en France nécessite un certain nombre d’éléments qui ne sont pas du tout présents, pas même à l’horizon, et dont certains sont encore niés ou refusés en bloc :

1/ Pas de retour de l’industrie sans industriels 

Je n’ai rien contre la BPI, la Caisse des dépôts et Bercy, mais pour un retour de l’industrie mieux vaudraient des capitaines d’industrie. Où sont les Raoul Dautry, les Marcel Boiteux modernes ? Pour ne prendre qu’un exemple, pour un retour de notre industrie spatiale aujourd’hui sauvagement disruptée, il faudrait idéalement un sous-Musk, ou un sous-Beck, et nous avons un Stéphane Israël qui a passé le plus clair de ces 10 dernières années à minimiser tous les progrès effectués par les autres. Son ancien mentor Montebourg croit en la « remontada », je dis pourquoi pas, mais : pas à casting constant. 

2/ Pas de retour de l’industrie de moyenne gamme avec un euro trop cher

Oui je sais c’est très sale d’en parler. Oui je sais les « spécialistes » nous disent que la juste valeur d’un euro contre dollar se situe autour de 1,2, et que nous ne serions donc pas en zone de cherté : mais ce chiffre dit d’équilibre n’a pratiquement pas varié depuis 20 ans, depuis une période où Nokia valait Apple, où les officiels européens nous promettaient le leadership dans l’économie de la connaissance, etc. Il faudrait peut-être reconnaitre que le monde a changé et pas dans notre sens, que nous ne pourrions même plus remonter les taux d’intérêt, que nous avons été l’épicentre des dégâts du Covid et que la géopolitique n’arrange rien. En bref l’euro n’est pas fort mais cher, et à 1,1 contre USD il fera revenir les tendances à la japonisation et à la désindustrialisation dès que le prix des hydrocarbures se calmera un peu. On peut ergoter sur 2 centimes de gain de productivité différentielle qui seraient offerts par des « réformes » sur 10 ans, mais c’est peu de chose si nos produits sont facturés 25 centimes trop chers du fait d’un taux de changes que nous devrions mettre à l’équilibre en quelques mois. C’est particulièrement vrai pour l’industrie de moyenne gamme, je me fais moins d’inquiétudes pour Hermès ; or ce segment moyen est justement celui qui est le plus attaqué par notre réglementation délirante et le plus affecté par la crise énergétique en gestation. 

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3/ Pas de retour de l’industrie avec le matraquage réglementaire et fiscal en cours 

La réglementation sans cesse croissante, du code du travail au code de l’urbanisme en passant par l’hyperinflation des textes « verts », n’est pas compatible avec un retour significatif, macroéconomique, de l’industrie. On le voit bien avec l’usage maximaliste du principe de précaution, qui mine notre filière nucléaire et qui détruit notre agri-business à petit feu. On se retrouve avec une main d’œuvre trop chère en plus d’être mal formée, mais surtout avec une incertitude juridico-administrative de tous les instants qu’il faut bien intégrer au taux d’actualisation quand on se lance dans un projet industriel sur 10 ou 20 ans.  

A cela s’ajoute la fiscalité ; dont on nous dit qu’elle s’améliore, que Macron va s’attaquer aux impôts de production, et blablabla. Hélas non : vu la situation de nos finances publiques, et vu ce qu’il va falloir balancer de toute urgence dans les années qui viennent dans les hôpitaux, les armées, la police et la justice, je doute qu’il reste grand-chose pour des baisses d’impôts véritables. Nous avons mangé notre pain blanc avec les programmes stupides à la Thierry Breton, les aides aux canards boiteux (Renault, Air France…), et autres effets d’aubaine sectoriels destinés à des spécialistes dans la prédation des ressources publiques (éolien, hydrogène, supercalculateurs, licornes bidons, etc.). Et je miserai plutôt dans les années à venir sur une fiscalité verte 100% hypocrite qui par son protectionnisme tuera le peu d’industrie qui nous restera en prétendant la sauver. 

4/ Pas de retour de l’industrie avec une énergie chère et non pilotable

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Il est délicat de relancer l’industrie sans électricité pilotable. A fortiori si l’on souhaite se lancer dans la 5G, les véhicules électriques, le cloud, etc. Nos centrales nucléaires sont de plus en plus souvent arrêtées, et les futures centrales promises par Macron arriveront au mieux en 2038. Le gaz russe pose quelques problèmes, on veut sortir du charbon, etc. Vous me direz que l’on peut progresser dans le stockage avec les batteries ; c’est très vrai, sauf que, là encore, « l’airbus européen des batteries » tant communiqué ne me parait pas être piloté par des gens qui pourraient envoyer leurs CV chez Tesla avec des chances d’être pris. 

5/ Et, sans être particulièrement nationaliste, il serait bon qu’un éventuel retour de l’industrie françaises profite à quelques entreprises françaises

Notre capitalisme sans capital a ceci de pénible qu’il préserve les apparences mais qu’il éteint la substance ou la transfère vers la veuve de Milwaukee ou le retraité de Pensacola. C’est le fruit de notre refus hypocrite des fonds de pension, de notre attachement buté au régime par répartition, et à l’incapacité de l’Etat à faire la moindre provision. Le risque est qu’un retour de notre industrie ne se fasse que via des boites contrôlées par des fonds de private equity américains. Il y a bien quelques solutions, mais elles sont toutes rejetées par l’establishment parisien : en particulier, un vrai capitalisme populaire, distributiste (on ne fait que doper un peu la participation et l’intéressement pour quelques cadres), et la fin de l’avantage fiscal en faveur du financement par la dette et en défaveur du financement par les fonds propres.      

Au total, un renouveau de l’industrie en France est inséparable d’une monnaie moins dysfonctionnelle (moins allemande), d’une plus grande modestie réglementaire, d’un changement des hommes et plus encore d’un nouvel état d’esprit. Il est plus probable que nous dissimulerons toujours plus nos faiblesses par des subterfuges moraux, verdâtres et néo-protectionnistes. Mais au moins nous savons la distance qu’il y a à l’objectif, on ne peut pas en dire autant sur de nombreux dossiers et en particulier dans notre « gestion » de la crise ukrainienne.       

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