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Les barricades de la libération de Paris : mythe romantique ou réalité militaire ?
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Bonnes feuilles

Aux premières histoires de la libération de Paris ont succédé les grandes polémiques comme la lancinante mise en accusation des communistes par les gaullistes à propos des tireurs des toits. Jean-François Muracciole éclaire l’événement sous des angles négligés jusqu’ici. Extrait de "La Libération de Paris" (1/2).

Jean-François  Muracciole

Jean-François Muracciole

Spécialiste de la Résistance et de la France libre, Jean-François Muracciole enseigne à l’université Paul Valéry de Montpellier. Il est l’auteur, chez Tallandier, de «Les Français libres, l’autre Résistance» (2009).

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Au cours de la bataille, plus de 600 barricades surgissent du pavé parisien comme aux plus belles heures des insurrections du XIXe siècle. S’agit-il de la résurgence d’un mythe romantique ou ont-elles eu une réelle utilité militaire ?

Il est délicat d’engager la comparaison avec les événements de 1830, 1838, 1848 ou 1871 tant la topographie de la ville et la nature des combats ont changé. Par certains aspects, les barricades d’août 1944 tendent la main à leurs devancières du XIXe siècle : mêmes matériaux, même soin attentif de la construction, même brassage social qui associe petit peuple et classes moyennes. Si, dans les deux cas, le nombre de barricades est le même (autour de 600), force est de constater que la localisation et le rôle de ces barricades sont profondément dissemblables. La géographie des barricades au XIXe siècle demeure fortement corrélée à celle du Paris ouvrier du centre de la ville et des faubourgs de l’Est. La carte des barricades d’août 1944, dressée dès 1947 par l’historien Adrien Dansette, révèle une tout autre logique, beaucoup plus technique que sociale.

Certaines barricades répondent à des exigences militaires et se concentrent autour des quadrilatères allemands qu’elles entendent ainsi contrôler. On les trouve donc, pour la première fois, dans les quartiers bourgeois de l’Ouest et de la Rive gauche : autour de la très chic avenue Kléber où se trouve l’hôtel Majestic ou aux environs de la porte Maillot, de la Chambre des députés ou encore de l’École militaire. On est loin du Paris ouvrier des faubourgs de l’Est, à l’exception des barricades qui encerclent la caserne de la République.

Les barricades peuvent aussi avoir pour fonction de menacer les axes de circulation vitaux pour les Allemands : ainsi aux abords du boulevard Saint-Michel, le grand axe nord-sud de la capitale. Mais la très grande majorité des barricades se forment spontanément et répondent à une logique avant tout urbanistique, se concentrant dans les parties de la ville épargnées par l’haussmannisation. Il n’est pas question ici de contrôler les centres de pouvoir et les axes de circulation. Mais ce que la barricade perd en intérêt militaire, elle le gagne en sécurité et en force politique, la topographie de la ville et l’absence d’enjeu permettant de mieux la défendre. Ainsi est-il frappant d’observer le grand nombre de barricades dans toute la ceinture sud de Paris, sur les emplacements des anciens villages annexés en 1860 et où la marque d’Haussmann est beaucoup moins forte qu’ailleurs : à Grenelle, au coeur du très du paisible XVe arrondissement, autour de la non moins paisible porte Dorée en passant par Vaugirard ou la place d’Italie. De même trouve-t-on une autre forte concentration de barricades dans le Paris à l’habitat demeuré très dense qui s’étend entre l’Opéra et la gare du Nord.

Si les barricades ont prospéré en août 1944, répétons que c’est avant tout parce que les Allemands, sauf exception, n’ont pas cherché à les détruire. L’urbanisme parisien d’août 1944 n’est plus celui de juin 1848. L’haussmannisation a transformé le visage de Paris. La barricade qui bloquait effectivement la ville au XIXe siècle, et possédait ainsi une réelle efficacité militaire, ne bloque plus rien au XXe siècle. Peu importe aux Allemands que la rue de la Huchette soit barricadée à ses deux extrémités (elle ne présente strictement aucun enjeu) du moment que leurs blindés peuvent circuler sur les boulevards Saint- Germain et Saint-Michel et faire le lien entre leurs points fortifiés des deux rives de la Seine.

Sauf très rares exceptions (comme autour du Palais-Bourbon), les barricades ne jouent aucun rôle militaire dans la bataille de Paris, gênant même parfois le mouvement des blindés de Leclerc qui devront raser plusieurs d’entre elles. La force de la barricade est devenue essentiellement symbolique. Réminiscence des luttes du XIXe siècle, elle est l’affirmation politique plus que militaire de la souveraineté du peuple de Paris. Les événements de mai 1968 porteront à l’extrême la logique de cette utilisation symbolique, presque théâtrale, de la barricade.

Extrait de "La libération de Paris", Jean-François Muracciole, (Editions Tallandier), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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