Les baby-boomers sont la génération la plus riche de l’histoire : pourquoi dépensent-ils aussi peu ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les baby-boomers ont tendance à épargner et à transmettre leur capital à leurs héritiers
Les baby-boomers ont tendance à épargner et à transmettre leur capital à leurs héritiers
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Epargne

Les baby-boomers dépensent très peu leur argent ou leur fortune accumulée. Que cache cette tendance ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Les baby-boomers représentent la génération la plus riche de l’histoire mais ils dépensent très peu leur argent ou leur fortune accumulée. Au lieu de dépenser leur argent, les baby-boomers ont tendance à épargner ou investir dans l’immobilier. Pourquoi dépensent-ils si peu et qu’est-ce que cela cache sur leur comportement ?

Pierre Bentata : Il y a deux éléments essentiels. La première est que ce constat n'est que partiellement vrai. En réalité, cet effet de richesse des baby-boomers par rapport au reste de la population est vrai lorsque l'on observe les chiffres à un instant donné. Ils sont effectivement plus riches mais cela se comprend puisque comme ils constituent la génération quasiment la plus vieille et qu’ils représentent une population importante, il y a un effet de structure qui est fort. Ils ont été en mesure de se constituer un patrimoine là où les générations les plus jeunes ne l'ont pas encore fait. Ils sont donc bien les plus riches. Mais cette raison tient principalement à la démographie. The Economist a récemment montré que si vous regardez le revenu par âge et non plus le patrimoine, vous vous apercevez que la génération des boomers gagnait moins que la génération Z qui elle-même gagnait moins que les millennials, qui elle-même gagne moins que la génération d'aujourd'hui. Il y a un effet de croissance du revenu, notamment aux Etats-Unis qui est fort. Il y a un effet grossissant qui tient à la démographie.

Le deuxième élément essentiel est que le patrimoine représente une part importante de la richesse des baby-boomers. Les baby-boomers sont la génération qui a eu le plus l'occasion de se constituer un patrimoine. Ce phénomène est aussi une réalité en France. La classe moyenne, des personnes qui étaient des CSP, des CSP -, des ouvriers et des employés, ont été capables d'accéder à la propriété, parfois d'ailleurs, même au sein de la classe moyenne. Il n’était pas nécessaire pour eux de faire partie des personnes les plus riches pour acquérir un appartement par le passé. Ce bien immobilier est aujourd'hui en location ou a été transformé en résidence secondaire. La conjoncture a été excellente pendant la période d'activité des boomers. Ils ont pu acquérir un patrimoine qui est énorme et qui est constitué de biens immobiliers. Les baby-boomers donnent l’impression actuellement d’être dans une forme de frilosité car ils ont investi massivement dans des domaines et dans des postes qui sont peu risqués et qui en réalité ne favorisent pas la dynamique du marché.

Dans une optique purement keynésienne, il serait possible de se dire qu’il y a une sorte de capital mort car les baby-boomers ne l'utilisent pas pour réinvestir. Ce capital constitue une forme d'épargne. Mais en réalité, il faut se mettre à la place de cette génération. Lorsqu’ils ont commencé à arriver à la fin de leur carrière, là où ils étaient au pic de leurs revenus, ils ont été confrontés à des crises économiques successives. Les baby-boomers ont eu une stratégie parfaitement rationnelle. Ils se sont protégés, ce que tout le monde rêverait de faire. Ils en avaient les moyens. Les baby-boomers étaient ceux qui étaient le plus capable de le faire. Ils se sont protégés. Ils ont épargné très souvent pour leurs enfants et pour leurs petits-enfants, pour leurs héritiers. Il y a en plus le niveau des retraites qui est assez élevé en France. Cette génération a toujours été privilégiée et l'est toujours. Mais dans le même temps, elle a changé de rôle car, au lieu d'être à la charge des actifs, ils sont aussi aujourd'hui ceux qui prennent en main et qui accompagnent la génération d'en-dessous.

Selon les chiffres de The Economist, les baby-boomers américains, qui représentent 20 % de la population du pays, possèdent 52 % de sa richesse nette, d'une valeur de 76.000 milliards de dollars. En 1995, 46 % des ménages retraités affirmaient avoir épargné au cours de l'année écoulée. En 2022, c’était le cas de 51 % des ménages retraités aux Etats-Unis, selon des enquêtes de la Réserve fédérale.

Qu'est-ce que l’attitude des baby-boomers, concernant leur tendance à épargner ou à investir dans l’immobilier, nous dit de leurs choix et de leur perception du contexte économique, notamment pour leurs héritiers ?

Leur attitude et leur perception ne sont pas une aversion au risque. En revanche, cela témoigne d’une crainte d'un retournement de la situation économique ou d'une crise qui conduirait à un appauvrissement des générations futures. Or, rien ne laisse présager une telle situation au regard des données actuelles et de la situation économique. Les gens qui ont aujourd'hui une quarantaine d'années ont vécu des crises successives. Mais à chaque fois, la situation d'après crise a été meilleure que la situation d'avant crise. Il n'y a jamais eu dans l’époque récente ce vrai effet de retournement de l'économie. Mais l'environnement médiatique, entrepreneurial, le climat des affaires laisse penser que c'est le cas. Lorsque vous êtes retraité aujourd'hui et que vous avez des enfants qui en plus font des études de plus en plus longues et qui pendant longtemps ont eu du mal à entrer sur le marché du travail, cette génération qui a les moyens va épargner pour accompagner et mettre le pied à l'étrier de la génération d'après. La génération des baby-boomers ne va pas rentrer dans le fantasme de l’économie des têtes grises où tout un secteur tertiaire allait se développer au service des anciens. Les seniors sont dans une autre optique et préfèrent épargner et mettre à l’abri leurs héritiers et leurs proches. Au milieu des années 1990, les personnes âgées de 65 à 74 ans dépensaient 10 % de plus que ce qu’elles gagnaient, entamant leur richesse et leur patrimoine. Depuis 2015, les baby-boomers ont épargné environ 1 % de leurs revenus aux Etats-Unis. Le taux d'épargne des personnes de plus de 65 ans a chuté au cours des années 2000. Mais vers 2015, lorsque les baby-boomers ont commencé à prendre leur retraite, le déclin s’est arrêté et le taux d’épargne est reparti à la hausse. Les Américains héritent chaque année d’environ 50 % de plus que dans les années 1980 et 1990.

Avec la crainte de la pandémie ces dernières années, une inquiétude pour leurs héritiers et pour leur propre santé et leurs frais médicaux, les baby-boomers ont fait le choix d’épargner ou d’investir dans l’immobilier. Est-ce que ces choix des baby-boomers cachent une peur pour eux-mêmes ou des craintes pour leurs héritiers ?

Il est difficile de clairement déterminer si cela les concerne plus ou s’ils font majoritairement ces choix plutôt pour leurs héritiers. Mais plusieurs phénomènes contribuent à cette attitude. Les jeunes rentrent beaucoup plus tard sur le marché du travail. Ils sont donc beaucoup moins autonomes et ont besoin d’être accompagnés financièrement. Il faut parfois payer des études à un jeune jusqu'à ses 35 ans et il reste au domicile de ses parents jusqu'à 35 ans alors que la génération des baby-boomers quittait le domicile familial parental vers 20 ans et commençait directement à avoir une vie active. Ils préfèrent donc garder de l'argent pour la génération d'après. Ils s'aperçoivent aussi qu'il y a une difficulté, pas pour tous, mais notamment pour la classe la plus pauvre dans les régions qui ont le plus souffert de la globalisation, dans les anciennes zones industrielles où il y a vraiment la nécessité d’accompagner les jeunes générations car les revenus ne suffisent pas. Il y a donc un effet de solidarité intergénérationnelle qui est à l’oeuvre. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le taux d’activité des personnes âgées de 55 à 64 ans a récemment atteint un niveau record de 66 %.

Le discours ambiant explique également que le système des retraites n'est pas soutenable, ce qui est en partie vrai. Mais il y a également un bouleversement dans la médecine avec une quantité de nouveaux traitements qui arrivent et qui ont pour objectif d'augmenter l'espérance de vie. Mais cela est difficilement finançable. Il y a un effet égoïste des baby-boomers qui se disent si nous souhaitons continuer à profiter de la vie, puisque la collectivité ou l'État providence ne peuvent pas subvenir à mes besoins, il va bien falloir que nous gardions de l'argent afin de pouvoir payer nos propres traitements.

Qu'est-ce que l’attitude des baby-boomers révèle sur le contexte économique global ou sur le plan macroéconomique ?

Il y a une sorte de défiance vis-à-vis du fonctionnement de l'État providence. Cette crainte de la part des baby-boomers est assez légitime. Nous n’arrivons déjà pas à avoir un Etat providence qui soit capable de financer l’inactivité des jeunes. L’éducation est subventionnée mais il n’est pas possible de leur permettre de mener un train de vie décent lorsqu’ils sont étudiants. Il va bien falloir que quelqu'un apporte son aide ou une contribution. Il est difficile également de financer en même temps le système de retraites. Dans le contexte actuel, il y a aussi une augmentation des prix de l'immobilier dans les endroits qui sont les plus attractifs. Il est donc beaucoup plus difficile pour les primo entrants sur le marché du travail de trouver un logement. Les pensions de retraite risquent de baisser également. Tout cela démontre que l'État providence, tel qu'il a existé, est en train de se déliter. Cette défaillance est liée à la transformation de l'économie. L’Etat providence n’est plus adapté à l’évolution de la société. La réalité actuelle contraint les baby-boomers à soutenir et à aider les jeunes générations, leurs héritiers. 

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