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Les années 10 ou l’irruption d’un risque sociétal pour les entreprises
©Reuters

Bilan des années 2010

A l'occasion de la fin d'année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de l'année. Eddy Fougier revient aujourd'hui sur l'émergence, au cours de ces 10 dernières années, d'un risque sociétal pour les entreprises.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Août 2009, des activistes qui participent au camp Action climat organisé à Notre-Dame-des-Landes (NDDL) en Loire-Atlantique décident de rester sur la zone où doit être construit un aéroport. Ils créeront plus tard une Zone à défendre (ZAD). Décembre 2019, sous la pression de la société et de la société civile et suite à des arrêtés municipaux pris par de nombreux maires, le gouvernement décide de créer des zones de non-traitement (ZNT) entre les champs où sont épandus des produits phytosanitaires et les habitations. 

En France, l’un des événements majeurs de cette décennie pour les entreprises est, en effet, l’émergence d’un risque de nature sociétale. Elles encourent désormais un nouveau risque dans les interactions qu’elles peuvent avoir avec la société, et notamment avec de nouvelles parties prenantes à leurs activités que sont les médias généralistes, les organisations de la société civile (OSC), des citoyens « engagés », des riverains à une échelle locale (citoyens, collectifs et élus locaux) et des groupes radicaux qui recourent à des actions illégales et souvent violentes. 

Cinq ruptures se sont ainsi produites durant la décennie 2010 qui représentent autant de « chocs » pour les acteurs économiques car ce qui n’était pas envisageable auparavant est devenu une réalité pour eux. 

La première rupture est l’intérêt de plus en plus manifeste des médias généralistes pour l’activité de ces acteurs, dont le grand symbole est bien évidemment l’émission Cash Investigation, qui a été créée en 2012, Ces médias tendent généralement à dénoncer le scandale dont une grande entreprise se serait rendue coupable.

On a assisté également à deux autres ruptures majeures. Un certain nombre d’activités, qui ne faisaient pas nécessairement l’objet d’une contestation auparavant, ne sont plus vraiment ou même plus du tout acceptées socialement et territorialement. Le cas emblématique de ce point de vue est celui des pesticides. On l’a vu récemment avec la controverse autour du glyphosate, les initiatives de municipalités après celle de Langouët pour instaurer des ZNT, la pétition des « coquelicots » en faveur de l’interdiction des pesticides de synthèse, les publicités de certains distributeurs bio, ou encore les émissions à charge sur le sujet présentées par Elise Lucet. On voit bien que de plus en plus d’activités économiques sont concernées, notamment celles qui sont fortement émettrices de gaz à effet de serre. Outre les énergies fossiles, c’est de plus en plus le cas du transport aérien, avec le désormais fameux flygskam suédois (honte de prendre l’avion), de l’automobile et de plus en plus du numérique et d’internet. 

La quatrième rupture est celle d’une forme de radicalisation des actions et du discours des associations et des ONG. Elles sont de plus en plus tentées par les actions de désobéissance civile susceptibles d’attirer l’attention des médias, comme on l’a vu, toujours friands de scandales impliquant un « gros », et qui ne se contentent plus de vouloir remettre en cause les excès ou les dérives d’un système de production, mais sa nature même. L’exemple sans doute le plus significatif ces dernières années est celui de l’organisation de protection animale L214, qui, par la médiatisation de ses vidéos « choc » filmées dans des abattoirs ou des élevages en batterie, a largement contribué à décrédibiliser l’image de la filière viande aux yeux des consommateurs, alors même que cette association prône l’interdiction de l’élevage en tant que tel. 

Enfin, la cinquième et dernière rupture est l’intérêt des groupes radicaux pour les activités économiques : des zadistes aux antispécistes qui s’introduisent dans les élevages en passant par les « ultras » (gauche ou jaune) qui dégradent des commerces en marge de mobilisations, des activistes qui s’en prennent à Enedis et aux compteurs Linky ou encore des Faucheurs volontaires d’OGM. Là aussi, on a pu observer une montée en puissance ces dernières années de ce type d’actions qui se sont souvent révélées « efficaces » : fin de la recherche publique en France sur les OGM, échec des projets de retenue d’eau de Sivens (2014) ou d’aéroport de NDDL (2018).

Face à ce risque de nature sociétale, les entreprises ont généralement quatre types de réactions. Certaines ne veulent rien entendre et font le gros dos en attendant que l’orage passe et en cherchant avant tout à riposter aux attaques. La seconde réaction est celle des entreprises qui entendent les critiques et qui en tirent la conclusion selon laquelle elles doivent mieux communiquer sur leurs pratiques et donc s’efforcer d’améliorer leur acceptation sociale et territorial. A l’instar de ce qu’a fait INTERBEV, l’interprofession de l’élevage et de la viande, avec sa campagne reprenant à son compte le concept de flexitarisme, prôné par les anti-viandes, consistant à manger moins de viande, mais de meilleure qualité. Une troisième réaction est celle des entreprises qui écoutent les critiques et choisissent d’en faire un levier d’innovation ou de différenciation vis-à-vis de la concurrence, à l’instar de la compagnie aérienne KLM qui a créé un site pour inciter ses clients ne pas prendre l’avion (« Fly Responsibly »). Enfin, certaines entreprises se sont engagées d’elles-mêmes dans une transition souvent de nature écologique, comme c’est le cas par exemple d’une entreprise comme Patagonia. 

Les entreprises les plus vulnérables sont donc dans l’obligation désormais d’obtenir un « permis social d’opérer » de la part de ces nouvelles parties prenantes. En effet, si elles ne le font pas, ou si elles n’obtiennent pas ce permis, elles risquent de passer sous une forme de « contrôle social » et d’être sous la menace de quatre formes de sanctions possibles. La première est une réglementation plus stricte de leurs activités par le gouvernement sous la pression de la société et de la société civile, voire d’un moratoire ou même d’une interdiction. On l’a vu avec l’instauration des ZNT. La seconde est une décision de justice suite à un contentieux visant là aussi à limiter ou même à interdire une pratique.. La troisième est la sanction du marché qui peut se traduire par un boycott de facto de produits par les consommateurs et/ou par un buycott de produits alternatifs, par exemple sans substance incriminée (à l’instar des produits bio). Enfin, la quatrième sanction possible est le risque d’« ubérisation » sous l’influence d’acteurs économiques disruptifs qui entendent déloger les acteurs dominants sur un marché donné avec des produits et des services qui sont censés mieux répondre aux aspirations des consommateurs. L’exemple typique est celui des entreprises qui développent des substituts de viande à base végétale ou cultivées in vitro

Ne rien faire pour une entreprise, cela signifie forcément avoir à faire face à au moins l’une de ces sanctions et donc à la concrétisation de ce risque sociétal.

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