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Les 5 sages de l’économie allemande alertent sur "sa surchauffe" et mettent involontairement le doigt sur LE bug de la zone euro dans l’indifférence générale
©Capture écran France TV

Solidarité, was ist das ?

Un rapport des conseillers économiques du gouvernement allemand met en garde contre un risque de surchauffe de l'économie allemande.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Selon un rapport des conseillers économiques du gouvernement allemand, l'économie allemande risque la surchauffe -"Il y a des signes évidents de surutilisation des capacités économiques"- ce qui justifierait les appels de la Bundesbank à un arrêt rapide de la politique menée par la Banque centrale européenne. Quels sont ces risques redoutés pour l'économie allemande ?

Nicolas Goetzmann : La croissance allemande devrait être de 2% pour cette année 2017 et de 2.2% pour l'année 2018, et ce, dans un contexte de "quasi" plein emploi. Lorsque l'économie continue de croître alors que le marché de l'emploi est "serré, la conséquence la plus évidente est une pression à la hausse sur les salaires. La croissance est signe de hausse de la production, ce qui entraine une nécessité de recruter pour les entreprises. Or, puisque le plein emploi est atteint, le seul moyen d'attirer les salariés dans une entreprise plutôt qu'une autre, est d'offrir de meilleures conditions salariales. C'est ce qui est identifié comme un "risque" par les "sages" allemands. Du point de vue des salariés, et de la consommation, il s'agit d'une bonne nouvelle, mais ce sentiment n'est apparemment pas partagé par tous. La question est alors pourquoi ? Il y a ici plusieurs éléments de réponse. Le premier est que la hausse des salaires se traduit par une érosion consécutive des marges, puisque la part des salaires progresse. Le second est que ce double résultat- hausse des salaires (et donc de la consommation) / baisse des marges, a un effet direct sur la balance commerciale d'un pays car une celle-ci conduit à un affaissement de l'excédent commercial allemand. Enfin, et en dernier lieu, une hausse des salaires va conduire à une perte de "compétitivité" du pays par rapport à ses homologues européens, ce dont Berlin ne veut pas. La conclusion est que le risque qui est aujourd'hui identifié par les conseillers économiques du gouvernement de Berlin ne concerne que la position de puissance du pays en Europe, et le maintien de cette domination sur le continent. Parce qu'en dehors de cela, la zone euro aurait, pour sa part, intérêt à ce que les salaires augmentent. Et cela est justement ce que le FMI ou l'OCDE préconisent pour la zone euro. Ne pas accepter que "la roue tourne" au sein de la zone euro, comme elle a tourné au bénéficie de l'Allemagne dans le courant des années 2000, c'est refuser un fonctionnement coopératif au sein du continent.

Rémi Bourgeot : Les experts du Sachverständigenrat avancent un argument technique : la croissance allemande, qu’ils estiment à 2% pour cette année et 2.2% pour l’an prochain, dépasserait la croissance potentielle de long terme, qu’ils estiment à seulement 1.4%. Derrière cet argument technique tout à fait abstrait et discutable, ils développent en réalité une vision très politique de l’économie allemande dans le contexte européen, rejetant toute idée qui s’apparenterait à une solidarité accrue au sein de la zone euro et même à l’idée de renforcer ou transformer le Mécanisme européen de stabilité. Ils vont ainsi plus loin encore qu’une simple opposition frontale à l’idée d’Emmanuel Macron de créer un véritable budget de la zone euro. Ils rejettent même les idées alternatives beaucoup moins volontaristes que les conservateurs allemands ont opposées aux projets français. Ils expriment ainsi le fond de l’opposition de l’establishment allemand à la vision traditionnelle de l’élite française d’un « gouvernement économique européen ». Evidemment le keynésien de l’institution, Peter Bofinger, a un son de cloche différent lorsqu’on lui donne la parole dans les médias, aussi bien sur le fond de l’analyse économique que sur la vision politique, mais sa présence même relève essentiellement du souci d’afficher un semblant de diversité idéologique.

Au-delà des arguments politiques et idéologiques sur une surchauffe imaginaire et le mirage d’une inflation forte, les économistes du Conseil pointent en réalité les divergences d’intérêts entre l’Allemagne et le Sud de la zone euro en ce qui concerne la politique monétaire de la Banque centrale européenne. L’écrasement des taux d’intérêt qu’induisent les achats de la BCE pénalisent la forte population des retraités et épargnants allemands ainsi que les assureurs du pays qui ne cessent d’alerter le gouvernement. Par ailleurs, l’écrasement des taux a encouragé une hausse des prix de l’immobilier, qui sont traditionnellement plus bas en Allemagne qu’en France en particulier. Cette hausse de l’immobilier entre en contradiction avec la stratégie de compression salariale qui repose également sur un coût de la vie bas, au pays d’Aldi et de Lidl.

Par ailleurs, ils semblent désigner par « surchauffe » ce que l’on appelle plus traditionnellement le plein emploi, ou en tout cas une situation qui s’en rapproche. La faiblesse du chômage n’a néanmoins pas entraîné un fort rattrapage des salaires. Et l’excédent commercial allemand défie toutes les normes mondiales en la matière. Mais on a tendance à sous-estimer les risques qui pèsent sur les modèles économiques déséquilibrés lorsqu’ils semblent en parfaite santé. L’Allemagne est enfermée dans un modèle économique qui repose sur la compression des coûts salariaux et par intégration manufacturière de l’Europe centrale. L’excédent commercial est davantage un corollaire du modèle de croissance qui lui a permis de se sortir de la crise des années 1990-2000. Une véritable hausse des salaires allemands irait dans le sens d’un rééquilibrage européen mais mettrait en péril ce modèle. L’idée de « surchauffe », si elle plus que questionnable d’un point de vue conjoncturelle, pointe surtout les limites du modèle allemand.

Comment s'imbrique l'identification de ce risque dans la poursuite de la stratégie économique européenne ? Quelle différence entre les intérêts défendus par l'Allemagne et ceux de la zone euro prise dans son ensemble ? Quelle place donner à la France dans cette situation ? 

Nicolas Goetzmann : Pour se rendre compte de l'absurdité de la position allemande, il faut se référer aux statistiques de la zone euro. L'ensemble affiche un taux de chômage de 8.9% alors que celui de l'Allemagne est de 3.6%. Il y a donc une déconnection forte entre la moyenne de l'ensemble et la position du plus puissant de ses membres. Dans un tel cas, la question est de savoir si la stratégie économique de la zone euro doit être dessinée en fonction des intérêts de Berlin ou en fonction de l'intérêt général. Soit c'est l'intérêt général et la BCE doit poursuivre son action monétaire, ce à quoi l'Allemagne s'oppose, soit c'est l'objectif de Berlin qui doit être respecté et la BCE doit arrêter. Et nous avons ici le parfait exemple du dysfonctionnement structurel de la zone euro. Faut-il accepter servilement la poursuite de l'intérêt du plus fort, ou faut-il tenter de rééquilibrer la situation au profit de l'intérêt général ? Si le soutien donné par la BCE à l'économie de la zone euro est arrêté, quelles sont les leçons que la Grèce (21% de taux de chômage), l'Espagne (16.7%), l'Italie (11.1%), et la France (9.7%) devront en tirer ? Que leurs intérêts ne sont pas ceux défendus au sein de la zone euro.

L'exemple qui illustre bien cette situation, ce sont les États Unis. Le pays raisonne en termes de chômage au sens national, c’est-à-dire dans la zone de compétence de la Fed, qui est la Banque centrale du pays. Ce taux de chômage est de 4.1%. Il ne viendrait pas à l'idée d'un responsable américain de justifier l'arrêt d'une politique de soutien à l'économie parce qu'un État -fut il le plus puissant d'entre eux- aurait atteint le plein emploi dans une période où le taux de chômage national flirte avec les 10%. Il s'agirait d'une position indéfendable parce qu'elle ne correspondrait pas à l'intérêt de l'ensemble. C'est pourtant ce qui se passe en Europe, où il semble encore impossible de raisonner en termes d'intérêt général de la zone euro, alors que la seule présence d'une Banque centrale commune impose une telle approche.

Rémi Bourgeot : On voit prédominer en Allemagne une vision nationale de la politique, en particulier sur le plan économique. Les « Sages » du Conseil économique estiment que l’Allemagne est à pleine croissance, voire plus, et donc qu’il faut arrêter le programme de la BCE, d’autant plus qu’il a évidemment des effets secondaires en particulier pour le marché immobilier et toutes les institutions financières affectées par les taux d’intérêt extrêmement bas. Néanmoins, il faut identifier une dimension de politique européenne également dans leur positionnement. Le programme de la BCE n’a jamais été pensé comme illimité dans le temps. Mario Draghi joue littéralement les prolongations, conscient des pressions allemandes pour sa succession en 2019. Il continue le programme, sous une forme certes amoindrie, autant que l’équation politique européenne le lui permet, en ayant évidemment à l’esprit le risque de rebond supplémentaire du taux de change de l’euro.

Ces experts allemands, très politiques, font pression sur la scène nationale et européenne, pour accélérer la fin du programme, estimant que la reprise européenne a eu lieu et qu’il faut donner la priorité à l’équation économique allemande. Même chez certains économistes parmi les plus orthodoxes (pas tous naturellement) on a constaté à partir de 2014 une forme d’acceptation de la relance monétaire de la BCE. C’est ainsi que Jens Weidmann avait même défendu en 2016 Mario Draghi face aux éructations de Wolfgang  Schäuble.

Pour la France et le Sud de la zone euro, les risques financiers sont à peu près similaires mais la situation économique reste beaucoup plus préoccupante. On se réjouit naturellement du rebond de la croissance et d’une certaine décrue du chômage. Mais ces statistiques masquent un dur changement de réalité pour toute une génération qui connaît des conditions économiques préoccupantes qui ne sont plus celles que l’on associait autrefois au statut de pays développé. Ainsi pour la France et ces pays, chaque mois de relance monétaire permet de tenter de se hisser quelque peu sur le plan de la conjoncture, en l’absence d’une stratégie économique viable et d’un nivellement généralisé vers le bas, sur le plan aussi bien social que technologique.

Quels seraient les moyens de concilier les intérêts des uns et des autres ? 

Nicolas Goetzmann : La question est en elle-même le problème. Comment en est-on arrivé à une situation où l'intérêt général de la zone euro ne semble pas être la priorité de tous ? De cette question en découle une autre, plus curieuse encore, comment expliquer que la France, l'Espagne, ou l'Italie semblent accepter la perpétuation, au sein de la zone euro, d'une politique orientée vers l'intérêt du plus fort de ses membres, à leur détriment. Parce que techniquement parlant, les outils sont en grande partie à disposition. Et il faut saluer le rôle joué par Mario Draghi depuis la fin 2011, qui est parvenu à rééquilibrer, mais en partie seulement, une situation de déséquilibre flagrant. Désormais, l'enjeu pour la France et les autres, est de faire très attention à qui sera nommé gouverneur de la BCE en 2019, parce que l'Allemagne veut le poste. Parce que maintenant, l'objectif devrait être, pour l'ensemble de la zone euro, de poursuivre et d'amplifier le travail réalisé, pour en arriver au plein emploi européen, et à une progression suffisante des salaires en Europe pour rééquilibrer notre balance commerciale vis-à-vis du reste du monde; ce qui permettra de soutenir la croissance mondiale. Soit exactement ce qui est demandé à l'Europe par la plupart des membres du G20 depuis la survenance de la crise de la zone euro. 

Rémi Bourgeot : On ne peut que noter le décalage entre les objectifs institutionnels qui prédominent en France et en Europe du Sud et la réalité de l’absence d’une quelconque coordination macroéconomique au sein de la zone euro. On pourrait imaginer que si l’on évoque ce parachèvement institutionnel, ambitieux et en réalité inatteignable, c’est que les gouvernements coordonnent par ailleurs déjà leurs politiques macroéconomiques pour hisser l’Europe hors de la crise de façon durable. Or, la seule coordination relève du nivellement par le bas et la compression salariale dénuée d’orientation technologique.

L’Allemagne est mal à l’aise avec un excédent commercial aussi gigantesque qui lui vaut les critiques du monde entier, et dont les recettes financières ne servent pas à grand-chose. Le gouvernement allemand depuis la crise vise l’instauration d’un excédent budgétaire durable et croissant, au moyen d’une stratégie de désinvestissement dangereuse autant pour le pays, dont les infrastructures sont dans un mauvais état, que pour l’Europe qui souffre d’une demande anémique.

Une esquisse de négociation européenne commencerait par se concentrer sur l’incompatibilité entre ce biais macroéconomique court-termiste et la question d’un rééquilibrage européen. Mais l’idée d’un grand bond en avant fédéral satisfait davantage les règles de la grammaire institutionnelle française et européenne. Le fossé politique ne cesse de croître.

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