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Le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton s'exprime alors qu'il assiste à une conférence de presse sur la loi sur les marchés numériques, le 15 décembre 2020.
Le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton s'exprime alors qu'il assiste à une conférence de presse sur la loi sur les marchés numériques, le 15 décembre 2020.
©OLIVIER MATTHYS / POOL / AFP

Union européenne

La Commission européenne a proposé le Digital Market Act à l’adoption le 15 décembre 2020. Les institutions européennes en marge des discussions sur le DMA s'interrogent sur le rôle des « gatekeepers », des géants du numérique. Des obligations supplémentaires et plus contraignantes seront appliquées par le futur règlement européen.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Le 15 décembre 2020, la Commission européenne présentait le Digital Markets Act (DMA), pensé comme une révolution copernicienne destinée à renverser enfin le cours d’une histoire récente qui a vu l’Europe rater spectaculairement l’avènement de l’économie numérique. Depuis lors, ce texte a suivi le circuit de décision complexe de la majorité qualifiée. Il se trouve désormais au bord de l’adoption, un compromis ayant été trouvé il y a peu sous l’égide de la présidence tournante slovène du Conseil européen.

Rappelons-le ici avec clarté : penser, comme l’Europe, grisée par son mantra « je régule, donc je suis », que la norme juridique est à elle seule capable de faire advenir de ce côté de l’Atlantique des entreprises comparables aux gatekeepers – nouveau nom donné aux « super vilains » américains, c’est commettre une lourde erreur. Car si la norme juridique a évidemment un rôle à jouer, les raisons qui expliquent le succès des géants américains, répétons-le, tiennent évidemment à une série d’autres raisons qui renvoient au financement, à la profondeur du marché américain, à l’esprit d’entreprise etc.

Puisque l’Europe, tel le scorpion de la fable, fait ce qu’elle sait faire, c’est à dire réguler, il faut s’arrêter sur ce texte, il est vrai important. Et reconnaître qu’au-delà d’intentions difficilement condamnables, il n’est pas sans qualités. La première étant sans doute que certaines outrances poussées par la France, fâchée depuis toujours avec l’esprit d’entreprise et son corollaire la liberté d’entreprendre, n’ont pas été retenues.

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Qu’il soit cependant permis de souligner ici qu’il s’agit, une fois de plus d’une cathédrale pour juristes, lesquels en seront les grands bénéficiaires. Ceci pour trois raisons.

Premièrement, son imprécision. Au cœur du DMA se trouve posée la question de la définition des gatekeepers, c’est-à-dire des « donneurs d’accès ». Ces acteurs, que l’on présente, comme dans les films de science-fiction, détenant les clefs d’espaces numériques, doivent être définis. Or, si l’on considère l’article 3 qui liste les critères permettant de les identifier, il fait près de cinq pages ! L’existence de seuils de chiffres d’affaires – qui rappelle ceux utilisés en matière de contrôle des concentrations (règlement 139/2004) – ne suffit pas à garantir la sécurité juridique. Le texte prévoit donc un système d’échanges entre les gatekeepers putatifs et la Commission.

Deuxièmement, la question de l’articulation avec le droit de la concurrence est posée. Si l’existence même du DMA signe l’échec du droit de la concurrence européen qui n’est pas parvenu – ou du moins ceux qui le mettent en œuvre – à empêcher la situation actuelle, il prend soin de dire que le droit de la concurrence continue à s'appliquer. La question qui s’ensuit est évidemment de se demander comment ces deux droits vont s’articuler. Le DMA indique qu’ils n’ont pas les mêmes objectifs, le sien étant de préserver la « constestabilité » – concept bien connu de l’économie industrielle – et la juste (« fair ») concurrence sur et dans les marchés. Faut-il rappeler que la contestabilité et les barrières à l’entrée sont bien déjà un élément clé de l’analyse concurrentielle traditionnelle et que le rôle du droit de la concurrence européen est déjà de maintenir la concurrence « par les mérites » ? De même, le DMA indique que les gatekeepers ne sont pas nécessairement en position dominante, cette dernière étant centrale en matière de droit de la concurrence. Ceci est fort bien, mais alors, au nom de quoi porter le fer contre des acteurs qui, dépourvus de position dominante, ne pourraient pas exercer les effets nuisibles dans le marché que le droit de la concurrence traque déjà ? C’est faire bon marché de l’équilibre qui est au cœur du droit européen entre la liberté d’entreprendre, qui est la règle, et l’intervention dans le marché, qui est l’exception justifiée par la dominance. Plus largement, la question est posée de savoir qui mettra en œuvre le DMA et des risques de contradiction avec les décisions prises par la Direction générale de la concurrence.

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Troisièmement, comme si tout cela n’était pas assez complexe, se pose la question de l’articulation du DMA avec le reste du droit européen d’une part, et les droits matériels de Etats membres d’autre part, plusieurs de ces derniers ne rechignant pas à puiser dans des raisons politiciennes pour complexifier encore le dispositif d’ensemble.

En définitive, il est juste de dire qu’avec le DMA, l’UE s ‘apprête à adopter d’un texte important en ce qu’il signe l’échec du joyau de la couronne européenne qu’est le droit de la concurrence. Surtout, par la complexité et le flou des dispositifs qu’il prévoit, le DMA ne s’annonce pas seulement comme un casse-tête pour les entreprises visées qui devront immédiatement mettre en œuvre des obligations pourtant floues : il sera surtout un eldorado pour les juristes dans les années à venir. Était-ce vraiment l’objectif poursuivi ?

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