Le vieillissement, arme contre l’inflation (et de promotion de la déflation) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans un EHPAD à Haute-Goulaine, près de Nantes.
Dans un EHPAD à Haute-Goulaine, près de Nantes.
©LOIC VENANCE / AFP

Evolution démographique

Des chercheurs se sont penchés sur l'influence de notre évolution démographique sur notre économie, et notamment sur l'inflation.

Adrien Auclert

Adrien Auclert

Adrien Auclert est macroéconomiste et chercheur à l'université de Stanford

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Votre étude Demographics, Wealth, and Global Imbalances in the Twenty-First Century, analyse les effets présents et à venir de l’évolution démographique sur divers paramètres économiques. Quelles sont vos principales conclusions ? Quel est l’effet du vieillissement de la population sur l’économie ? 

Adrien Auclert : Cette étude, co-écrite avec des chercheurs de Stanford, Minnesota et Northwestern, cherche à comprendre les effets macroéconomiques du vieillissement de la population.  Nous prenons comme point de départ les statistiques publiées par les démographes. Ces statistiques sont frappantes : si on considère le monde dans son ensemble, la proportion d’adultes de plus de 50 ans a augmenté de 10 points depuis les années 50, et ce phénomène va s’accélérer dans les décennies à venir. Or, les études microéconomiques des comportements de consommateurs montrent que les adultes de plus de 50 ans sont, en moyenne, bien différents des moins de 50 ans. En particulier, ils travaillent moins et sont plus riches.

Que se passe-t-il lorsque leur proportion s’accroit dans la population du fait de l’évolution démographique ? Nous montrons qu’il y a un effet mécanique, dit de composition, qui est que la production chute, puisqu’il y a moins de travailleurs, et que la richesse augmente. Les modèles économiques standard nous disent que ce sont deux effets de niveau, qui n’affectent pas la croissance par tête à long terme : la richesse et la production continuent d’augmenter, mais leur rapport change. Notre étude calcule l’effet de composition de la démographie sur ce « rapport capital-revenu » et montre que cet effet est très important. Ainsi, aux Etats-Unis, des années 1950 à nos jours, l’effet de composition peut potentiellement « expliquer » la totalité de l’accroissement du rapport capital-revenu que Thomas Piketty et Gabriel Zucman ont documenté dans leurs importants travaux.

Sur cette période historique, il y a eu une forte augmentation du nombre d’adultes de 40 à 60 ans, qui sont les âges ou les Américains épargnent beaucoup pour se préparer à la retraite. Ce phénomène a augmenté la demande de capital privé. Dans le même temps, la génération dite du « baby-boom » a contribué à l’augmentation de la production, et cela a diminué la pression sur le rapport capital-revenu. Mais au total, nous calculons que l’effet sur la demande de capital a été le plus important.    

J’ai mis « expliquer l’accroissement historique du rapport capital-revenu » entre guillemets, car il y a eu d’autres développements macroéconomiques qui ont eu lieu sur cette période : par exemple, une faiblesse de la croissance de la productivité, une augmentation des inégalités et du pouvoir de monopole de certaines grandes entreprises, et une chute des taux d’intérêt de long-terme. Ces phénomènes ont aussi un effet sur le rapport capital-revenu. Mais ils ne sont pas tous nécessairement lies à l’évolution démographique. Notre étude se concentre sur l’effet de l’évolution démographique car nous pouvons la quantifier. Nous pouvons ensuite utiliser cet outil de quantification pour faire des projections de l’effet du changement démographique au 21eme siècle.

Nos projections prévoient une très forte augmentation de l’effet de composition dans les 25 pays du monde couverts par notre étude. Le rapport capital-revenu devrait donc augmenter partout.

Une partie importante de notre étude se concentre sur les effets dits d’équilibre. L’épargne des retraités doit être investie quelque part : à domicile, dans les actions des entreprise ou la dette du gouvernement, ou bien à l’étranger. Quand la demande d’actifs augmente, les taux d’intérêts doivent chuter pour inciter les entreprises et les gouvernements du monde entier à augmenter l’offre de capital. Notre étude calcule cet effet de la démographie sur les taux d’intérêt d’équilibre. Nous montrons qu’il est raisonnable de s’attendre à une diminution des taux d’intérêt de long-terme d’environ 120 points de base a d’ici la fin du 21eme siècle.

Peut-on ainsi considérer que le vieillissement de la population est un outil contre l’inflation ?

Vous avez raison que cette chute des taux d’équilibre a un effet déflationniste. Ce résultat est un fort contraste avec une hypothèse populaire que le vieillissement de la population est inflationniste, car il augmente le nombre d’agents consommateurs de biens par rapport au nombre d’agents qui produisent ces biens. Un livre récent par Charles Goodhart (un ancien banquier central) et Manoj Pradhan défend cette thèse. Nous montrons que ce raisonnement est incomplet car il ne prend pas en compte l’effet du changement démographique sur l’investissement, qui est un autre déterminant important de la demande de biens.

Notre modèle prévoit une forte chute de l’investissement du fait du changement démographique. Ce résultat est très logique : dans un modèle macroéconomique standard, l’investissement de long terme est proportionnel à la croissance totale du PIB. Or, les projections démographiques prévoient une chute importante du taux de croissance de la population mondiale. Ceci fait directement chuter le taux de croissance du PIB, et donc l’investissement devrait donc fortement chuter. Cette chute de l’investissement est un phénomène tout à fait naturel que l’on observe dans les pays dont la croissance démographique chute, mais peu d’économistes ont reconnu l’importance de ce phénomène sur la détermination de l’inflation.

Est-ce qu’on devrait donc plutôt s’attendre à de la déflation dans les décennies à venir ? Cela dépendra de deux facteurs : la réponse de la politique monétaire, et la réponse de la politique fiscale.

En principe, une politique monétaire bien conduite peut éviter l’effet déflationniste du vieillissement de la population en baissant suffisamment les taux d’intérêts nominaux. Si notre étude est correcte, dans le long-terme, les taux nominaux devraient être 120 points de base plus bas qu’ils ne le sont aujourd’hui. Le problème en pratique est que les taux nominaux sont déjà très bas, donc il sera difficile de les baisser davantage. Si les banques centrales ne trouvent pas de moyen de baisser les taux en dessous de zéro, ou d’augmenter leur cible d’inflation moyenne, on pourrait s’attendre (toutes choses égales par ailleurs) a de la déflation. Ou du moins, cela sera une force de lutte contre d’autres phénomènes inflationnistes.

L’un de ces phénomènes est justement la politique fiscale. En réponse à la crise économique mondiale générée par le covid-19, les gouvernements du monde entier ont beaucoup augmenté la dette publique. Dans notre modèle, une telle augmentation de la dette publique mondiale a l’effet inverse du changement démographique : elle consiste en un accroissement de l’offre d’actifs mondiaux, et donc augmente les taux d’équilibre et l’inflation. Une autre façon de répondre à votre question est donc de dire que le changement démographique laisse une certaine place aux gouvernements pour augmenter la dette publique sans pour autant que les taux d’intérêts augmentent ou qu’il y ait de l’inflation.

Votre étude compare 25 pays, quelles sont les principales différences observées dans votre analyse ?

Les 25 pays que nous étudions ont des démographies très différentes. Au Japon et en Allemagne, par exemple, la population a déjà beaucoup vieilli et les projections impliquent une démographie relativement stable dans les décennies à venir. En revanche, en Chine et en Inde, la population va beaucoup vieillir. La France et les Etats-Unis sont entre les deux.

Notre modèle prédit donc que l’excès épargne venue d’Inde et de Chine sera investi en Allemagne et au Japon. Une partie ira aussi aux Etats-Unis. Ce résultat est important, car les Etats-Unis ont déjà une très forte dette externe, alors que la Chine a déjà accumulé des actifs à l’étranger. Nos résultats suggèrent que ce phénomène de « déséquilibre mondial » va continuer. Et ce sera une conséquence tout à fait naturelle de l’inévitable évolution démographique.

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