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Le redoutable piège des APL : ce dispositif qui pervertit le marché de l'immobilier mais qui est devenu quasi irréformable
©Reuters

Mesurette

Le gouvernement a annoncé le 22 juillet la baisse de 5 euros par mois des aides personnalisées au logement (APL) une demi-mesure qui ne permettra pas de réformer en profondeur le marché de l'immobilier.

Vincent Bénard

Vincent Bénard

Ingénieur et économiste, Vincent Bénard analyse depuis plus de 15 ans l’impact économique et sociétal des décisions publiques, pour le compte de plusieurs think tanks et partis politiques promouvant les libertés économiques et individuelles.
 
Il est l'auteur de deux ouvrages “Logement, Crise Publique” (2007) et “Foreclosure Gate, les gangs de Wall Street” (2011).
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Atlantico : Que pensez-vous de la mesure prise par Emmanuel Macron de baisser les APL?

Vincent Bénard : Comme beaucoup d’annonces depuis l’élection présidentielle, celle-ci a le goût d’un verre aux trois quarts vide. Dans l’absolu, supprimer toute subvention au logement serait une bonne chose, mais à condition de s’intégrer dans un plan d’ensemble s’attaquant à la fois à TOUTES les subventions et TOUTES les causes artificielles de renchérissement du logement. L’annonce du jour, baisse de 60 euros par an des APL, est donc parfaitement anecdotique de ce point de vue. 

La rumeur fait circuler d’autres annonces pour le budget à venir, qui vont aussi dans le bon sens, comme la réduction, voire la supression des carottes fiscales de type Pinel au logement privé. Mais a contrario, on ne voit rien venir pour réformer notre système de logement social pourtant pernicieux, ou pour redonner aux propriétaires fonciers le pouvoir de construire en fonction de la demande de logement, notamment aux abords des métropoles dites tendues. De même, aucune suppression du catastrophique contrôle des loyers à Paris et à Lille ne semble envisagée. Enfin, le recentrage de l'ISF sur l'immobilier laisse craindre une nouvelle dégradation des rendements dans l'investissement locatif, mais là encore, faute de connaître le détail des mesures, on reste dans la supposition.

Si on se contente de baisser certaines aides sans lever les freins au développement de programmes de logement structurellement abordables, sans subventions, alors on ne supprime pas la demande politique pour de nouvelles aides, puisque trop de français modestes sont en situation d’insolvabilité par rapport au logement. J’espère donc que ces premières annonces très limitées ne sont qu’un prélude à la mise en place d’un programme de transformation plus substantielle de notre politique du logement.

Ce dispositif est-il encore viable? Les APL n'ont-ils pas un lien direct avec la montée des prix de l'immobilier?

L’APL était viciée dès sa création. Leur père, Raymond Barre, voulait remplacer toutes les aides directes au logement dit “social”, appelées aides à la pierre, par une allocation logement unique et dégressive. Bien qu’il ait été à la fois ministre de l’économie et premier ministre, il n’a pas été assez fort pour imposer cette vision simple aux lobbies, publics et privés, soutenant logement étatisé et fortement subventionné. 

Par conséquent, l’APL, loin de se substituer, s’est superposée à plusieurs autres dispositifs étatiques, et d’autres sont encore venus s’ajouter au millefeuille par la suite. L’APL est un dispositif destiné à solvabiliser une certaine clientèle. Mais sur un marché d’un bien peu substituable (vous avez absolument besoin d’un logement), où beaucoup de restrictions artificielles à l’offre sont mises en place, les offreurs d’un bien en situation de pénurie, même légère, sont en position de force pour capter l’intégralité de la hausse du pouvoir d’achat de ce bien provoquée par l’aide. Donc oui, et de nombreuses études empiriques confirment la théorie, l’APL est presque intégralement passée dans la hausse des loyers. Mais attention: les APL ne sont pas SEULES la cause de cette hausse. Entre les restrictions à la constructibilité du foncier, l’obligation née de la loi SRU faite aux promoteurs de financer à perte un pourcentage croissant de logements sociaux, une évolution contestable des normes de construction, des taux d’intérêts maintenus artificiellement bas par les banques centrales, les causes de hausse des prix ne manquent pas. Il ne faut donc pas espérer la moindre baisse des prix du logement du fait d’une micro-baisse des APL si on ne s’attaque pas de front à toutes les distorsions découlant de toutes ces politiques…

Libéraliser le marché de l'immobilier ne permettrait-il pas à l'Etat de réaliser des économies sans que les Français en pâtissent?

Assurément ! Les différentes interventions de l’état sur le marché du logement ont un coût direct supérieur à 40 milliards d’Euros, auquel il faut adjoindre le coût non comptabilisé et parfaitement caché des logements “SRU” répercutés sur les programmes neufs, qui constituent un impôt déguisé payé par les acheteurs du parc privé pour subventionner les gagnants à la loterie du logement social. Plus pernicieux encore, le renchérissement du prix du logement lié à l’explosion des coûts du foncier entre 1997 et 2008, et dont la bulle n’a toujours pas éclaté dans les zones urbaines dynamiques, fait que les acheteurs de logement dans ces zones surpaient de 30 à 40% leur acquisition par rapport à ce que les prix seraient si la réglementation du sol permettait de construire plus facilement. J’avais calculé que cette “pénalité réglementaire cachée” représentait 45 milliards d’Euros en 2005, soit un montant supérieur aux aides au logement à l’époque. Je n’ai pas actualisé ce calcul depuis, mais tout laisse croire que les ordres de grandeur sont de même nature. Or, si certains acheteurs sont aussi vendeurs, il y a dans le groupe des acheteurs des primo accédants, et dans celui des vendeurs des multipropriétaires. Par conséquent, une partie de ces 45 milliards constitue un transfert de richesse de familles à faible patrimoine vers d’autres à patrimoine élevé: on peut donc parler de transfert anti-social. Un comble, dans un pays qui n’a que la “justice sociale” à la bouche… Libérer le foncier constructible, c’est en finir avec ce transfert. Cela ne vaudrait il pas la peine d’être étudié ?

Mais libéraliser le marché de l’immobilier, ce n’est pas juste supprimer deux trois erreurs du passé et maintenir toutes les autres en place. C’est accepter de repartir d’une feuille blanche et proposer un plan cohérent de transformation rapide de notre politique du logement. En priorité, il conviendrait de libérer le foncier en rendant tout terrain viabilisable (et donc constructible) par défaut, et lorsqu’une protection de certains espaces est nécessaire, remettre en place une véritable indemnisation des propriétaires empêchés de construire. Ceci ne peut être décidé que localement et non par une lointaine bureaucratie parisienne. Une telle réforme de notre code de l'urbanisme ne peut pas être élaborée en 2 mois, mais ce gouvernement ferait oeuvre utile en annonçant y travailler dans un horizon temporel raisonnable, disons 2019. Une fois que le bouchon du foncier aurait sauté, nous nous apercevrions que les coûts de l’aide au logement pour les personnes en situation de détresse baisseraient radicalement, et que le marché libre saurait fournir à l’essentiel de ces publics des solutions de logement décent bon marché. Nous pourrions alors supprimer tous les dispositifs étatiques lourds, et laisser chaque collectivité locale, en liaison avec le tissu caritatif, déterminer comment aider les quelques ménages en situation de trop grande détresse passagère, car les solutions au mal logement ne sont pas les mêmes dans l’agglomération parisienne et dans une aire urbaine moyenne de province.

Il serait également possible de démanteler l’inique et inefficiente loi SRU, qu’au contraire l’actuel gouvernement, comme son prédécesseur, semble vouloir renforcer en substituant au pouvoir de décision des maires sur la construction, celui des préfets, là où il faudrait restaurer la prééminence du libre choix des propriétaires. Il serait également possible d’en finir avec le blocage des loyers, qui est un véritable repoussoir à l’envie d’investissement immobilier dans les zones concernées. Un logement neuf 30 à 40% moins cher au bas mot, qui se répercuterait aussi sur l’ancien, donc un renouvellement accéléré du parc permettant aux logements plus anciens mais encore acceptables de servir de parc social de fait sans subvention, une offre privée ne se cantonnant pas aux marchés à forte marge parce que non grevée de taxes plus ou moins cachées, et une intervention publique pour le logement limitée aux cas de vraie détresse, donc assez limitée pour le portefeuille du contribuable, voilà tout ce que promet une libéralisation complète de la politique du logement. 

Toutefois, il faudrait sans doute 4 à 5 ans pour que les effets positifs de tels changements de paradigme politique soient perceptibles, et de tels délais sont souvent inacceptables pour des politiques focalisés sur la prochaine élection. En outre, cela heurterait tant de lobbies qu’il est à craindre que ce gouvernement, comme les précédents, ne se contente d’un toilettage des dispositifs existants sans vraie vision globale de ce qu’il faudrait accomplir. Mais sur ce point, j’espère encore -sans trop y croire- me tromper !

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