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Un chercheur médical teste la pénicilline dans un laboratoire en février 1945 à Paris.
Un chercheur médical teste la pénicilline dans un laboratoire en février 1945 à Paris.
©AFP

Bonnes feuillles

Tania Louis a publié « La folle histoire des virus » aux éditions HumenSciences. Des virus, on connaît souvent le pire, voici qu'un livre nous en révèle toutes les facettes. Les virus sont bien plus anciens que l'humanité. Insolites, fascinants, incasables, ils excitent la curiosité des chercheurs. Extrait 2/2.

Tania Louis

Tania Louis

Tania Louis est docteure en virologie et a choisi de se consacrer à la diffusion du savoir. Elle anime notamment sa propre chaîne YouTube.

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Les virus causent des maladies mais ils ont aussi de nombreux aspects positifs. Ils sont à l’origine de découvertes fondamentales, comme le fait que les acides nucléiques portent l’information génétique. Ils sont un moteur important de l’évolution, que ce soit en provoquant des contraintes qui aboutissent à la sélection de certaines caractéristiques ou en fournissant directement de nouveaux gènes à des organismes. Et ce sont désormais des outils couramment utilisés par les chercheurs et de plus en plus souvent envisagés par les médecins. Non seulement ils ne nous rendent pas systématiquement malades, mais les virus peuvent au contraire nous soigner.

Lutter contre les bactéries

Les premiers virus qui ont été considérés comme des traitements potentiels de maladies non causées par eux sont les bactériophages. En effet, comme évoqué au chapitre 2, dès ses premières observations partagées en 1917, Félix d’Hérelle constate que ces nouvelles entités sont capables de détruire les bactéries et suggère de les utiliser pour soigner les maladies d’origine bactérienne.

Il met très rapidement cette idée en pratique sur des patients souffrant de dysenterie, puis sur des volailles touchées par la typhose aviaire en 1919. Les premiers résultats sont prometteurs et ce nouveau mode de traitement basé sur des virus suscite l’intérêt des scientifiques un peu partout dans le monde dès le début des années 1920 : la phagothérapie, le soin par les bactériophages, était née.

S’il est loin d’être le seul à la pratiquer, d’Hérelle tire une certaine renommée de cette démarche. Il se déplace en Indochine en 1920 pour traiter une maladie affectant les buffles, puis s’intéresse à des infections qui touchent les rats et les vers à soie. Quelques années plus tard, en Égypte, il guérit de façon spectaculaire quatre patients atteints de peste bubonique, avant de partir en Inde pour développer un programme de traitement du choléra. Enfin, au début des années 1930, il pose temporairement ses valises en Géorgie pour participer à la création d’un institut du bactériophage. Les choses se compliquent en URSS, d’Hérelle rentre en France et son collaborateur George Eliava est exécuté, victime des purges staliniennes. L’institut, ouvert malgré tout, prendra son nom des décennies plus tard. Ce centre de recherche est aujourd’hui encore une référence concernant les bactériophages et leur utilisation thérapeutique.

La phagothérapie se développe progressivement pendant toutes les années 1920, jusqu’à susciter l’intérêt des compagnies pharmaceutiques, qui commercialiseront des traitements à base de bactériophages dans plusieurs pays (Allemagne, Angleterre, États-Unis, France…) dès les années 1930. C’est à l’époque la meilleure solution pour lutter contre les maladies bactériennes, mais elle est loin de faire l’unanimité. Les bactériophages sont encore un vif sujet de querelles au sein de la communauté scientifique. Le débat sur la paternité de leur découverte, attribuée à Twort ou à d’Hérelle, et celui sur leur nature s’alimentent mutuellement. Chaque camp est trop figé dans ses positions pour observer la phagothérapie avec un regard vraiment rationnel et dépassionné.

Les techniques de l’époque, limitées par le manque de compréhension de ce que sont exactement les bactériophages, conduisent de plus à des résultats très aléatoires. La récupération des virus thérapeutiques est mal maîtrisée, les paramètres qui influencent leur efficacité ne sont pas compris, la production en grandes quantités pour répondre aux besoins est impossible… Dans certains cas les bactériophages soignent les patients de façon spectaculaire, alors que dans d’autres ils sont totalement inefficaces, sans que la raison en soit claire. La phagothérapie était donc très utilisée, mais un peu à l’aveugle et faute d’un meilleur traitement.

Parallèlement, dans un laboratoire de l’hôpital londonien Sainte-Mary, Alexander Fleming constate qu’une de ses cultures de bactéries a été contaminée par un champignon. Plus précisément par une moisissure de l’espèce Penicillium notatum, cousine du Penicillium roqueforti qu’on trouve dans certains fromages. Ce genre d’accident n’a rien d’exceptionnel, mais Fleming s’aperçoit qu’il n’y a plus aucune bactérie dans la zone en contact direct avec le champignon, ce qui est plus surprenant. Au lieu de tout jeter, il récupère le Penicillium et commence à l’étudier.

Il montre que celui-ci produit une substance capable de détruire certaines bactéries. Fleming teste son effet sur plusieurs espèces, en utilisant différentes doses, et la baptise pénicilline. De façon intéressante, ce produit est toxique pour certaines bactéries mais ne semble causer aucun dégât quand il est administré à des animaux ou mis en contact avec des globules blancs humains. Il pourrait donc permettre d’éviter les contaminations de certaines cultures par des bactéries au laboratoire mais aussi de détruire les bactéries qui causent des maladies. C’est en soulignant ces deux applications potentielles que Fleming termine la présentation de ses résultats, publiée en 1929.

Ce moment est aujourd’hui considéré comme un des tournants de l’histoire de la médecine, la découverte de la pénicilline, premier antibiotique, ayant complètement chamboulé notre façon de traiter les infections bactériennes. Mais à l’époque, l’article de Fleming a peu d’impact et ses recherches sur ce sujet sont rapidement compliquées par son incapacité à purifier la molécule de pénicilline. Il faudra attendre dix ans et la découverte de plusieurs composés aux propriétés similaires pour que la recherche sur la pénicilline reprenne, toujours dans un laboratoire anglais.

Seulement, la situation géopolitique ne s’est pas arrangée entretemps et, alors que la compréhension de la pénicilline progresse en Angleterre, d’autres pays européens sont envahis par l’armée allemande. Même au nord de la Manche, la Seconde Guerre mondiale complique énormément le travail des chercheurs. Des collaborations sont finalement mises en place avec des équipes américaines, dont les moyens sont moins limités. Alors que la recherche sur la phagothérapie avait été mondiale dans les années 1920 et 1930, celle sur les antibiotiques au début des années 1940 est très localisée.

La médecine a été modelée par l’histoire bien après 1945, avec un impact durable sur la façon dont ont été gérées les maladies bactériennes. Pendant les décennies de la guerre froide, le bloc de l’Ouest s’est appuyé sur les travaux initiés par les Anglais et les Américains et a largement développé l’usage des antibiotiques. Faciles à produire, à stocker et à administrer, très efficaces sur de nombreuses bactéries, ceux-ci ont remplacé les bactériophages. À l’inverse, le bloc de l’Est, n’ayant qu’un accès limité à ces nouveaux traitements, s’est appuyé sur la phagothérapie et de nombreux travaux ont été menés en Géorgie et en Pologne. Les résultats obtenus, généralement publiés en russe et non en anglais, restaient inaccessibles à une bonne partie des laboratoires internationaux.

Antibiotiques et résistance

Les antibiotiques, peu chers et permettant d’éliminer les bactéries de façon spectaculaire, ont néanmoins un inconvénient majeur. Fleming l’avait d’ailleurs déjà mentionné dans son discours de réception du prix Nobel de médecine en 1945 : les bactéries peuvent y devenir résistantes. C’est dû à deux phénomènes qu’on a déjà évoqués, l’évolution et les transferts de gènes horizontaux.

Lorsqu’une population de bactéries est mise en contact avec un antibiotique, celui-ci sélectionne mécaniquement les bactéries résistantes, qui survivent et continuent à proliférer. Or la mortalité induite par l’antibiotique dépend de la quantité utilisée, ce qui a une conséquence un peu paradoxale. Une fois qu’on a commencé à prendre un antibiotique pour traiter une infection, il ne faut pas lésiner sur la dose. En effet, plus la quantité d’antibiotique à laquelle on confronte les bactéries est faible, plus les bactéries capables d’y résister et de transmettre cette capacité sont nombreuses. Au contraire, si on utilise beaucoup d’antibiotique, on a de bonnes chances de réussir à éliminer quasiment toutes les bactéries, même les plus résistantes, et d’éviter qu’elles ne propagent cette caractéristique. C’est pour ça que les médecins insistent sur le fait qu’il faut prendre le traitement jusqu’au bout, même si les symptômes disparaissent en cours de route. C’est important pour éviter de laisser survivre des bactéries résistantes.

On pourrait penser que ce n’est pas grave, il sera toujours temps de prendre de plus grandes quantités d’antibiotiques la prochaine fois pour éliminer les bactéries qui n’auraient pas eu leur dose. Mais les bactéries continuent à évoluer entretemps. Quand on sélectionne une population qui porte un gène de résistance, celui- ci mute toujours de façon aléatoire. Ce qui peut potentiellement aboutir à l’apparition de versions plus résistantes, qu’il deviendrait impossible d’éliminer. De plus, les bactéries échangent régulièrement des gènes par transformation, transduction et conjugaison. Laisser survivre des bactéries résistantes à un antibiotique revient donc à leur laisser la possibilité de transmettre cette capacité à d’autres bactéries qui, elles, n’ont pourtant jamais rencontré ce traitement. Si bien que la résistance des bactéries se propage finalement plus vite que l’utilisation des antibiotiques…

Ce raisonnement vous paraît sans doute peu encourageant et, malheureusement, il correspond bel et bien à ce qu’on observe. Même s’il y a des variations d’un pays à l’autre, qui s’expliquent notamment par des différences dans l’utilisation des antibiotiques, les observations de bactéries devenues insensibles à ces traitements sont de plus en plus fréquentes. Parallèlement, la mise au point de nouveaux antibiotiques ralentit. Au milieu du XXe  siècle, les découvertes s’enchaînaient et permettaient de prendre les bactéries de vitesse. Mais cela fait plusieurs décennies que non seulement on trouve moins de nouveaux antibiotiques, mais qu’en plus ceux-ci ressemblent aux anciens, ce qui les rend plus faciles à contrecarrer pour les bactéries.

On est ainsi passé d’une époque où ces dernières représentaient un danger mortel à une période où elles étaient faciles à gérer, pour arriver aujourd’hui à une phase où, devenues capables de résister à nos outils thérapeutiques, elles redeviennent mortelles. Plusieurs centaines de milliers de personnes meurent chaque année d’infections par des bactéries résistantes aux antibiotiques. Si rien n’est fait, les spécialistes estiment que ce chiffre pourrait atteindre 10 millions de personnes en 2050, ce qui remettrait les maladies infectieuses sur le podium des causes de mortalité humaine les plus fréquentes. Alors, que faire ?

Le retour de la phagothérapie

Une des approches est de limiter au maximum la consommation d’antibiotiques pour ralentir l’apparition des résistances, ce qui a inspiré un certain nombre de campagnes de communication qui vous ont sans doute marqué si vous avez vécu en France dans les années 2000. Une autre consiste à essayer de relancer la recherche de nouveaux antibiotiques pour prendre les bactéries de vitesse, mais elle n’a pas donné grand- chose ces dernières décennies. Parallèlement, les scientifIques ont aussi commencé à se réintéresser aux autres outils de lutte antibactérienne que sont les bactériophages !

Les connaissances ont progressé en un siècle. Notre compréhension de ces virus et des bactéries contre lesquelles ils permettent de lutter fait de la phagothérapie une démarche beaucoup moins aléatoire aujourd’hui qu’à l’époque de d’Hérelle. Indépendamment du phénomène de résistance, elle présente d’ailleurs plusieurs avantages par rapport aux antibiotiques. Le fait que les bactériophages se multiplient aux dépens des bactéries conduit par exemple ce traitement à se concentrer spontanément au niveau du site d’infection une fois qu’il l’a atteint. Il lui permet aussi de se renouveler sans avoir besoin de nouvelle administration, tant qu’il reste des bactéries sensibles. Les antibiotiques posent des difficultés pour cibler la zone infectée et maintenir une dose suffisante de traitement pendant plusieurs jours. Ces problèmes sont réglés avec la phagothérapie.

Un autre inconvénient majeur des antibiotiques est qu’il s’agit de bulldozers moléculaires. Ils détruisent de façon efficace de nombreuses espèces de bactéries, qu’elles soient dangereuses pour la santé ou tout à fait habituelles dans l’organisme. Les dégâts collatéraux des traitements sont énormes. Les bactériophages sont beaucoup plus spécifiques. C’était un inconvénient au début du XXe  siècle, quand il était difficile de savoir exactement quelle bactérie causait une maladie, mais cela devient un avantage aujourd’hui. On peut désormais envisager de cibler uniquement les entités pathogènes, en laissant tranquilles les bactéries avec lesquelles nous cohabitons pacifiquement.

(…)

Les virus provoquent des maladies. C’est un fait. Mais il serait dommage de les résumer à cette caractéristique. Ils ont aussi un potentiel thérapeutique, envisagé par Félix d’Hérelle il y a plus d’un siècle et que les outils et connaissances modernes rendent désormais accessible. Peut- être que demain, en plus d’utiliser les virus dans les laboratoires de recherche fondamentale, nous les croiserons dans les hôpitaux et les pharmacies, pour lutter contre des maux aussi variés que les infections, les maladies génétiques et les cancers.

Les applications déjà envisagées sont nombreuses, pourtant elles ne reposent que sur la minuscule fraction de la virosphère dont nous avons connaissance.

La matière noire de la virologie qu’il nous reste à découvrir est sans doute elle aussi riche d’outils potentiels. Parmi les nombreux virus qui rôdent dans nos océans se cachent peut- être des alliés qui nous aideront à préserver des écosystèmes marins. Ou à favoriser la croissance d’organismes capables de piéger le gaz carbonique qui réchauffe notre atmosphère. L’avenir nous le dira.

Les virus sont à la fois source de menaces et de promesses. Mais quand j’ai choisi de me spécialiser en virologie au cours de mes études, ce n’était pas à ça que je pensais. J’étais surtout fascinée par les surprises permanentes que provoque leur étude et la façon dont ils contredisent les dogmes de la biologie. S’intéresser aux virus, c’est forcément faire preuve de modestie. Face à ces entités minuscules qui ont façonné l’évolution des organismes jusqu’à nos propres placentas, qui chamboulent des concepts aussi fondamentaux que la notion de vivant et qui continuent à échapper aux boîtes dans lesquelles on essaie de les ranger, on se rappelle que nous ne sommes nous-mêmes pas grand-chose et que notre compréhension du monde est encore très imparfaite. Tant mieux : ce serait triste de n’avoir plus rien à découvrir !

Extrait du livre de Tania Louis, « La folle histoire des virus », publié aux éditions HumenSciences

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