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Le paradoxe d’Artus qui va transformer le débat présidentiel en concours de beauté et de surenchères, à droite comme à gauche
©Reuters

Atlantico Business

Tout ce qui serait utile est rejeté par les opinions publiques et ce qui s’avère possible est complètement inutile ou même dangereux. Pour beaucoup de responsables politiques et économiques, le débat présidentiel à droite comme à gauche risque de ne servir à rien.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ça s’appelle déjà le paradoxe d’Artus dans les cercles d’économistes ou dans les couloirs de Sciences-po, du nom de cet économiste, Patrick Artus, patron des études économiques à Natexis. Mais ça pourrait s’appeler le paradoxe trop français, tellement il résume de façon simple et percutante ce qui caractérise le système français et explique sa paralysie.  

En fait, de nombreuses réformes économiques seraient utiles à l’économie française, pour redémarrer, créer de la croissance et des emplois c’est à dire de la sécurité et du progrès ... mais la majorité de ces mesures sont systématiquement rejetées par l’opinion depuis plus de 15 ans. Par l’opinion publique, laquelle est travaillée par les lobbies et les syndicats qui sont pourtant assez peu représentatifs.

Quant aux politiques alternatives qui sont en général proposées par les opposants extrémistes (ou pas), elles sont inapplicables ou inefficaces et tout le monde le sait, y compris la majorité de ceux qui les défendent. Ils ne les défendent pas pour être efficace mais pour gagner des voix ou des points de sondage, parce qu’ils pensent qu’elles répondent à la demande de l’opinion.

Personne n’échappe à ce paradoxe. Résultats, le système français s’enferme dans des discussions sans fin qui tournent en rond.

Face aux grandes mutations que provoque la mondialisation, le progrès technologique dans tous les domaines, et la concurrence généralisée, nous savons en gros ce qu’il faudrait faire pour s’y adapter et en profiter de façon bénéfique. Les partis de gouvernement qu’ils soient de droite ou de gauche ont travaillé sur le même type de réformes.

L’économie française profiterait évidemment d’une simplification du droit du travail, d’une réduction de l’écart entre le travail protégé type CDI, et le travail plus précaire type CDD ou contrats temporaires. Dans le système actuel, les entreprises proposent surtout des contrats à durée déterminée ou temporaires. On sait bien que des salariés à contrat temporaire ne peuvent pas s’enraciner dans le système. Ils n'ont accès ni au crédit, ni à l’immobilier. S’ils n'ont pas des parents un peu plus fortunés qui se portent cautions, ces travailleurs précaires ne peuvent pas vivre comme des citoyens ordinaires.

On pourrait faire le même raisonnement sur le SMIC. Le salaire minimum pour les jeunes peu qualifiés est supérieur au niveau de productivité. Il ne correspond donc pas à une création de richesse équivalente. Le résultat est que ces jeunes-là ne sont pas embauchés. Le taux de chômage chez les jeunes non qualifié bat tous les records (plus de 40%)

La réduction de la pression fiscale sur les entreprises et sur les ménages à haut revenus bénéficierait à tout le système économique. Notre fiscalité est confiscatoire et décourageante. Trop peu de contribuables paient l’impôt et ceux qui en paient sont découragés de travailler. L’impôt sur les entreprises est en France le plus élevé d’Europe (20% du PIB en moyenne contre 10% en Allemagne). D’une façon générale, la culture française considère majoritairement qu’il serait profondément injuste de baisser l’impôt des entreprises ou des plus riches, plutôt que celui des ménages. Donc on fait l’inverse de ce qu’il serait utile de faire.

Autre exemple, le prix des services en France est beaucoup plus élevé que dans d’autres beaucoup d’autres pays. La raison est simple, c’est que la majorité des services ne sont pas en concurrence parce qu'ils sont protégés par des statuts impossibles à ouvrir ou à reformer. Le résultat est que le secteur des services est sous-développé.  

La réforme des retraites a mis un quart de siècle à démarrer sa modernisation et elle est encore loin d’avoir pris en compte la réalité de la démographie.

Le Code du travail lui s’avère intouchable. Le psycho drame de la loi El Khomri l’a encore prouvé.

Toutes ces mesures de réformes qui seraient utiles au système si on en juge par ce qui se passe ailleurs en Europe ou dans les pays anglo-saxons, sont rejetées ou repoussées par les lobbies qui les protègent au nom de l’opinion publique en général.

Bref, pour reprendre Patrick Artus, tout ce qui serait utile à moyen et long terme est impossible à mettre en œuvre.

Le comble, c’est que l'inverse est aussi vrai. Tout ce qui serait possible aux yeux de l’opinion et des lobbies est foncièrement inutile ou contreproductif.

L’idée d’une relance de l’économie par la demande, c’est à dire par une augmentation des revenus distribués, soit en salaires, soit en assistances de toute sorte est l’idée alternative la plus partagée par les responsables politiques qui n’éprouvent aucune difficulté à en faire la pédagogie. Malheureusement, ces relances de type keynésiennes ne marchent pas. Voilà plus de dix ans que l'État français s’y exerce en acceptant du déficit budgétaire en masse et ça ne marche pas. Un déficit budgétaire n’est rien d’autre qu'un n’excèdent de revenus sur la richesse produite. Un crédit ouvert aux consommateurs. Ça ne marche pas. La relance a pour effet de gonfler la demande extérieure et par conséquent le déficit extérieur. C’est bien la preuve que nos économies modernes pèchent par un déficit de l’offre nationale.

La hausse des salaires, la générosité accrue des prestations sociales, tout cela serait complètement contreproductif, or ce type de mesures rencontre pourtant beaucoup de succès lors d’une campagne électorale.

Passons sur toutes les propositions qui sont faites et qui portent sur l’Euro et l’Europe. Les politiques alternatives redoublent d’énergie pour critiquer le fonctionnement de la zone euro et finissent pour les plus radicaux à demander la fin de l’Euro. Là encore succès assuré, mais succès irresponsable dans la mesure où personne n’est capable d’expliquer comment on vivrait sans l’euro dans un monde globalisé dominé par le dollar à l’Ouest et le yuan à l’Est.

La fin de l’euro aboutirait mécaniquement à une hausse gigantesque de la dette extérieure brute qui est principalement en euro. Une dépréciation de la monnaie de 20% (et comment l’empêcher) entrainerait automatiquement une augmentation du service de la dette de 20%. Intenable pour l’État français qui serait le premier pénalisé. L‘État c’est à dire le contribuable.

Passons sur les effets d’un protectionnisme inéluctable à l’échelle européenne. Les Anglais qui ont voté le Brexit ne savent même plus comment gérer les effets du Brexit.

Plus grave, le gouvernement de Londres et les principaux responsables britanniques retardent la mise en place des procédures du Brexit au point de ne pas rejeter l’idée d’un abandon de ce rêve. Pas sûr que les Européens acceptent que les Anglais reviennent sur leur choix de sortir de l'UE.

Toutes ces politiques promises principalement par les partis d’extrême droite ou gauche mais pas seulement sont massivement acceptées par les opinions publiques. La demande, les salaires, les déficits, le contrôle de la concurrence etc. sont pour la plupart extrêmement pernicieuse pour l’équilibre du pays à moyen terme

D’ordinaire, les responsables politiques les promettent pour être élus et une fois élus, ils s’aperçoivent qu'elles sont inapplicables.

Le résultat est catastrophique. Les électeurs sont déçus, parce que leur candidat les ont trahis, mais ils sont aussi frustrés parce que parallèlement, ce qu’ils ont mis en place n’a généré aucun résultat. C’est exactement ce qui s’est passé avec François Hollande.

La situation économique de la France est désastreuse et François Hollande a mis ses amis et ses électeurs en colère puisqu’il n’a obtenu aucun des résultats annoncés.

Alors que les débats pour la présidentielle sont à peine lancés, on a peine à croire en voyant les embryons de programme que la situation sera plus pédagogique aujourd’hui qu'elle ne le fut hier. Le concours de beauté et de surenchère est bien parti.

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