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Le pape qui créait des saints plus vite que son ombre
©Max Rossi / Reuters

Sancto subito

Canoniser est une des spécialités du pape François. Mais pourquoi remplit-il le calendrier de tous ces saints contemporains, dont on dirait qu'il les a choisi à dessein pour illustrer ses propos ? La réponse est à chercher dans l'histoire même du processus de procès en canonisation et dans la réalité contemporaine de l'Eglise.

Philippe  Levillain

Philippe Levillain

Philippe Levillain est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris X-Nanterre, membre du Comité pontifical des Sciences.

 

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Atlantico : La canonisation de Mère Teresa sera la 29e sous le pontificat de François, soit 11 de plus que Benoit XVI à la même période, et dans le même rythme jugé parfois « intensif » du prédécesseur Jean-Paul II. Qu’est-ce qui explique cette intensification des canonisations ? Le Vatican canonise-t-il trop de saints aujourd’hui ?

Philippe Levillain : Non, l’Eglise ne produit pas trop de saints ! Elle produit beaucoup de saints à une période où le christianisme est certes en régression en Europe mais en expansion réelle sur les autres continents. On peut penser à l’Inde, et à une moindre échelle à la Chine. En cela, François poursuit le rythme de canonisation qui a toujours été le sien et qui consiste à donner des saints contemporains. Ce qu’on peut dire, c’est que Sœur Maria Teresa est une figure qui correspond exactement à la ligne pontificale dessinée par le pape François, représentant non seulement la dénonciation de la misère matérielle et spirituelle de nos communautés, mais ses excroissances les plus radicales dans notre monde, celles de la maladie, de la douleur, de l’abandon, de la faim… C’est un choix évident et compréhensible de la part du Vatican. Calcutta, la ville dans laquelle a œuvré Mère Teresa, est un des endroits les plus pauvres et dévastés de notre planète, là où la misère s’exprime le plus totalement.

L’augmentation du nombre de saints correspond aussi à une augmentation de la population mondiale – et donc du nombre de chrétiens – et de même aux possibilités qu’offrent les médias, qui rendent la communication autour d’une figure sainte plus importante, ou encore qui permettent de mener les procès en canonisation ou béatification à Rome de figures étrangères plus rapidement. Une autre raison est aussi la multiplication ces dernières années des martyrs. Les « brigades de saints » qu’avaient canonisées Jean-Paul II étaient ainsi souvent des martyrs, comme ceux de l’Ouganda (21) ou de Chine (120 personnes tuées en Chine de 1648 à 1930). En cela, les canonisations sont parfois plus importantes selon qu’on canonise un groupe ou un individu.

Ce qui est plutôt frappant aujourd’hui, c’est plutôt l’intensification du passage de la béatification à la canonisation. Une dernière proposition est celle d’un besoin spirituel. Car le rôle d’un saint n’est pas celui d’un simple témoin glorieux, mais celui d’un intercesseur et donc d’une aide en tant que modèle et messager pour le croyant. Et c’est aussi un vecteur de la sanctification , car le chrétien a pour objectif de devenir lui-même, dans la vie de tous les jours, un saint. 

>>> Lire aussi : Mère Teresa, la sainte qui ne croyait pas toujours en Dieu <<<

Au Moyen-Age, une des décisions de la papauté, pour réguler la canonisation, avait été de canoniser les Saints qui faisaient des miracles post-mortem. En ce sens, il s’agissait aussi d’éviter les canonisations trop rapides. Mère Teresa devient aujourd’hui sainte seulement 19 ans après sa mort, et Jean-Paul II l’avait été seulement 10 ans après. Qu’est-ce qui explique ces canonisations de plus en plus rapides ? Y-a-t-il une mode du sancto subito ?

Il est vrai qu’autrefois la qualification de bienheureux était difficile, tout comme celle de saint. Il fallait un miracle au moins, minutieusement vérifié, voire plusieurs. Le pape François, sur ce point, s’est démarqué en demandant un assouplissement des règles et traditions permettant la canonisation. Il a en particulier diminué l’importance des miracles nécessaires. 

En cela, il revient à une tradition qui est celle des premiers siècles chrétiens. On sanctifiait à l’époque par acclamation du peuple. C’est ce qu’on appelait « l’odeur de sainteté ». Le saint mort dégageait une aura qui prouvait sa vie exceptionnelle. 

Donc oui, il y a une souplesse – on sait par exemple qu’il n’y a pas de miracles attestés pour Paul VI, qui a été béatifié en 2014. Pour Jean-Paul II, il y en avait deux. Mais pour le Saint-Siège, ce qui compte aujourd’hui, c’est la réputation, qui justifie le culte.

Vous avez fait allusion au Moyen-Age. Il faut savoir que pendant un temps c’était l’évêque qui canonisait. Rome a récupéré progressivement cette prérogative.

La canonisation de Mère Teresa pose aussi la question des polémiques qui entourent les choix du pape François, ce dernier étant parfois accusé de faire fi des critiques que l’on peut adresser à ceux qui ont été élevé par son choix au rang de saint ou de bienheureux. Ainsi pour Monseigneur Oscar Romero, théologien de la libération considéré comme trop à gauche par de nombreuses personnes, ou dans le cas de mère Teresa, de vives critiques concernant sa vie. Le pape impose-t-il un peu rapidement les saints qui lui conviennent, sans prendre le temps d’écarter ces polémiques ?

Les saints sont par nature des figures contestées, en tant qu’expression radicales d’une perfection approchable dans un monde qui ne la conçoit pas toujours. Mais il faut bien voir qu’il y a aussi des canonisations impossibles, comme celle du Père de Foucauld. Cette canonisation est demandée depuis très longtemps par des communautés qui se réclament de sa sainteté et qui n’obtiennent pas gain de cause. C’est la même chose pour le père Léon Dehon, figure mystique importante du catholicisme social. Pourtant une communauté comme les frères de la compagnie de Saint-Quentin soutient sa béatification, non aboutie en 2005 sous Benoit XVI. Il y a beaucoup de saints en « salle d’attente », si vous voulez ! 

L’instruction a cependant bien eu lieu dans le cas de Mère Teresa, et la prolifération de témoignages a grandement facilité l’accélération du procès par la Congrégation pour les causes des saints. Il faut bien savoir que Mère Teresa avait été visitée de son vivant par le monde entier. La polémique qui a enflé autour de son cas est liée à son absence de foi pendant la fin de sa vie. C’est ce qu’on appelle l’acédie, qui est un péché capital. Elle aurait alors travaillé comme une assistante sociale, ardente et téméraire.

Mais c’est un phénomène qui ne doit pas créer de polémique : tous les grands saints ont traversé la « nuit », ont connu le « Silence de la foi ». Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, par exemple, a traversé des périodes effroyables. 

La vie de Saint n’est pas, comme le pense la vision populaire et fausse, une vie agréable et simple. Vivre comme l’image du Christ, c’est aussi connaître la passion, les épines et le fouet. 

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