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Le nouvel Onfray
©JOEL SAGET / AFP

Atlantico Litterati

Le philosophe Michel Onfray aurait-il changé de braquet ? On peut se poser la question après la parution de « La stricte observance, avec Rancé à la Trappe », déclaration d’amour à la foi chrétienne.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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Avec une éloquence que certains lui envient, Michel Onfray occupe l’espace médiatique. Ses traits font mouche, il en a mouché plus d’un. Auteur de plusieurs milliers de pages, Nietzschéen « de gauche », « hédoniste camusien », Onfray dope les audiences. Un penseur sachant capter les lumières de l’époque,  c’est rare, les écrivains  n’étant pas tous« bons à l’oral ». En outre, ce philosophe « populaire » possède un vibrato qui résonne (raisonne) bien. Avec sa voix, sa chemise blanche et sa jactance, Onfray intellectualise la grogne « made in France ». Il offre un supplément de culture à ceux qui, l’écoutant   dans la gaieté duveteuse du spectacle, réalisent ce qu’il leur manquait. L’émetteur parle au plus grand nombre décadence et civilisations. Sa science est « populaire » par essence : elle pense dans le bon sens. Il y a le peuple (« sur lequel s’exerce le pouvoir », rappelle le philosophe normand, lecteur de Tocqueville (normand lui aussi), et les élites. Fils d’un ouvrier agricole, Onfray conteste « l’orgueilleux centralisme » de la France « d’en –haut », qu’incarnerait Emmanuel Macron. On se souvient de sa lettre évoquant le « double corps du roi ». Avec ce « selfie », d’une insondable laideur photographique, s’étalait sur la place publique, à tout le moins, une faute de communication, et de quoi virer tout un service de presse, mais rien qui puisse justifier cet appel au meurtre. « La haine est toujours insistante », soulignait Camus. À force d’être ordurier, le libelle a raté son coup. Les lecteurs se pinçaient le nez.  Cette violence verbale - qui aurait intéressé Barthes - ouvrait les vannes de la violence tout court. Extrêmement intelligent, très intuitif, Michel Onfray- qui défendit partout « cette satire diogénienne », a –t-il pressenti que nous finissions par être las ? Que son discours était monolithique ? Que nous savions d’avance, avant la parution de tel ou tel essai, ce qu’il allait signifier ?  Ou s’est- il  donné la mission de simplement relater , par la littérature, sans béquille idéologique,  sans œillères, sans parti, sans rien que sa plume, ses dictionnaires, comme font les écrivains, l’accablement « humain trop humain » du deuil  qui le serrait de trop près ? 

La mort de son père, celle de sa femme, et la menace que fait peser sur lui son second AVC, ont-ils précipité une certaine lassitude quant à ce rôle qu’il jouait si bien de personnage- un peu fatiguant tout de même-, « d’homme révolté » tous terrains ?  Voici en tous cas que Michel Onfray change, dans ses œuvres, comme dans la vie. Les uns s’étonnent qu’il ait tiré aussi facilement un trait sur son « université populaire de Caen » (« France-Culture » refusant de poursuivre la diffusion de ses cours)- « j’arrête cela fait seize ans que je me bats » ( cf. Le Figaro) ; les autres, stupéfaits par cette haine qui sourd de la « Lettre à Macron », ne veulent plus  le lire. A tort. Qui a-t-il de plus vrai, en effet, que l’homme tenant dans ses bras le corps de son père ? De plus vrai que celui serrant contre lui la dépouille de la femme aimée ? L’autre Onfray est né de ce malheur. Son essai « La stricte observance, avec Rancé à la Trappe » (Gallimard), en hommage à Chateaubriand, lui- même auteur de « Vie de Rancé » (1844), consacré à l'abbé Armand Jean Le Bouthillier de Rancé, est magnifique. « Vanités, tout est vanités », chuchote en substance ce nouvel Onfray, qui a lu « l’Ecclésiaste » . Chateaubriand et sa « Vie de Rancé » inspire le philosophe athée au point que, suivant « L’Enchanteur » malouin, il s’est enfermé- lui aussi- au monastère de la Trappe, pour comprendre la foi. « À la lisière de la grande forêt de la Trappe, au XVIIème siècle, l'Abbé de Rancé lança la réforme de l'Ordre cistercien ». « Quand on franchit le portail de l’abbaye, (…) on entre avec soi, c’est-à-dire avec rien », dit Onfray. Voulant mettre à l’épreuve « l’ascétisme incandescent du christianisme », l’auteur donne à voir « Les moines portant cette sagesse antique dans notre modernité » « L’abbaye ne sent rien (…) Y passer une journée comme le fit Chateaubriand quand il prévoyait sa « Vie de Rancé » ou plus de douze mille, comme Rancé lui-même, c’est une seule et même chose : l’unique   façon d’approcher      l’éternité c’est d’immobiliser le temps dans la répétition », conclut Michel Onfray.

« A quoi la « Vie de Rancé » peut-elle nous convertir, nous qui avons lu Marx, Nietzsche, Freud. Sartre, Genêt ou Blanchot ? », se demanda Barthes. Michel Onfray lui répond avec ferveur. Exemple.  « Le corps n’est pas le pire que l’on perde avec un mort ;l’âme est la chose la plus importante. Je ne crois pas à une âme immatérielle et immortelle mais à une âme matérielle et mortelle. L’âme c’est la couleur de l’être, le style d’une ombre, la danse d’une démarche, la texture d’une voix, son rythme et son débit, l’âme, c’est ce qui reste du corps quand il n’est plus là, bien qu’on sache que le corps n’est pas tout. L’âme c’est le bruit imperceptible que fait un corps dans la cuisine pour ne pas réveiller l’autre qui dort » Sublime. Et tout à l’avenant car ce texte est une méditation sur la mort, précédée d’« Ars Moriendi » un essai confidentiel que publia Michel  jadis Onfray . L’écrivain et la mort, une danse classique, qu’il modernise. Je tiens à saluer ce grand petit texte que je recommande à tous pendant les fêtes. Pour résister à la bêtise ambiante, et savourer dans ces nuits de fête obligée, de cadeaux partout amoncelés, ces instants de bonheur que seule peut offrir la littérature. Le respect adorable et si précieux de ce qui est le contraire de soi, voilà ce que Michel Onfray nous enseigne au passage, avec une sagesse de philosophe vrai, récompensée par notre plaisir de lecture.«Heureux celui dont la vie est tombée en fleurs ! », disait Chateaubriand.

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