Le match des bilans européens : qui de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande a le mieux défendu les intérêts de la France face à Angela Merkel ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Nicolas Sarkozy ont publié à quelques jours d'intervalle une tribune sur l'Europe.
François Hollande et Nicolas Sarkozy ont publié à quelques jours d'intervalle une tribune sur l'Europe.
©REUTERS/Lionel Bonaventure

Comparatif

La relation franco-allemande a été l'un des points les plus sensibles lors de la victoire de François Hollande. Deux présidents différents face à une seule et même chancelière, avec qui les rapports ont été parfois constructifs et parfois conflictuels. Avec une vraie différence d'approche - et de résultats - entre les deux chefs d'Etat français.

Alfred Grosser

Alfred Grosser

Alfred Grosser est un historien, sociologue et politologue franco-allemand.

Il est diplômé d'une agrégation d'allemand. Il a été professeur à l'Institut d'Etudes Politiques à Paris et il y devient professeur émérite. De 1956 à 1992 il occupe le poste de de directeur de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques.

Il a été chroniqueur politique au Monde  à la Croix et à Ouest-Francede 1965 à 1994. 

Il est l'auteur de Die Freude und der Tod. Eine Lebensbilanz (Rowohlt, 2011)

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Hans Stark

Hans Stark

Hans Stark est chercheur à l'IFRI (Cerfa) et professeur à la Sorbonne.

 

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Atlantico : "Une grande zone économique franco-allemande", c'est l'ambition de Nicolas Sarkozy pour l'Europe selon sa tribune publiée jeudi 22 mai dans Le Point. L'ex-président s'est toujours montré investi dans la relation franco-allemande, là où François Hollande semble plus en retrait. Peut-on dire que l'implication de l'exécutif français sur la relation avec l'Allemagne a changé depuis 2012 ?

Hans Stark : La relation a bien entendu changé du simple principe que le gouvernement français, même s'il a affiché son accord sur la nécessité de réduire le déficit, à une autre philosophie économique que le gouvernement précédent. Les différences d'approches économiques entre la France et l'Allemagne se sont donc amplifiées. C'est notamment vrai sur le rôle de la BCE dans le refinancement des Etats et des banques. François Hollande a eu, sur ces sujets, des positions éloignées d'Angela Merkel. Auparavant, il y a eu un rapprochement sur de nombreux points, surtout pendant la deuxième partie du mandat de Nicolas Sarkozy.

Alfred Grosser : La déclaration de l'ancien président n'a pas dû faire plaisir à Angela Merkel. Vouloir fermer les frontières, c'est détruire ce qui justement s'est fait de mieux dans la relation franco-allemande. C'est une manière de faire passer l'idée que l'Europe ne représente pas quelque chose de très bon, tout en disant le contraire. Pour ce qui est de la relation avec François Hollande, elle s'est améliorée depuis que ce dernier s'est déclaré social-démocrate. C'est perçu comme assez normal en Allemagne, plus qu'en France en tout cas.

Nicolas Goetzmann :Bien que le sujet puisse paraître évidemment partisan, la différence entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, dans la relation franco-allemande, est flagrante. Pour Nicolas Sarkozy le moment décisif me semble être le plan de sauvetage bancaire mis en place en octobre 2008. Après un premier refus allemand, Nicolas Sarkozy ne se résigne pas et obtient la mise en place de ce plan le 13 octobre.  A ce moment il déclare "Le temps du chacun pour soi est révolu" et marque ainsi sa "victoire" sur Angela Merkel. Un mois plus tard, il parvient à réunir le G20 à Washington sous une forme nouvelle, c’est-à-dire en faisant participer les chefs d’Etat, pour mener une politique anti-crise simultanée. Le somment est une réussite et il en est l’initiateur, aidé par Gordon Brown. Puis 2009 avec les plans de relance européens. L’activisme de Nicolas Sarkozy est réellement à saluer au cours de cette période. Les problèmes arrivent en 2010 avec le sommet de Deauville, ou Nicolas Sarkozy cède à Angela Merkel sur l’implication du secteur privé dans la résolution de la dette grecque. Une décision qui sera confirmée en juillet 2011 et qui provoquera la crise des dettes souveraines. Mais peut être que la plus grande erreur aura été de passer à côté du problème posé par la Banque centrale européenne au cours de la crise. Le bilan est donc mitigé, mais il est indéniable que Nicolas Sarkozy a porté la voie française et européenne pendant la durée de son mandat, et qu’il a proposé une "réalité" du couple franco-allemand.

Pour François Hollande, le bilan est en fait opposé. Son programme de campagne comportait une mesure phare ; la renégociation du fameux pacte budgétaire européen, le TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance). Celle-ci n’a jamais eu lieu et le traité a été signé et approuvé par la majorité en 2012. Un vote qui a été justifié par le fait qu’un pacte de croissance avait également été mis en place. Un pacte qui sera présenté comme une victoire, mais le plan de relance en question est déjà qualifié de "symbolique" : 120 milliards d’euros. Après analyse, il s’est avéré que le plan n’était finalement composé que de 10 milliards en nouvelles dépenses, c’est-à-dire rien. Les 110 milliards restant étaient déjà déployés mais ont servi à habiller le pacte et à ne pas complètement humilier le nouveau président français. La défaite est sèche et rapide. Depuis cette date, c’est-à-dire depuis 2 ans, le couple franco-allemand n’existe tout simplement plus. Aujourd’hui, l’Europe est d’ailleurs personnifiée par Angela Merkel, c’est simplement factuel.

Selon Manuel Valls "Ce qu'il faut changer précisément dimanche (jour des élections européennes, ndlr), c'est le bilan de Nicolas Sarkozy". Une déclaration en dissonance avec une série d'articles de Peter Spiegel pour le Financial Times "How the euro was saved" qui montre au contraire le rôle déterminant que Nicolas Sarkozy a joué dans le sauvetage de la zone euro. Il explique comment le président français est parvenu à contraindre le Premier ministre grec Papandréou à renoncer en 2011 à organiser un référendum sur le plan de sauvetage de la Grèce. Le journaliste décrit un Sarkozy offensif qui parvient à imposer sa vision des choses à Angela Merkel et à la convertir à sa stratégie - une stratégie qui se révèlera d'ailleurs payante. Qu'est-ce que cet épisode révèle de la nature de la relation entre Sarkozy et Merkel ?

Hans Stark : Les relations n'avaient pas été simples au début. L'Union méditerranéenne, l'intervention au Tchad en 2008, la Libye en 2011 et la crise financière où la France voulait apporter une réponse européenne ont été des sources de fortes divergences. Le début de la crise grecque avait aussi vu Paris et Berlin prendre des directions divergentes. Il y a eu rapprochement au moment où la crise aurait pu amener à l'éclatement de la zone euro. Là, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont parvenus à surmonter leurs divergences car le sauvetage était dans l'intérêt des deux pays. Cet épisode montre donc que, malgré les différences, les deux dirigeants étaient toujours capables de coopérer dans les situations difficiles.

Alfred Grosser : Nicolas Sarkozy s'est d'abord fréquemment incliné devant les décisions d'Angela Merkel. Il a sans doute eu tendance à tirer vers lui le mérite des décisions allemandes ou d'avoir des postures d'affichage. Mais le fait qu'Angela Merkel laissait Nicolas Sarkozy s'afficher de la sorte parce qu'elle considérait sans doute que ce caractère marqué pouvait aussi avoir son intérêt.

En quoi, et à quels autres moments, l'action de Nicolas Sarkozy a-t-elle permis au couple franco-allemand de faire la preuve d'un réel leadership sur l'Europe ?

Hans Stark : Nicolas Sarkozy a toujours voulu faire émerger un leadership français au niveau européen. Mais à chaque fois que la France et l'Allemagne font cavalier seul, ils vont dans le mur. Les deux arrivent maintenant à le comprendre, du moins depuis 2010. Mais Nicolas Sarkozy a réellement œuvré pour faire comprendre aux Français la nécessité stratégique d'un rapprochement avec Berlin.

Après la défaite de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle, Peter Spiegel ne fait plus jamais mention de la France et du rôle qu'elle aurait par la suite joué dans le sauvetage de la zone euro. François Hollande n'y est pas cité une seule fois. Concrètement, que peut-on mettre au crédit de l'actuel président français dans la gestion de cette crise européenne ? Peut-il se prévaloir d'actions qui se seraient révélées déterminantes ? Lesquelles ?

Hans Stark : François Hollande a hérité d'une situation économique plus difficile que celle de 2007. Par contre, le pire de la crise de l'euro est derrière nous, et les principales mesures de sauvetage ont été prises avant son arrivée au pouvoir. Mais l'opposition aux mesures d'austérité est plus forte au PS qu'à l'UMP. François Hollande a donc peu agi depuis son arrivée car les décisions à prendre ont déjà été prises. Il n'a fait que les valider.

Alfred Grosser : François Hollande ne peut pas se prévaloir d'actions marquantes. De nombreuses actions "franco-allemandes" sont annoncées. Dans les faits, de nombreux instituts franco-allemands, ou d'initiatives, sont payés par l'Allemagne, le gouvernement ayant tendance à baisser, lui, les crédits dédiés à ces projets. Les médias d'ailleurs n'en font pas écho.

Jusqu'en mai 2012, aucune décision ne semblait prise en Europe sans que le couple franco-allemand soit à la manœuvre. A la lecture de l'article de Peter Spiegel, on comprend que le vide laissé par le départ de Nicolas Sarkozy n'a été comblé par personne, Merkel restant seule à la barre. Comment Angela Merkel considère-t-elle François Hollande ? Comment cela se manifeste-t-il concrètement ?

Hans Stark : Il faudrait lui demander ! Elle a en face d'elle un socialiste, alors qu'elle est issue d'un parti conservateur. Bien sûr François Hollande est plutôt social-démocrate ce qui atténue la distance mais les rapports restent difficiles.

Alfred Grosser : Les récentes rencontres semblent s'être bien passées. Il y a par contre quelque chose qui dérange beaucoup Angela Merkel chez François Hollande, c'est les choix qui sont faits pour occuper les postes de secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes. En Allemagne, celui qui occupe le poste similaire est un spécialiste, constamment présent. En France, le président choisit Harlem Désir parce qu'il était un mauvais Premier secrétaire du PS, et qu'il est maintenant un des députés européens les plus absentéistes.

Peut-on encore parler d'une relation franco-allemande d'égal à égal ? Comment l'expliquer ? François Hollande a-t-il renoncé à se battre pour s'imposer ? Paie-t-il son incapacité à sortir la France de la crise ?

Hans Stark : Sur le plan économique, la relation n'est plus d'égal à égal. Le décrochage est une réalité. Mais rien n'est coulé dans le bronze : il y a quinze ans, la France avait, au moins au niveau conjoncturel, une économie forte là où l'Allemagne souffrait. En revanche, la France reste beaucoup plus forte sur le plan militaire, sur son rôle au sein de l'ONU, sur les réseaux internationaux dont elle dispose. On voit bien que sur les dossiers sensibles (Syrie, Russie…) la voix de la France compte plus que celle de l'Allemagne. Il ne peut donc pas y avoir d'égalité ou d'inégalité globale dans la relation franco-allemande.

Alfred Grosser : Il n'y a plus de relation d'égal à égal. Nous nous enfonçons dans le non-développement. Nous ne pouvons jouer la seule carte de la position de la France dans le monde. Il est vrai que la France reste cependant le garant de l'Allemagne vis-à-vis des pays où l'anti-germanisme fleurit, je pense à la Grèce ou à l'Espagne.

Par ailleurs Peter Spiegel raconte comment Nicolas Sarkozy jouait de sa relation avec Obama pour tenter d'imposer ses vues, notamment sur le rôle de la BCE, à Angela Merkel. Au-delà de la sympathie que le président américain semble témoigner à François Hollande, le voit-il réellement comme un allié en Europe ?

Hans Stark : Bien sûr. La France reste le premier partenaire pour les missions à l'étranger. Lorsqu'une crise se présente, notamment en Afrique, c'est sur Paris que l'on peut compter.

Alfred Grosser :Les relations entre Barack Obama et Angela Merkel ne sont pas spécialement bonnes. Une partie de l'élite politique allemande ne veut pas s'opposer à Vladimir Poutine, et Angela Merkel reste méfiante face au jeu diplomatique. Une seule chose est certaine : la France reste totalement absente, et les Etats-Unis ne se rapprochent pas de la France pour compenser le rafraîchissement avec l'Allemagne.

Quel rôle Hollande a-t-il joué dans la gestion de la crise ukrainienne ? Quelles missions concrètes lui ont été dévolues par Merkel et Obama ?

Hans Stark : La France, traditionnellement, n'est pas très présente en Europe centrale. Mais il y a eu récemment une très forte concertation entre Laurent Fabius et Frank-Walter Steinmeier (le ministre allemand des Affaires étrangères, ndlr) sur les grands dossiers de politiques étrangères de la zone. C'est quelque chose à mettre à l'actif du gouvernement français d'avoir pu renouer un dialogue qui était rompu lorsque Guido Westerwelle était ministre (2009-2013). Ce dernier était, il faut le reconnaître, l'incarnation même de la "retenue" allemande.

Alfred Grosser : C'est difficile de savoir cela avec précision. Ce qui est clair, c'est qu'il n'y a pas d'apparition marquante de François Hollande sur le dossier ukrainien. Angela Merkel, elle, est constamment présente sur cette question, mais il est assez difficile de voir quelle est sa position, d'autant qu'il y a une pression des industriels allemands pour ménager les Russes.

Peut-on parler d'un recul de la voix de la France sur la scène internationale depuis l'arrivée de François Hollande ? En quoi peut-on y voir une conséquence d'un relatif délitement de la relation franco-allemande ?

Hans Stark : Nicolas Sarkozy s'est emparé des crises internationales, réagissant avec, parfois, une vitesse inouïe. François Hollande est aussi vite intervenu au Mali, mais les choses se sont faites moins rapidement que, par exemple, la crise libyenne. Nicolas Sarkozy restait quand même, donc, plus présent. Mais on peut dire que François Hollande est, sur cette question, plus proche d'Angela Merkel qui préfère réfléchir et analyser longuement avant d'intervenir. Mais de toute façon, quand il y a une crise majeure – à l'exception de celle de la zone euro – ce n'est pas le couple franco-allemand le principal acteur de sa résolution, mais plutôt l'ONU, où Paris a une place majeure.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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