Le mariage gay adopté en Irlande et ce que cela nous apprend sur le débat politique français<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mariage gay a été adopté sans heurt en Irlande.
Le mariage gay a été adopté sans heurt en Irlande.
©Reuters

Politique vs religion

Vingt-deux ans après la dépénalisation de l’homosexualité en Irlande, le pays vient d’adopter le mariage gay vendredi 22 mai par référendum, avec 62,1% de suffrages favorables, sans que la nation ne se déchire sur le sujet comme ce fut le cas en France. Un contraste qui s'explique surtout par des différences culturelles en matière de débat public entre les deux États.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Vingt-deux ans après la dépénalisation de l’homosexualité en Irlande, celle-ci vient d’adopter le mariage homosexuel par référendum. Comment expliquer la facilité avec la quelle cette loi a été adoptée ?

Bertrand Vergely : Trois choses expliquent ce changement d’attitude. La première est propre à l’Irlande. La répression de l’homosexualité dans ce pays a été féroce, bien plus féroce qu’en France. Aujourd’hui, l’Irlande a décidé de tourner la page et  d’ " évoluer", afin de s’adapter au monde contemporain  qui voit triompher les valeurs libérales tant dans le domaine économique que dans le domaine des mœurs. Ce changement d’attitude se retrouve au sein de l’Église catholique où beaucoup de catholiques s’interrogent. N’avons-nous pas été trop durs par le passé ? Ne convient-il pas d’être plus tolérant ? Après tout les couples homosexuels qui veulent se marier s’aiment et l’amour est l’un des piliers du christianisme. Ne convient-il pas d’accepter le mariage homosexuel au nom de l’amour ? L’Église protestante a décidé d’offrir une bénédiction aux couples homosexuels. Ne faut-il pas leur accorder au moins une reconnaissance au nom du droit à l’existence ? Enfin, il y a la psychologie anglo-saxonne. En Angleterre, le mariage homosexuel a été adopté en une après-midi, contrairement en France où il a donné lieu à près de trois semaines de débats. Pace que les Anglais ont horreur des conflits idéologiques, parce qu’ils respectent la vie privée des autres afin que l’on respecte la leur, parce qu’ils veulent avoir la paix, parce que cette question ne les intéresse pas. Ils pratiquent le Why not ?, le Pourquoi pas ?, beaucoup plus que les Français.  

Quelles sont les éléments qui permettent d'expliquer cette différence d'approche ?

L’Église catholique a été prudente et discrète à propos du mariage homosexuel. Les évêques se sont gardés d’être en tête de manifs avec des crucifix. Cela leur a d’ailleurs été reproché. En fait, c’est l’héritage catholique dans les consciences qui a été mis en cause et montré du doigt, les partisans du mariage pour tous reprochant à leurs adversaires leur catholicisme inconscient. Je crois que ce qui s’est passé en France s’explique pour des raisons politiques plus que religieuses. Pour se faire élire et pour marquer son appartenance à la gauche, François Hollande a fait du mariage homosexuel un argument de campagne électorale ainsi qu’un marqueur idéologique. Alors que les Irlandais ont adopté le mariage homosexuel dans la perspective d’un apaisement de leur société et de leur histoire, François Hollande a chosi cette question pour mettre le feu à la société et apparaître ainsi comme de gauche. Ce qui contraste avec par ailleurs sa volonté affichée de faire advenir une société apaisée. Il fallait de la paix pour l’Irlande. D’où l’adoption du mariage homosexuel. Il fallait une guerre à François Hollande. D’où le mariage homosexuel à la française.

Quelles sont les différences culturelles entre la France et l’Irlande en matière de débat public ?

Elles sont liées à l’histoire. L’Irlande a connu une très longue et très douloureuse guerre civile entre catholiques et protestants à propos de son indépendance et de son rattachement à l’Angleterre. La France a connu la révolution. Si l’Irlande a été marquée par la question du nationalisme, la France a été marquée par celle de la religion.  Le soucis de la France étant d’inventer la religion moderne des droits de l’Homme et de la laïcité, la question est de part en part idéologique. Ce n’est pas le cas en Irlande où la question est identitaire et nationale. Alors que la question irlandaise a été dominée par la lutte entre catholiques et protestants, la question française est dominée par la lutte entre les Lumières et la religion. Les Irlandais ne remettent pas en cause la religion. Nous, si. Alors que le problème des Irlandais est de savoir si ils vont être catholiques ou protestants, le nôtre et donc de savoir quelle religion ils vont avoir, notre problème n’est pas de savoir quelle religion nous allons avoir mais de ne pas en avoir du tout.

Adopter une loi comme celle du mariage homosexuel par referendum facilite-t-il le débat public ?

Les Irlandais se sont permis un référendum sur ce sujet parce qu’ils savaient que la société ne se déchirerait pas à cette occasion. Alors que la manif pour tous réclamait un referendum sur ce sujet, François Hollande s’est gardé de satisfaire cette demande, non pas tant pour préserver la paix publique, que par crainte de perdre.  Les referndums sont parfois nécessaires. Reste qu’ils exacerbent les passions, les referendums en France étant en général liés à des coups politiques. C’est la raison pour laquelle le débat me semble mieux se passer dans les journaux ou à l’ Assemblée Nationale ou bien encore grâce à des sites comme Atlantico, qui permettent aux idées de faire leur chemin. Les idées ont besoin de temps et d’espace. Réduites à des slogans dans la passion des joutes référendaires, elles perdent de leur consistance et donc de leur valeur. 

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