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Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le macronisme, coming out de la gauche inégalitaire.
Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le macronisme, coming out de la gauche inégalitaire.
©Patrick KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Louis Maurin publie « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez » aux éditions Plon. Le directeur de l'Observatoire des inégalités dresse un tableau économique et social à rebours du discours ambiant. Ce palmarès économique et social lève le voile sur cette France des " encore plus " : ceux qui traversent les crises sans embûches, tout en prétendant le contraire. Extrait.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
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La conversion du sommet du pouvoir de la gauche repose sur d’autres facteurs et notamment idéologiques plus profonds, qui dépassent largement le Parti socialiste. Bon nombre d’intellectuels ont théorisé depuis longtemps l’avènement d’une société d’individus et la fin des classes sociales. Dès le milieu des années 1990, Jean-Paul Fitoussi et Pierre Rosanvallon expliquent que l’on entre dans un « nouvel âge des inégalités », vécues de manière individuelle, où les classes sociales sont absentes. Toute une littérature documente alors en quelque sorte le mot de Margaret Thatcher – « There is no such thing as society » (« La société n’existe pas »), elle s’efface devant une addition d’individus que le marché suffit à organiser. C’est exactement les mots d’un grand sociologue de gauche, Alain Touraine, qui, dans un ouvrage paru en 2010, nous explique que la société n’existe plus.

En parallèle, des transformations économiques et sociales bien concrètes ont nourri l’évolution des discours. L’élévation des niveaux de vie a entraîné une amélioration des conditions d’existence des plus démunis jusqu’au début des années 2000, bien après le premier choc pétrolier de 1974. Sur cette base, certains n’ont pas repéré le déplacement des formes de la distinction sociale. Ils ont confondu transformation et décomposition sociale. Ils n’ont pas su voir ce qu’il y avait derrière le brouillard entraîné par le déclin du monde ouvrier. La « moyennisation » et l’homogénéisation des modes de vie ont brouillé les pistes. Un sociologue comme Henri Mendras, pourtant solide observateur des tendances de la société, comme bien d’autres, a cru à l’avènement d’une vaste classe moyenne. Les sciences sociales ont contribué à une sorte d’« éclipse », pour employer le terme du socio‑ logue Stéphane Beaud.

Ce n’est pas tout. La conversion d’une partie de la gauche est aussi une manière de réduire l’hiatus entre une idéologie et sa pratique. Une « dissonance cognitive » majeure. Le macronisme lui offre pour cela une occasion en or, avec un vernis moderne et un homme qui vient de la gauche. En se ralliant à lui, toute une partie de la gauche fait une sorte de coming out et révèle au fond sa vraie nature. En pratique, les catégories sociales favorisées, de droite mais aussi de gauche, veulent jouir pleinement du confort matériel de la société de consommation, tout en la critiquant. Elles ont notamment besoin du temps flexible des autres, qu’elles achètent sous des formes très variées : femmes de ménage, gardes d’enfants, hôtellerie, restaurants, transports, commerces, etc. (voir chapitres 8 et 9). Au nom de la « modernité », la bourgeoisie culturelle revendique la précarité et le travail à la tâche (sous couvert de la célébration de la « révolution numérique ») pour les autres, moins qualifiés, pour qui ce serait la seule solution pour in fine accéder à la consommation. S’il veut consommer, le jeune Arabe de cité doit accepter de rouler des heures durant au service d’Uber pour que ces bourgeois puissent profiter des bienfaits de la ville à l’importe quelle heure.

L’entrée dans une longue période de faible croissance économique à partir des années 2000, période de « grande stagnation » dont nous ne sommes jamais sortis, a joué aussi un rôle. Tant que la croissance est là, on peut céder une part du gâteau plus importante aux moins favorisés sans en perdre soi-même. Les plus aisés lâchent plus facilement du lest comme cela a été le cas en 1968 et jusqu’aux années 1980. Quand le gâteau ne croît plus, la tension s’accroît autour de sa répartition : ce que l’un gagne, l’autre le perd.

L’effet est exactement similaire avec la mobilité sociale. Les périodes dans lesquelles l’emploi qualifié progresse fortement, comme cela a été le cas dans les années  1960 et  1970, portent mécaniquement vers le haut des catégories moins favorisées. Le pays a alors besoin de cadres supérieurs en quantité. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a investi massivement dans l’école. Mais quand les places deviennent plus rares, comme c’est le cas depuis vingt ans, la compétition est plus tendue et accéder au sommet devient plus difficile. À ce jeu, les plus favorisés sont les grands gagnants.

Dans ce contexte nouveau en termes de revenus comme d’emplois, les classes favorisées lâchent beaucoup moins facilement du lest. Chacun, avec plus ou moins de poids dans le débat public, cherche à légitimer son niveau de vie. D’où, par exemple, l’insistance des classes aisées pour mettre en avant leur « ras-le-bol » fiscal. D’où aussi la nécessité de plus en plus forte de légitimer dans l’opinion les gains obtenus – pour ceux qui continuent malgré tout à s’enrichir. À la stagnation des niveaux de vie des classes populaires et moyennes, la réponse est claire : « Faites comme les premiers de cordée. » Du coup, l’incompréhension est totale quand une majorité à la fois réduit l’imposition des classes aisées et élève la fiscalité des carburants qui touche tous ceux qui roulent. La mèche des Gilets jaunes a ainsi été allumée, à partir d’un profond sentiment d’injustice.

Extrait du livre de Louis Maurin, « Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez », publié aux éditions  Plon.

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