Le Haut-Commissariat au plan pourrait-il permettre de mieux coordonner innovation technologique et démocratie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron investissement innovation France
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©ludovic MARIN / POOL / AFP

Dangers du monde moderne

Est-il possible de trouver un équilibre entre la liberté d'initiative et l'innovation socialement utile ? Le projet du Haut-Commissariat au plan est-il prometteur et permettra-t-il de suivre les principales voies d'innovation en France ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico.fr : Comment trouver un équilibre entre liberté d'initiative et innovation socialement utile ?

Alexandre Delaigue : Voici quelques tendances que l’on peut citer sur le sujet. Premièrement, l’innovation, la recherche a eu tendance à basculer depuis les années 50 – 60 ou une très grande part était faite par la recherche publique et une plus petite part était de la recherche privée. Il y a eu un basculement dans le sens opposé. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins en proportion de recherche publique et beaucoup plus de recherche privée. Cela varie selon les pays. Aux Etats-Unis, c’est plus de 70% des dépenses de recherche qui sont effectuées par les entreprises privées. Dans les années 50-60, on était à deux tiers de secteur public et un tiers pour le secteur privé, aux Etats-Unis aussi. Voilà le basculement qui a eu lieu. Il y a un certain nombre de facteurs qui expliquent cela. Il s’agit de facteurs socialement utiles. Par exemple aux Etats-Unis, une partie de ce basculement est venu de la diminution du poids des budgets. Dans certains pays cela est venu de la diminution du poids des budgets de défense. Une bonne partie de la recherche était faite dans ce type de secteur. Aux Etats-Unis, il y a aussi eu le fait qu’une très grosse part de la recherche était de la recherche spéciale dans les années 60 avec le voyage sur la Lune qui représentait quelque chose de tout à fait considérable et qui a eu tendance à diminuer après. Il y a un certain nombre d’explications mais globalement quand même, il y a des explications qui viennent à la fois d’un basculement idéologique, on est parti du principe que la recherche publique était moins bien que la recherche qui vient des entreprises privées. Au passage, on a un petit peu oublié le fait que l’innovation c’est toujours un équilibre entre une partie publique et une partie privée. La partie privée s’appuie beaucoup sur la recherche publique. C’est l’exemple célèbre qui avait été donné par l’économiste Mariana Mazzucato qui montre l’ensemble des éléments de recherche publique qui sont dans un simple iPhone. L’essentiel des technologiques qui sont dans un iPhone aujourd’hui sont des technologies originaires initialement issues de la recherche publique.

Aujourd’hui, on constate que l’innovation a tendance à ralentir. C’est un constat qui est fait de manière unanime. On se pose la question de l’équilibre entre recherche publique et recherche privée est satisfaisant.  

Dani Rodrik faisait remarquer dans un article récent que la recherche privée a des avantages mais qu’elle a aussi un certain nombre d’inconvénients. Le fait que la culture du venture capital aux Etats-Unis a un poids extrêmement important. Cela a tendance à biaiser l’innovation dans certaines directions. Globalement la recherche privée n’est pas toujours socialement optimale. Dani Rodrik avance les raisons suivantes : premièrement, une culture un peu insulaire. Des travaux de recherche montrent également que cela va conduire les firmes à choisir des technologies qui ne seront pas forcément les technologies optimales mais à essayer de trouver des choses qui apportent des solutions immédiates à leurs problèmes plutôt que des innovations majeures. On pourrait penser aussi au domaine pharmaceutique dans lequel il est plus rentable de sortir une énième molécule contre le cholestérol plutôt que de trouver des vaccins qui permettraient de soigner des maladies très répandues dans les pays pauvres.

De ce point de vue-là, la recherche privée a des avantages parce que les entreprises privées elles ont l’avantage de la diversité, de pouvoir aller chercher dans des directions auxquelles le secteur public aura du mal à aller. Les entreprises privées ont une grande capacité à convertir des innovations qui viennent du secteur public, à les transformer en produits utilisables. Ce sont des choses qui font l’utilité des entreprises privées mais dans l’ensemble, on pourrait se poser la question de cet équilibre. Il y a beaucoup de gens qui disent aujourd’hui qu’il faudrait peut-être revenir à plus de recherche publique mais dans le même temps en se posant la question de quelle articulation trouver et comment organiser la recherche publique. Cela n’est pas si simple. A l’époque de la guerre froide, il y avait des incitations très fortes pour faire des programmes très ambitieux de recherche publique. Aujourd’hui, est-ce que l’on peut reproduire ce type de culture ? Est-ce que l’on peut encore faire ça ? Cela fait partie des questions qui sont assez ouvertes sur la manière dont on pourrait aujourd’hui reconstruire un accord entre secteur public et secteur privé pour l’innovation.

Le plan proposé par Dani Rodrik peut-il être une réponse ? À quelles conditions ?

Dans cet article, Dani Rodrik ne fait que présenter les problèmes qui sont relativement identifiés. La solution qu’il apporte est assez générale et n’est pas tellement détaillée. Son idée est qu’il faudrait que la recherche soit plus orientée par le secteur public parce que pour l’instant l’équilibre tel qu’il est n’est pas très satisfaisant.

Dani Rodrik est quelqu’un qui, depuis très longtemps, préconise pour les pays en développement différentes formes de politiques industrielles. Il le faisait à une époque où tout le monde disait que la politique industrielle ne marchait pas et on était très critique. Il a pu montrer qu’il y a une certaine forme de politique industrielle qui peut être, non seulement efficace, mais supérieure à des pratiques de simple laisser-faire. Je pense que son idée est plus de dire qu’il faudrait être moins timide. Il appelle plutôt à un basculement idéologique dans le fait de dire il faudrait cesser d’être timide et cesser d’être dans cette logique où selon laquelle seule la recherche menée par le secteur privée est satisfaisante et où il faudrait revenir à une espèce d’ambition, qui était cette ambition qu’on avait dans les années 50 et 60 pour laquelle la recherche était beaucoup plus pilotée par des programmes publics qui étaient parfois de très long termes, parfois qui pouvaient éventuellement se tromper.

Dani Rodrik appelle à plus de volontarisme dans le domaine de la recherche sans véritablement donner les mécanismes de ce volontarisme. De ce point de vue-là, on peut se poser des questions. L’un des facteurs actuels qui aboutit à la situation que nous connaissons c’est le fait que les gouvernements ne veulent pas faire ce type de dépenses. Les incitations qui font que les gouvernements privilégient aujourd’hui plutôt un peu le court terme plutôt que ce type de chose, de discours ronflants sur l’innovation, on ne fait disparaître ce genre d’incitation du jour au lendemain. Ce n’est pas si facile. On peut toujours dire, il faudrait qu’il y ait une politique industrielle qui fonctionne et on peut avoir quelques idées dans ce domaine-là mais dans la pratique, ce n’est pas si facile que ça de revenir à des contextes qui ne sont plus les nôtres comme le contexte des années 50 et 60. Il est possible qu’il y ait d’autres facteurs qui expliquent le ralentissement de l’innovation.   

Quelles sont les principales voies d'innovation utiles en France ? Le projet du Haut-Commissariat au plan est-il prometteur ?  

Alors que nous avions auparavant un Commissariat général au plan, qui avait de l’influence dans la période des années 50 et 60, qui a eu un poids important dans le redémarrage et la reconstruction de l’économie française. Puis ensuite, il est devenu plus consultatif, jusqu’à devenir l’agence France-Stratégie qui publiait un certain nombre d’études. Maintenant, on nous dit que nous allons refaire un Commissariat au plan avec une idée de penser et d’orienter l’économie vers le long terme.

On peut être un peu cynique en se demandant si ce n’est pas surtout quelque chose qui relève de l’affichage, s’il y a véritablement une volonté et une capacité derrière d’aller dans ce sens-là.

De ce point de vue-là, le moins que l’on puisse dire c’est que l’on pourrait attendre de voir.

Ce que l’on peut noter quand même c’est que dans le domaine de la recherche d’un côté on peut toujours dire que l’on va créer des Commissariats au plan et ce type de choses. Mais le domaine de la recherche en particulier et de la recherche universitaire si l’on fait le constat, les universités en France sont dans une situation financière extrêmement précaire. Tous les chercheurs sont unanimes pour dénoncer un système dans lequel il y a des budgets de plus en plus serrés, des contraintes de plus en plus importantes, des recrutements qui ne se font pas. Bref, dans l’ensemble ce n’est pas un Haut-Commissariat au plan  qui va à lui tout seul changer cette situation extrêmement difficile de la recherche française en ce moment.

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