Le Grand Journal pourrait-il redevenir tendance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Denisot serait en passe d'être évincé du "Grand Journal" de Canal Plus.
Michel Denisot serait en passe d'être évincé du "Grand Journal" de Canal Plus.
©Reuters

Cadavre

La rumeur enfle. Michel Denisot serait en passe d'être évincé du "Grand Journal" de Canal Plus. Pour le remplacer, les noms d'Ali Baddou et de Maïtena Biraben sont avancés.

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

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Michel Denisot va quitter la direction de l’émission Le Grand Journal, sur Canal+. L’affaire semble entendue, à l’heure où les rumeurs font office d’information. La cause la plus souvent évoquée : le manque d’audience, après 9 années de bons et loyaux services, et l’essoufflement de la formule. Les paris vont déjà bon train sur le nom du ou de la successeur, chacun dissertant sur l’authenticité de « l’esprit Canal » de Untel ou Untelle, à l’image de celle de Maïtena Biraben pressentie pour remplacer le sexagénaire.

C’est juste oublier, si on s’arrête une seconde sur cet exemple, que cette journaliste a précédemment déjà officié sur M6, puis sur France 2, puis France 3, puis France 5. Comment une émission comme Le Grand Journal peut-il conserver l’identité de Canal+, en faisant appels à des journalistes gérés tels les footballers, lors des mercatos, sans autre fidélité que celle de leur carrière personnelle ? Sur toutes les chaines de télévisions, comme dans le reste de l’économie, les gestionnaires se succèdent et se copient. Sur toutes les chaines, ils crient les mêmes messages dans les mêmes oreillettes, à des journalistes désormais drivés telles les pouliches aux courses à Longchamp : « plus vite, accélère, vas-y, tu vas le dépasser, voilà, comme ça, continue… ! ». Et ces mercenaires se plient bien volontiers à l’exercice, car la soupe est bonne. Mais pour le téléspectateur, tout ce fast food télévisuel lui donne progressivement un même goût, décevant et amer.

A l’origine, Canal+ était la chaine différente parce qu’elle était la chaine d’André Rousselet, l’ami de François  Mitterand. De ce fait, elle était supposée être la chaine du progrès, de la différence, de l’anti-establishment. Les abonnés payaient, garantie d’une liberté de ton, pendant que les autres chaines étaient supposés être encore plus ou moins aux ordres. Aujourd’hui, les masques sont tombés. Sur Canal+ comme ailleurs, si ce n’est plus, des journalistes aux salaires mirobolants et inavouables, qui ont cumulé les passages sur différentes chaines aux grès des débauchages successifs, miment de plus en plus difficilement l’impertinence et l’indépendance.

Après s’être si longtemps moqué du système, souvent avec talent et humour, après avoir si souvent emmené le téléspectateur dans l’envers du décor d’une certaine comédie humaine, comment faire, le jour où ils sont eux-mêmes devenus une partie de ce décor, un acteur de cette même comédie ? Désormais, un ancien collaborateur en témoigne dans un livre récent, Le Grand Journal fait partie intégrante de la société du spectacle, chère à Guy Debord. Tout sonne faux, et le Off se découvre maintenant dans le livre de repentis qui ont quitté le plateau, après une dernière scène . L’émission s’en relèvera-t-elle ?

Le départ de Michel Denisot risque de ne pas suffire à répondre à cette question, à l’heure où tant de téléspectateurs sont orphelins de la fraicheur d’Omar Sy, dans le SAV. L’animateur va changer. Le décor aussi. L’horaire peut-être. Le concept surement. Bref, que restera-t-il de cette émission ? Que reste-il de l’esprit d’un club de football quand un joueur, arrivé quelques mois auparavant, ayant encaissé quelques millions avant même de parler la langue de ses partenaires, embrasse frénétiquement l’écusson de son nouveau maillot après un but marqué, au nom du fameux « amour du maillot », écorchant, au micro du journaliste, le nom d’un club qu’il n’a pas encore eu tout à fait  le temps d’apprendre? Qui croit encore à ce type de mascarade dans ce monde où le business mondialisé a tué les identités ?

De la même manière, Le Grand Journal est passé au fil des ans de l’héritier de la bouffonnerie déjantée et surprenante du brillant duo De Caunes/Gildas, au titulaire du plateau du festival de Cannes, industrie du cinéma oblige. Il lui reste à prendre garde à ne pas dégringoler trop vite du festival de Cannes au  festival de conn… où les banalités se succèderont dans la bouche de chroniqueuses blasées, et stressées par le contrôle incessant en régie des vendeurs de point d’audience et d’espace publicitaires.

Comment réinstaurer de la saveur dans ce produit, quand tous les cuisiniers cuisinent désormais de la même manière, avec les mêmes calculatrices et les mêmes courbes d’audience sous les yeux ? A l’heure où « mensonge » a été élu mot de l’année par les citoyens, la tache de refondation du Grand Journal est gigantesque. Canal+ a rendez-vous avec la réalité de son identité, au même moment où le socialisme qui lui a donné naissance est confronté au même questionnement. Canal+ est-elle une chaine qui a une vérité qui lui est propre à partager avec ses téléspectateurs, que ce soit sur le fond ou sur la forme, où n’est-elle en fait qu’une chaine qui fait du business comme les autres, derrière une apparence supposée progressiste et contestataire ?

Pour l’anarchiste de gauche Jean-Claude Michéa, sa réponse à ce sujet, dans « La double pensée : Retour sur la question libérale », est sans appel : Canal + est identique à TF1 dans l’art de promouvoir les fausses valeurs : « Si TF1 ou Canal plus décident de vous envoyer trois journalistes chaque fois que votre association réunit trois-cent personnes, il est effectivement temps de vous interroger sur ce que vous êtes réellement en train de dire ou et de faire ».

En d’autres termes, la question qui importe n’est pas qui pourrait remplacer Michel Denisot au Grand Journal, mais bien plutôt qui pourrait encore empêcher Le Grand Journal de devenir chaque jour plus petit ?

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