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Le gouvernement profite des fêtes pour étendre drastiquement la surveillance des internautes français
©Reuters

Joyeux Noël Thérèse

Le gouvernement Français se voit maintenant autorisé, par le décret de l'application de l'article 20, à surveiller qui bon lui semble sous couvert du secret défense.

Atlantico : Mercredi 24 décembre, le décret d'application de l'article 20 nommé "accès administratif aux données de connexion" de la loi de programmation militaire a été publié. Lors de son vote à l'Assemblée, celui-ci avait suscité de vives polémiques, et notamment de la part des associations de libertés sur internet. En quoi cette loi consiste-t-elle concrètement ?

Michel Nesterenko : L'article 20 consiste à mettre entre les mains du Premier ministre et du président un outil extrêmement puissant de contrôle de tous les citoyens. Internet touchant toutes les facettes de la vie privée, le président et son Premier ministre ont maintenant la capacité de surveiller en secret des milliers voire des millions de citoyens dans une grande partie de leurs actes journaliers et de la vie la plus privée. Big Brother est Français maintenant. Les activités de surveillance et de collecte de données étant couvertes par le secret défense il n'y aura pas de protection judiciaire et constitutionnelle. Le fisc et autres services de l'Etat pourront espionner les activités les plus privées de tout un chacun. Si cette loi était vraiment nécessaire et logique, pourquoi n'a-t-elle pas été soumise à l'avis du Conseil constitutionnel avant publication et pourquoi faire publier le décret en pleine période de fêtes de fin d'année quand tout les élus sont avec leurs familles ?

Avec cette loi militaire, le gouvernement de la France cherche à concurrencer le géant Américain et la NSA dont les abus anti-démocratiques sont maintenant largement documentés et décriés par un Congrès et des juges qui se rendent compte, preuves à l'appui, que leur pouvoir de supervision et de contrôle a été neutralisé effrontément par des mensonges continus. La vérité étant masquée par le secret défense, comme ce sera le cas en France. Les enquêtes ont démontré que l'espionnage planétaire de la NSA et du gouvernement américain n'ont empêché aucun attentat mais ont fragilisé la sécurité des entreprises et causé des milliards de pertes commerciales. Les entreprises françaises risquent d'être pénalisées et d'engranger les pertes comme leurs consoeurs américaines.

Fabrice Epelboin : La totalité des ONG concernées et des personnalités ayant, à un titre ou à un autre, défendu la notion de liberté dans le cyberespace, avaient à l’époque dénoncé une loi liberticide, portant gravement atteinte à la démocratie. Cette loi permet à l’exécutif de mettre sous surveillance électronique qui bon lui semble, sans le moindre garde-fou - l’autorité de contrôle censée éviter les dérives n’étant qu’un comité Théodule sans le moindre pouvoir, les archives permettant éventuellement de mettre à jour par la suite d’éventuels abus étant détruites après trois ans.

En donnant un tel pouvoir panoptique à l’exécutif, on déstabilise gravement l’équilibre des pouvoir dans la démocratie française, déjà très présidentialiste, au point qu’on peut très raisonnablement se demander si l'appellation “démocratique” n’est pas usurpée. Qu’en est-il de l’indépendance - déjà précaire - de la justice ? Qu’adviendra-t-il de la sérénité des débats à l’Assemblée si les députés peuvent être mis sous surveillance ? Comment peut-on imaginer une presse indépendante si celle-ci est susceptible d’être placée sous écoute à tout moment ?

Le vote de cette loi par la totalité des députés socialistes - y compris les pseudo-frondeurs - constitue une trahison démocratique de première importance, qui fait voler en éclat la sincérité de leurs déclarations censées convaincre qu’ils cherchent à éviter la mise en place d’une société panoptique.

Quels pouvoirs confère-t-elle aux autorités ? A qui exactement ?

Michel Nesterenko : Compte tenu du fait que toute collecte d'information se fera sous couvert du secret défense, tout peut être considéré comme autorisé. Il faut signaler que le fisc est tout particulièrement habilité à utiliser cette nouvelle forme d'espionnage secret contre tous les citoyens français. La police pourra aussi, c'est déjà le cas aux USA, procéder à des arrestations basées sur des informations secrètes en s'affranchissant de tous les équilibres judiciaires protecteurs des droits constitutionnels de chaque citoyen. La totalité des communications et dossiers des avocats seront maintenant aux mains des policiers et des juges d'instruction sans que la défense en soit informée. Il ne sera pas possible non plus pour les pouvoirs publics de dévoiler les preuves exactes de certaines accusations sans violer le secret défense. On est là dans l'absurde logique d'un régime totalitaire. Et tout cela dans une France qui se réclame la patrie des droits de l'homme. Le jeu démocratique sera complètement faussé car le gouvernement aura tout loisir de porter des affirmations destructrices invérifiables à cause du secret défense. Il faudra croire le gouvernement sur parole. Comment pourra-t-on parler d'indépendance de la justice ?

Fabrice Epelboin : Cette loi donne un blanc-seing aux services du Premier ministre, du ministère de l’Intérieur, de la Défense ou encore à Bercy pour placer sous surveillance la totalité des communications de qui bon leur semble, sans avoir besoin d’en référer à quiconque. Son usage peut être très large et n’est pas encadré. Outre la lutte contre le terrorisme qui servira vraisemblablement de justificatif, on peut tout imaginer. Un journaliste enquête sur un sujet susceptible de mettre l’exécutif ou un ami du pouvoir dans l’embarras ? Un cabinet d’avocats dont l’un des clients gène un ami du pouvoir, ou un autre qui est soupçonné de pousser un peu trop son optimisation fiscale ? Un parlementaire sur lequel on aimerait exercer une influence et sur qui l’on manque de moyen de pression ? Un opposant politique qu’il s’agit de faire taire ? Tout est possible, et tout est laissé à la discrétion et au sens de l’éthique de l’exécutif.

En quoi les contrôles démocratiques prévus ne sont-ils pas suffisants ? Quelles sont les failles dénoncées par ses détracteurs ?

Michel Nesterenko :L'article 20 de la loi de programmation militaire est le pendant du Patriot Act américain. L'exemple américain montre que le résultat est une abrogation pure et simple de la Constitution. Contre une telle loi s'appuyant sur le secret défense aucun contrôle démocratique n'est efficace. Le Congrès américain et les juges américains qui ont des moyens financiers et humains sans commune mesure avec les moyens français n'ont pas pu empêcher toutes les dérives possibles et imaginables. Tout contrôle démocratique est une utopie particulièrement à cause du secret défense. À ce type de lois il y a deux véritables limites en Europe : les contraintes budgétaires et la Cour de justice européenne ainsi que le Parlement européen.

Pour mettre véritablement en application à grande échelle ce type d'espionnage du citoyen il faut un matériel informatique très puissant, des super ordinateurs pour exploiter d'immenses banques de données et de stockage. À ce matériel de dernière génération il faut ajouter pléthore d'ingénieurs informatique, dans un cadre militaire et tenus au secret. Tout cela coûte très cher, ce que la France avec son déficit croissant ne peut se permettre. Surtout alors que l'Armée française, au même moment, rogne tous les budgets de fonctionnement et de renouvellement de matériel qui s'use à grande vitesse par des engagements à répétition.

Les institutions européennes après une lente mise en action ont amorcé une politique de contrôle de l'espionnage étatique américain et aussi celui des sociétés géantes globalisées telles que Google et autres. Il est donc logique de concevoir que dans très peu de temps la France sera mise à l'amende par la Cour de justice européenne.

Il existe une troisième limite logique moins évidente, celle là, mais que les études du fonctionnement du système américain ont amplement démontré. Il s'agit du fait que la quasi totalité des données collectées sont fausses ou bien teintées d'erreurs. Nous savons aujourd'hui que plus de 50 % du trafic électronique est représenté par du spam sans signification aucune. Sur les 50 % restants plus des trois quarts représentent des informations inutilisables car prises hors contexte. Puis il a été démontré qu'au delà de 6 paires de connections entre individus tout le monde est connecté à tout le monde. Bref trop d'information tue l'information et les taux d'erreurs des analyses explosent. C'est le cas aux USA.

Fabrice Epelboin : De l’avis général, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité n’a pas les moyens d’exercer le moindre contrôle, pas plus que la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Jacques Urvoas n’avait la moindre crédibilité - c’est cette même délégation qui niait farouchement, jusqu’à ce que les révélations Snowden la contredise, la réalité de l’appareil de surveillance Français.

La surveillance est une longue tradition française - qu’on peut faire remonter à Nicolas Fouquet - mais avec la surveillance électronique, on entre dans une nouvelle ère, et on installe de façon durable une société panoptique dont les conséquences seront terribles sur la société française. Outre la disparition définitive de toute forme de confiance de la population envers les gouvernants, on ne peut que faire exploser la défiance, et pousser ainsi la gouvernance en France à des dérives autoritaires, ne serait-ce que dans le but de maintenir une paix sociale qui ne s’imposera pas d’elle même, la population ne pouvant dans ces conditions croire à l’idée d’un intérêt commun. Comment peut on imaginer demander à la population de faire confiance à ses représentants politiques quand ces derniers ne font aucunement confiance à la population ? La confiance est une relation réciproque, elle est un socle fondamental pour la démocratie. Sans elle, il n’y a pas d’espoir démocratique.

Dans quelle perspective, attitude de la part des pouvoirs publics s'inscrit-elle ?

Michel Nesterenko : La préoccupation principale du gouvernement est tout d'abord le contrôle du terrorisme. Mais il s'agit là d'un tâche pour la police et pour les juges, qui ne demande que plus de moyens et pas un espionnage couvert par le secret défense qui interdira toute condamnation. Faudra-t-il que le gouvernement français transforme Guantanamo en bagne ou l'inverse ? C'est le terrorisme qui a permis l'abrogation de la Constitution par le Patriot Act qui lui aussi a été imposé sans discussions démocratiques, par le gouvernement américain, dans des conditions similaires à l'article 20 français.

La deuxième préoccupation du gouvernement concerne l'espionnage industriel contre l'Industrie et la recherche française. Face à la guerre économique et l'hégémonie américaine, il y a là un motif très valable d'accroitre les pouvoirs du contre-espionnage français. Pourtant ce ne semble pas être le but de l'article 20 qui cible principalement le citoyen français pas les entreprises et espions étrangers. Pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises dans la conquête des marchés internationaux, il faut que les services français de contre-espionage défendent les entreprises françaises en contrant l'action des services américains, britanniques et autres et que dans le même temps les services Français d'espionnage collectent des informations sur les concurrents étrangers. Nous sommes bien loin des considérations de l'article 20.

Fabrice Epelboin :Les pouvoirs publics s’inscrivent dans une perspective de fin de la démocratie et de la mise en place d’une société panoptique - plus inspirée de Foucault que d’Orwell, en réalité - où la population vit dans la crainte d’un Etat qui la surveille dans ses moindres faits et gestes. Le pouvoir en place fait par ailleurs prendre un risque considérable à la société française, car si le train-train habituel de l’alternance politique venait à être disrupté par l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, alors Dieu sait qui pourrait être surveillé et à quelles fins. Le plus tragi-comique; dans une telle hypothèse, est que les complices de cette mise à mort de la démocratie seraient alors probablement les premières victimes, et que le troupeau de ceux qui minimisent les conséquences de cette loi en affirmant n’avoir rien à cacher pourraient se réveiller en ayant - finalement - une vie privée à faire respecter aux yeux de l’Etat. Qu’il s’agisse de porter assistance à des sans papiers, de prendre quelques largesses avec sa déclaration fiscale, ou de préparer une manifestation dans le cas où celles-ci viendraient, comme en Espagne, à être interdites, tout cela pourrait bien, demain, vous amener en prison de façon préventive.

Cette loi signe la fin d’une certaine forme de régime politique et l’entrée de plein pied dans un régime propre au XXIe siècle, qu’il faut se garder de qualifier de dictature, car ce serait s’épargner l’effort d’une compréhension fine de ce qu’il est réellement. Nous n’allons pas vers un régime tel que l’a connu l’Allemagne de l’Est avec la Stasi ou l’URSS avec le KGB, mais vers tout autre chose, ce qui n’est pas forcément rassurant, en particulier si, en 2017 ou plus vraisemblablement en 2022, l’extrême droite venait à accéder au pouvoir suprême. Il conviendra cependant de se souvenir, en temps utile, que c’est en 2014 que tout cela a été rendu possible.

Mais le pouvoir s’inscrit également dans la dualité à laquelle il va devoir faire face dans un monde où les technologies sont omniprésentes, celui de nouveaux contre-pouvoirs dont wikileaks est un symbole. Ce contre pouvoir, souvent tancé sous le qualificatif de ‘dictature de la transparence’, contribue lui aussi à faire disparaitre toute forme de confiance entre gouvernants et gouvernés. Cette nouvelle forme de pouvoir politique est contemporaine de la chute d’un ancien pouvoir qui avait, tout au long du XXe siècle, accompagné les régimes démocratiques, celui de la presse, longtemps surnommé le “4e pouvoir”, et qui n’est plus que l’ombre de lui même dans la plupart des démocraties modernes.

Les hackers prennent ainsi la place, en terme de contre pouvoir, des journalistes du siècle passé, amenant avec eux une culture spécifique qu’il est essentiel de comprendre pour appréhender les grands équilibres politiques qui se dessinent. Ce sont également eux qui sont les détenteurs des outils et des savoirs qui permettent, dès à présent, de reconquérir un droit à une vie privée mis à mal par les technologies de surveillance, et c’est sur eux que repose l’avenir de nombreuses professions qui ne peuvent se passer de confidentialité pour survivre, comme les avocats, les juges ou les journalistes

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