Le gouvernement de la France a plus besoin d’ingénieurs que d’économistes<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le corps des économistes est certainement celui dans lequel on trouve les adversaires du nucléaire les plus nocifs pour cette industrie", d'après André Pellen.
"Le corps des économistes est certainement celui dans lequel on trouve les adversaires du nucléaire les plus nocifs pour cette industrie", d'après André Pellen.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Coup d'oeil

L’histoire comparée des années 1960 à 1990 qualifiées de glorieuses et de l’ère des désastreuses ayant pris naissance au tournant de ce siècle n’en finit pas d’administrer au pays la dure preuve que les ingénieurs sont davantage économistes que les économistes ne sont ingénieurs.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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L’histoire comparée des années 1960 à 1990 qualifiées de glorieuses et de l’ère des désastreuses ayant pris naissance au tournant de ce siècle n’en finit pas d’administrer au pays la dure preuve que les ingénieurs sont davantage économistes que les économistes ne sont ingénieurs.

S’autoriser à pervertir des lois scientifiques intangibles

Le corps des économistes est certainement celui dans lequel on trouve les adversaires du nucléaire les plus nocifs pour cette industrie. Ceci parce qu’il a plus que les autres l’oreille du pouvoir et des médias, parce que contrairement au corps médical, sciences et technosciences ne conditionnent pas directement les fondamentaux de leur savoir, au point que la pratique du métier peut impunément s’accommoder de l’invraisemblance physique. En atteste la littérature fleuve produite ces derniers temps par la profession sur la fable de l’Eldorado économique de la prétendue filière hydrogène.  

Fait aggravant, l’économiste a d’autant plus l’oreille de tout ou partie des médias qu’il n’a jamais à répondre des conséquences ou de la fausseté de ses prévisions, de ses décisions, de ses expertises, de ses audits et autres conseils… ou d’avoir délibérément placé ses préceptes économiques sous la férule d’une doctrine politique, voire d’une consigne politicienne. Ce que fit Dominique Strauss-Khan, le « meilleur économiste de la Gauche » qui, devenu ministre, saborda Superphénix et la filière française du nucléaire rapide(1).

En 1997, notre homme s’est ainsi tout bonnement affranchi du devoir s’imposant à tout gouvernement d’optimiser les rendements physiques de la vie économique et sociale, sans lequel la prospérité et le bien-être d’une nation ne sauraient progresser. On n’en finit pas aujourd’hui de mesurer combien cette forfaiture a fait école, combien les lois physiques de l’énergie sont quotidiennement bafouées au plus haut niveau de l’État et combien la douloureuse traduction économique d’une politique énergétique inique illustre que l’optimisation du rendement de la machine industrielle est vitale.  

La préconisation du commandeur : un cas d’école

Il est ici question de Patrick Artus, l’économiste aujourd’hui le plus en vue des visionnaires pénétrants, aux thèses duquel la plupart de ses pairs font peu ou prou allégeance. Jusque récemment, nombre de ces derniers s’employaient bien à glaner ça et là quelque éphémère réputation à se livrer à un antinucléarisme à la mode devant micros, caméras et presse écrite, mais sans jamais rivaliser avec le maître omniscient. Parmi les saillies pro LTECV de celui-ci, on retiendra celle exprimée sur son plateau BFM de prédilection, dans l’émission Les experts du 8/11/2020, de la minute 24 (ou 27 au plus court) à la minute 36.

Que disait ce jour-là l’expert de service, convaincu d’un destin climato énergétique de la France définitivement inféodé aux décisions de Bruxelles ? Rien moins que, "pour permettre à l’UE d’atteindre –55 % de carbone, à l’horizon 2050, le seul moyen est d’instituer une taxe à 100 euros la tonne de CO2 et d’engager nos pays à tout miser sur le développement de l’industrie éolienne européenne, la technologie de production électrique qui aura écrasé la quasi-totalité des autres moyens de productions, lorsque, vers le milieu du siècle la transition sera partout achevée. Et de prophétiser que, à ce moment-là, le KWh coûtera trois fois ce qu’il coûte aujourd’hui, que le profit tiré par l’UE de l’industrie éolienne rendra riches ceux qui y travaillent… et pauvres tous les autres !"

Une exploration de l’archive de l’émission Les experts garantit par ailleurs de trouver la séquence dans laquelle Patrick Artus va jusqu’à « démontrer » la supériorité technico économique de l’éolien sur le nucléaire.

Usant d’un droit au chapitre resté intact, un père de l’ARENH ne renie nullement sa conception fourvoyée du marché de l’électricité 

Réagissant au fait qu’EDF refuse la tarification de vente de son électricité imposée par le gouvernement, Jacques Percebois, réputé économiste et spécialiste de l'énergie, vient de déclarer ceci à La Tribune : « L'entreprise y gagne si les prix de marché restent élevés, mais ne bénéficiera d'aucun parachute quand l'électricité se vendra à un montant inférieur à ses coûts de production sur les bourses européennes. »

Et tirant ceci du constat que les cours du MWh ont tendance à chuter sur les bourses européennes – 64 euros ce jeudi : « En termes réels, l'électricité s'écoulant aujourd’hui à 70 euros le MWh pour une livraison en 2028 le sera probablement à moins, car il faut prendre en compte l'inflation à venir ».

Dans le même article, un autre brillant économiste, Emeric de Vigan, va même jusqu’à agiter de la sorte le spectre d’un démantèlement d’EDF imposé à l’État français Bruxelles : « Mais si les prix continuent de baisser, cela posera la question majeure de la rentabilité des actifs de production. »

Ainsi, de deux choses l’une : les élites économique et politique auxquelles EDF et les consommateurs doivent d’être pillés par l’ARENH continuent de croire en la tragique conception du marché sur laquelle repose le dispositif scélérat ; ces élites ont définitivement renoncé à combattre un marché UE notoirement falsifié. Dans les deux cas, elles entretiennent l’imposture selon laquelle la solvabilité de ce dernier ne s’apprécie pas du côté de l’offre, mais bien de celui d’une demande censée être satisfaite en toute circonstance au moyen d’une cotation du MWh traduisant, comme dans tous les secteurs marchands, l’équilibre d’un système production-consommation parfaitement sain.  

Mais quel équilibre prétend refléter l’actuelle baisse des cours MWh, quand le total de la puissance électrique mobilisable en France, à la pointe, restera un piètre 74 GW en janvier et ne dépassera pas 72 GW en février ? Quand, semaine 2, un appel de puissance de 80 GW a obligé la France à importer de l’électricité, en dépit de puissances nucléaire, gazière, et hydraulique en service respectivement de 50 GW, 8 GW et 16 GW.  

La mystification consistant à laisser croire que la chute momentanée des cours du MWh traduit une surcapacité de production pérenne du système électrique européen ne résisterait pas longtemps à la survenue d’une pointe supérieure ou égale à la pointe historique de 102 GW, observée le 8 février 2012. La mystification ne résiste déjà pas à la décision des ministres de l’Énergie des 27 pays membres de l’UE de mettre en place un plan de sobriété énergétique le 6 octobre 2022, afin de réduire leur consommation énergétique respective de 10 % d’ici 2024 ; Ceci, entre autres outils de flexibilité incluant le recours aux interconnexions, aux capacités interruptibles, à l’effacement et, en dernier recours, au délestage.

On se demande donc quelle catégorie de techno-économistes va bien finir par clamer haut et fort que le MWh électrique n’est pas un produit marchand comme les autres. Il lui faut clamer en particulier que le pire des pièges à tendre aux producteurs et aux consommateurs est de vendre ce MWh à terme, voire à long terme, en propageant le mensonge selon lequel le principe ARENH et un marché UE aussi léonin qu’administré suscitent les investissements requis dans les moyens de production idoines ; une formule ne pouvant que favoriser le poison de la spéculation aujourd’hui à l’œuvre.
Que s’abatte sur l’Europe la vague de froid sévissant actuellement aux États-Unis et le piège ne manquera pas de se refermer dramatiquement sur des Français naguère mieux protégés que leurs voisins. L’occasion de rappeler à ces derniers que le 8 février 2012 ils n’en menaient également pas large…

Une compétence et une lucidité populaires croissantes et impatientes à se traduire dans les urnes

« La complaisance politique, le conformisme idéologique et l’incompétence doivent disparaître, à commencer immédiatement par la direction de l’Office fédéral de l’énergie et suivie par une vraie professionnalisation (dépolitisation) des conseils d’administration des 600 entreprises concernées. L’initiative d’une telle remise en question devra venir du parlement, seule institution qui en soit éventuellement capable, si ses membres en ont le courage » : Court-circuiter la transition énergétique ! par Michel de Rougemont.

Tous les pays d’Europe ne succombent pas à l’impéritie caractérisée ci-dessus par un ami Suisse, mais tous en sont frappés.

En tout cas, le renouveau de l’industrie française ne peut que commencer par un réinvestissement des ministères clés par les ingénieurs, sans lequel rien de sérieux n’est envisageable. Le tropisme ayant peu à peu amené des communicants pour la plupart militants stériles à occuper les centres décisionnels de ces ministères est la principale cause de l’effondrement de l’expertise française, illustrant le naufrage de nos systèmes scolaire et universitaire dont rendent compte les classements PISA, notamment dans les domaines scientifique et technique.

Est-il besoin de rappeler que, hormis l’échec du plan calcul (5), l’industrie française n’a pu jadis briller des créations Concorde, Airbus, TGV, Ariane, Rafale et autres parc électronucléaire que grâce à la juste place occupée par nos ingénieurs dans les équipes gouvernementales.

Contrairement à une idée reçue, ceux-là étaient les meilleurs dans leurs spécialités « en même temps » qu’en économie, en tout cas bien plus efficaces dans ce domaine que biens des économistes d’aujourd’hui à côté desquels un Marcel Boiteux – brillant non-ingénieur à la tête d’ingénieurs – passe pour Schumpeter.

(1)   Fac-similé de la lettre adressée au Président du Directoire de la NERSA, le 20 avril 1998 


Monsieur le Président

Vous avez déposé le 27 octobre 1992, conformément aux dispositions du décret du 11 décembre 1963 modifié relatif aux installations nucléaires, une demande d’autorisation de création de l’installation nucléaire de base dite « Centrale nucléaire de Creys Malville », située dans le département de l’Isère.

À l’issue de l’instruction de la procédure administrative afférente à cette demande, un décret d’autorisation de création a été signé le 11 juillet 1994 et a été publié au Journal Officiel du 12 juillet 1994.

Ce décret a été annulé par un arrêt de la section du contentieux du Conseil d’État en date du 28 février 1997, et l’installation dont votre société est l’exploitant nucléaire est actuellement à l’arrêt.

Dans ces conditions, après examen de la situation de l’installation sur les plans juridique, technique et économique, et à la suite de la réunion des ministres du 2 février 1998, il a été décidé de répondre par la négative à votre demande précitée et donc de ne pas autoriser le redémarrage de la centrale nucléaire.

En effet, ce prototype lancé dans les années 1970 dans un contexte de pénurie d’énergie et de faiblesse estimée des ressources en uranium, est désormais inadapté au contexte actuel : le parc de centales classiques suffit amplement à subvenir aux besoins de la France ; il n’y a pas aujourd’hui de tension sur les prix de l’énergie, ni de pénurie dans les approvisionnements en uranium, la filière de surrégénération ne semble pas avoir de perspective industrielle à court terme.

En outre, ce prototype, qui constituait un saut technologique considérable, a été difficile à maîtriser et a coûté beaucoup plus cher que prévu. Il ne peut en l’état constituer un modèle à répliquer à l’identique dans un programme d’équipement en surgénérateur.

Signé :

Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie : D. Strauss Khan

La ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement : D. Voynet

Le Secrétaire d’État à l’Industrie : C. Pierret


(2)  https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/prix-de-l-electricite-le-jeu-dangereux-d-edf-987627.html?xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20240112&M_BT=18816351293

(3)   https://www.alterna-energie.fr/blog-article/comprendre-le-dispositif-dequilibrage-entre-production-et-consommation-delectricite#:~:text=Au%20niveau%20europ%C3%A9en%2C%20les%20ministres,10%20%25%20d'ici%202024.

(4)  https://blog.mr-int.ch/?p=11182

(5)  https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/il-y-a-des-lecons-a-tirer-du-plan-calcul-pour-notre-politique-industrielle-maurice-allegre-interview/

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