Le G20 de tous les égoïsmes ? Les raisons de la foire d’empoigne entre émergents et pays riches<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le président russe Vladimir Poutine assiste à un match de bras de fer (photo d'illustration).
Le président russe Vladimir Poutine assiste à un match de bras de fer (photo d'illustration).
©Reuters

Du rififi en Australie

Le G20 finances de Sydney est le théâtre d'une confrontation entre deux blocs concernant la politique monétaire de la FED, promise à un durcissement sur les prochains mois : les pays émergents s'inquiétant d'une fuite des capitaux tandis que les pays développés reboutent les accusations. Les mauvais résultats économiques de la zone euro sont aussi pointés du doigt...

Atlantico : Le G20 finances de Sydney est le théâtre d'une confrontation de plus en plus marquée entre les responsables économiques des différents pays. Deux blocs semblent ainsi déjà se disputer sur la politique monétaire de la Fed, promise à un durcissement sur les prochains mois, les pays émergents s'inquiétant d'une fuite des capitaux tandis que les pays développés - Japon et Etats-Unis - reboutent les accusations. Quels sont les raisons d'une telle rivalité ? Qu'en attendre au sortir de cette réunion ?

Nicolas Goetzmann : Tout d’abord, l’agenda du G20 risque d’être perturbé par la situation Ukrainienne. Car la crise se propage également sur les marchés financiers, et notamment sur la Russie. Il est désormais de plus en plus probable que l’Ukraine soit contrainte de faire défaut sur sa dette, ce qui représente environ 60 milliards d’euros qui sont majoritairement détenus par les banques russes. La conséquence est que le rouble perd peu à peu de sa valeur et revient à une valorisation comparable à celle de la fin 2008. Cette situation n’est pas neutre, notamment du point de vue de Vladimir Poutine.

Au-delà de ces derniers développements, les tensions sont réelles entre les émergents et les Etats-Unis. La Fed est accusée de perturber les marchés mondiaux en raison du ralentissement de ses programmes de soutien monétaire. Il ne faut pas oublier qu’elle était déjà critiquée pour les avoir mis en place. C’est une accusation facile, cela ne mange pas de pain. La réalité est que la vision économique américaine est calquée sur son marché intérieur, et ce à l’inverse de nombreux pays émergents, notamment ceux qui sont des exportateurs de matières premières. La rivalité n’a pas vraiment de sens car les Etats-Unis peuvent se cacher derrière des faits, ce n’est pas l’ensemble des pays émergents qui a été frappé par cette crise. Les situations sont très différentes et il ne peut se dégager une réelle unité qui rendrait les Etats-Unis coupables.

Car la responsabilité des récents événements repose sur les épaules européennes, mais surtout sur celles de la Chine. Car la Chine est entrée dans une logique de ralentissement économique, ce qui pèse très lourd pour l’ensemble de ses partenaires directs pour qui elle est le moteur de leur développement. Un ralentissement de la Chine, cela signifie moins d’exportations, une baisse du prix des matières premières qui sont exportées, et plus de difficultés pour placer sa dette sur les marchés.

L’autre pays qui accuse les Etats-Unis, mais aussi pour de mauvaises raisons, c’est le Venezuela. Le pétrole représente 95% de ses exportations et les Etats-Unis sont en route pour leur indépendance énergétique, et leurs achats de pétrole sont donc en chute libre. Ce qui est en train de mettre le système de Nicolas Maduro au tapis.

Pierre Salama : A l'heure actuelle, les économies développées, à l'exception des Etats-Unis, connaissent un ralentissement tandis que les pays émergents expérimentent une réduction de leurs croissance (c'est le cas de la Chine), quand ce n'est pas une chute drastique (Inde, Indonésie). Dans un contexte aussi difficile, Washington a choisi de modérer son fameux "tappering" (impression quasi illimitée de nouvelle monnaie), ce qui a eu pour conséquence d'initier un retour de capitaux jusqu'ici placés dans les pays émergents. Face à cette baisse de liquidité, ces derniers se retrouvent ainsi confrontés à des difficultés structurelles dont les bases étaient toutefois déjà présentes avant la crise (déficit des comptes courants et de la balance budgétaire). Brésil, Indonésie, Inde sont parmi les premiers concernés par ce retour de bâton de la réalité des fondamentaux économiques qui a provoqué une dépréciation de la monnaie nationale parfois considérable. S'ensuit une inflation galopante ainsi qu'une réductiton de la croissance de ces pays depuis maintenant deux ans. Dans un tel contexte, on comprend aisément que de nombreux pays d'Asie et d'Amérique du Sud ne voient pas d'un bon œil les choix économiques américains.

On peut rester toutefois sceptique à l'idée que le G20 pourrait d'une quelconque manière calmer les tensions actuelles. Pékin est le principal acteur et le principal problème dans cette histoire puisque de nombreux pays émergents restent dépendants de la conjoncture ainsi que des investissements chinois. C'est le cas de toute l'Amérique latine (à l'exception du Mexique) dont l'économie reste principalement entraînée par la vente des matières premières en Asie. Il suffirait ainsi que le cours de ces matières premières baisse, c'est d'ailleurs déjà le cas pour les matières ferreuses, pour que le continent renoue avec les difficultés qu'il a déjà rencontré 15 à 20 années plus tôt. L'importance prise par le commerce Sud/Sud ces dernières années a clairement bénéficié à la Chine devenue "atelier du monde"Dans une telle configuration, il suffit donc que la Chine expérimente quelques difficultés (accumulation des créances douteuses, comptabilités cachées...) pour que le reste des pays émergents, du moins une bonne partie, en ressente les effets douloureusement. Autrement dit, tenter de résoudre les difficultés des émergents c'est tenter de résoudre les difficultés colossales et extrêmement complexes qu'affronte la Chine actuellement, et l'on peut facilement deviner qu'une solution ne se trouvera pas d'ici peu. 

L'autre point de discorde concerne la zone euro dont les résultats économiques restent encore des plus mauvais, un fait qui impacte l'ensemble de la planète sur le plan commercial. Cet "euro-bashing" de plus en plus prononcé est-il justifié actuellement ?

Pierre Salama : On pourrait être tenté à première vue de voir cette dénonciation de l'Europe comme une stratégie du bouc-émissaire qui permettrait de détourner l'attention des problèmes rencontrés par les émergents.

Néanmoins, on peut comprendre les reproches de ces derniers quand on sait que les Européens ont toujours et partout prôné un libre-échange qu'ils n'appliquaient pas pour eux-mêmes. La PAC et l'immense système de subventions qui en découle est ainsi un point souvent critiqué par les pays d'Amérique du Sud qui se plaignent d'une concurrence déloyale. En parallèle le ralentissement européen peut aussi s'expliquer de façon plus "structurelle", que ce soit par la création de nouveaux axes commerciaux que par la baisse des investissements direct étrangers dans une zone qui reste malgré tout l'un des premiers espaces de consommation, mais aussi le premier client de la Chine. Cette relative marginalisation du Vieux Continent ne date pas d'hier et il ne faut donc pas y voir ses problèmes internes comme le cœur du débat actuellement. Le premier "point de discorde" reste la politique économique américaine et ses conséquences.

L'objectif affiché de cette rencontre est d'aboutir à une coordination des différentes politiques monétaires. Un projet aussi ambitieux a t-il des chances d'avancer face aux réticences des un et des autres ?

Nicolas Goetzmann : L’Europe ne participe plus à la croissance mondiale et elle importe toujours moins, c’est d’ailleurs la principale raison de l’amélioration de sa balance commerciale. L’Europe n’exporte pas plus, elle importe moins. Et cela fragilise l’ensemble des partenaires. Cette logique mercantiliste de l’Europe est à haut risque car elle consiste à se réfugier derrière les efforts entrepris à l’étranger pour soutenir la croissance, et en devient de fait dépendante. Encore une fois, les Etats-Unis n’ont pas ce type de raisonnement car ils se focalisent sur leur marché intérieur, ce qui leur donne une certaine autonomie. L’Europe raisonne comme si elle était la Suisse, alors que le monde entier a besoin de voir le consommateur européen se réveiller, ce qui n’est pas au programme. Le G20 va être l’occasion pour l’Europe d’écouter les points de vue de ceux qui sont ses partenaires, et qui sont excédés de voir la zone euro continuer à mettre en place une politique qui ne délivre aucun résultat depuis 7 ans.  L’aveuglement idéologique européen devient un réel sujet de crispation, aussi bien pour les émergents, que pour les Etats-Unis, que pour le FMI.

L'objectif de cette rencontre est de tenter, au-delà des problématiques autour de la Fed, une coordination des différentes politiques monétaires. Un projet aussi ambitieux a-t-il des chances d'avancer face aux réticences des uns et des autres ?

Nicolas Goetzmann : Cela peut être souhaitable, mais cela est hautement improbable. Ceci en raison des deux logiques qui s’affrontent : les Etats-Unis, le Japon, ou le Royaume Uni se focalisent sur leur marché intérieur, notamment pour ne pas permettre une déstabilisation économique qui viendrait de l’extérieur. Chacun balaie devant sa porte ici. De l’autre côté, il y a une logique plus orientée vers l’exportation et la effectivement  il y a un problème. Comme les Etats-Unis considèrent que son marché revient à l’équilibre souhaité, elle ralentit le rythme de soutien, ce qui perturbe ceux qui en dépendent.  Lorsque l’Europe se plaint des opérations monétaires américaines, c’est un peu comme si un auto-stoppeur se plaignait que son chauffeur ralentisse.

Pour qu’il y ait convergence entre les membres du G20, il faudrait une harmonisation de l’approche, et ce n’est pas encore le cas. La croissance mondiale repose sur quelques-uns, c’est bien cela qui ne peut pas durer. L’Europe a une lourde responsabilité ici.

En parallèle, les rivalités commerciales entre la Chine et les États-Unis s'accentuent sur fond de rivalités géopolitiques dans le Pacifique. Ces bisbilles ont-elles une chance de s'inviter dans cette rencontre ?

Pierre Salama : Nous sommes ici dans une phase de tensions sur le temps long, Washington ayant peu à peu a réalisé que l'axe du monde se déplace peu à peu vers Pékin. Les Etats-Unis étant un important débiteur de la Chine, il ne peuvent se permettre de faire n'importe quoi sur le plan politique à l'égard d'un rival pourtant de plus en plus important. Obama a toutefois tablé sur une stratégie d'encerclement commercial en entretenant un réseau d'alliance assez important en Asie du Sud-Est (ASEAN, futur traité transpacifique), bien que cela ne laisse pas la Chine indifférente, son discours diplomatique ayant eu à tendance à se durcir sur les derniers mois.

S'il n'est pas improbable que des "petits succès" soient emportés au sortir du G20 en termes d'apaisement, il faudra à mon avis davantage les analyser comme un retrait tactique plutôt que comme une véritable tendance au retour du dialogue.

Des inquiétudes se font aussi sentir sur la carence des investissements qui paralysent l'économie réelle. Le principal enjeu de ce G20 ne devrait-il pas en conséquence être celui d'un accord autour de la mise en place d'une politique de long-terme qui offrirait une meilleure visibilité à l'économie mondiale ?

Des inquiétudes se font aussi sentir sur la carence des investissements qui paralysent l'économie réelle. Le principal enjeu de ce G20 ne devrait-il pas en conséquence être celui d'un accord autour de la mise en place d'une politique de long-terme qui offrirait une meilleure visibilité à l'économie mondiale ?

Nicolas Goetzmann : Nous revenons à une logique d’harmonisation ici. Pour cela, il faudrait que l’ensemble de la planète se mette d’accord sur le fonctionnement de l’économie, mais chacun a une vue différente, et chacun pense que sa manière est la bonne. Rien de nouveau. Les récentes hausses de taux de l’Afrique du Sud ou de la Turquie se sont faites en dehors de toute logique économique. Pendant ce temps, l’Argentine et le Kazakhstan dévaluent, le Ghana met en place des contrôles de change, et la Russie semble vouloir relever ses taux. C’est dire que chacun réagit d’une façon différente à une crise qui se propage par les erreurs des uns et des autres. D’où l’importance du G20 qui permet au moins d’échanger et de se mettre d’accord sur ce qui se passe réellement, et peut être pour influencer les décisions. La carence des investissements n’est rien d’autre que la conséquence de la faible croissance, notamment en Europe.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !