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Le FN comme seule opposition après 2017 ? A quoi ressemblerait un quinquennat où le PS aurait été éliminé comme en Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou en PACA
©REUTERS / Yves Herman

Scénario noir

Relations avec la majorité, production des lois et des amendements, exposition médiatique accrue, influence au Parlement... Devenir la principale force d'opposition pour le FN modifierait concrètement des équilibres calibrés depuis le début de la Vème République.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : un article du Canard enchaîné (édition du mercredi 9 mars) mentionne la crainte de Jean-Christophe Cambadélis de voir le Front national devenir la première force d'opposition en cas de convergence du mouvement social anti-loi El-Khomri et des manifestations de la jeunesse. "Sans compromis autour de la loi El-Khomri, Hollande peut être éliminé au premier tour, et la gauche sévèrement battue dans la foulée aux législatives [...], aucun député PC, aucun député EELV, 80 députés PS au maximum. Soit moins que le FN, qui pourrait en avoir une centaine. L'opposition à la droite, ce serait donc le Front national, pas nous", rapporte le journal hebdomadaire. Que perdrait la gauche dans un tel scénario, outre le pouvoir exécutif ?

Vincent TournierCe serait évidemment une tragédie pour le PS et un profond bouleversement pour le système politique tout entier puisque, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, le clivage dominant cesserait d’opposer la gauche et la droite.

Cela dit, il ne faut pas s’emballer. D’abord, il est toujours risqué de faire de la politique fiction car, dans ce domaine, les choses peuvent évoluer très vite. Même François Hollande, pourtant au plus mal dans les sondages, peut rebondir dans les mois qui vont précéder le scrutin présidentiel. Il suffit de se rappeler que François Mitterrand, en 1988, a su l’emporter haut-la-main contre Jacques Chirac, alors que tout le monde le disait fini. Et n’oublions pas que François Hollande a été formé à l’école mitterrandienne.

Ensuite, le scénario d’une centaine de députés FN ne peut se réaliser que si le mode de scrutin est modifié. Car il faut être clair sur ce point : avec un scrutin majoritaire à deux tours, le FN n’a aucune chance. Certes, il peut espérer avoir davantage de députés que la poignée qu’il a a actuellement. Mais même s’il améliore fortement son score (qui était de 13% en 2012), il continuera de se heurter à un plafond de verre au second tour. Le problème est toujours le même : il ne dispose d’aucune réserve de voix puisque les électeurs refusent de voter pour lui au second tour. C’est ce qu’ont clairement démontré les derniers scrutins locaux, que ce soit les départementales ou les régionales.

Le gouvernement va-t-il modifier le mode de scrutin ? Ce n’est pas exclu, au moins en instaurant une dose de proportionnelle puisque telle est la promesse faite par François Hollande en 2012. La gauche va sans doute hésiter jusqu’au bout, en l’occurrence jusqu’à ce qu’elle ait la certitude qu’elle ne peut plus gagner. Le débat risque de ne pas être tranché avant l’été (rappelons que, pour les élections législatives de 1986, le PS avait modifié le mode de scrutin en juillet 1985, soit moins d’un an avant l’échéance. Instaurer la proportionnelle permettrait au PS de sauver les meubles, mais aussi de renforcer le FN à l’Assemblée, ce qui gênerait la nouvelle majorité de droite. Ce serait une sorte de cadeau empoisonné laissé par la gauche afin d’aggraver les déchirements internes de la droite et faciliter sa reconquête en 2022.

D’ailleurs, un groupe frontiste nombreux ne serait pas forcément une bonne chose pour le FN lui-même car cela pourrait aussi créer de nouvelles tensions internes. Les clivages seraient plus difficiles à maîtriser pour la direction du parti, et la tension entre une branche modérée et une branche plus radicale risquerait de se développer.

Exposition médiatique, influence sur la production législative... Quels pouvoirs et bénéfices concrets la réalisation d'un tel scénario pourrait-elle conférer au FN ? Et comment celui-ci pourrait-il les utiliser ?

Un groupe d’une centaine de parlementaires FN serait un événement considérable. Ce serait une situation totalement inédite puisque, en 1986, le FN n’avait obtenu qu’une trentaine de députés, ce qui était déjà jugé considérable à l’époque. Les répercussions nationales et internationales seraient donc très importantes.

Concernant en revanche le fonctionnement du Parlement, il faut rester mesuré. Certes, des droits nouveaux ont été accordés depuis 2008 aux parlementaires de l’opposition.Ces nouveaux droits viennent s’ajouter aux dispositions plus anciennes comme la possibilité de déposer une motion de censure (un dixième des députés) ou de saisir le Conseil constitutionnel (60 parlementaires). L’opposition au sein de l’Assemblée peut ainsi accéder à certaines fonctions comme les vice-présidences ou les questeurs, ou même à la présidence de certaines commissions comme la commission des finances ou la commission chargée d’apurer les comptes de l’Assemblée. En outre, les différentes instances de l’Assemblée (comme les bureaux, les commissions d’enquête, les missions d’information) doivent logiquement être représentatives de la diversité des sensibilités parlementaires.

Il est évident que toutes ces dispositions permettraient aux parlementaires FN de peser un peu plus fortement sur le travail parlementaire. Ceux-ci seraient ainsi en mesure d’accroître leur fonction de " poil à gratter ". Ils auront, en outre, une meilleure visibilité, notamment dans les débats parlementaires grâce au temps de parole, et ils acquerront une meilleure expertise sur les différents dossiers, ce qui pourrait les aider pour leur implantation locale dans les circonscriptions.

Cela dit, tous ces éléments ne modifieront pas fondamentalement les rapports de force institutionnels, surtout dans le cadre de la Vème République où le Parlement reste fortement encadré par le pouvoir exécutif. 

Cela pourrait-il avoir une influence sur la nature des lois présentées au Parlement, sur les débats entre gouvernement et députés frontistes ? Sur quels sujets / propositions la droite pourrait-elle en tirer parti, et sur quels autres un FN en principale force d'opposition pourrait-il l'entraver ?

Est-ce que l’élection d’une centaine de parlementaires FN modifierait fondamentalement le travail législatif ? Ce n’est pas sûr. Cela aurait incontestablement des effets sur l’ambiance générale. Il est même possible que le FN organise des manifestations symboliques, par exemple des départs inopinés et massifs de ses parlementaires pendant un débat, ou des chahuts divers, plus ou moins virulents. Les discours solennels des ministres deviendraient plus difficiles. Le président de la République osera-t-il venir s’exprimer devant la représentation nationale ? La présence des parlementaires frontistes pourrait aussi avoir des effets sur le comportement des autres députés, qui se sentiront sans doute tenus de venir plus souvent aux séances. Les incidents publics seraient aussi plus nombreux, ce qui pourrait fragiliser l’image du Parlement.

Quant à savoir s’il y aura un impact sur l’élaboration des lois, on peut rester sceptique. Il est même très possible que, face à un FN puissant, les partis de gouvernement essaient de s’entendre, éventuellement en modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, pour court-circuiter le trublion. L’effet principal d’une forte représentation du FN à l’Assemblée pourrait ainsi être de favoriser un rapprochement entre le PS et Les Républicains, achevant ainsi de transformer le système politique traditionnel vers une grande coalition sociale-libérale dont certains rêvent déjà. C’est une hypothèse d’évolution qui n’est pas exclue. On se rapprocherait alors de la IVème République, avec d’un côté des jeux d’alliance entre le centre-droit et le centre-gauche où se jouerait la formation des gouvernements, et de l’autre deux oppositions aussi agitées que stériles, l’une à gauche autour du PCF et des frondeurs et l’autre à droite autour du FN. 

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