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Le "Drucker Forum" à Vienne, ou comment les technologies peuvent changer le monde pour le meilleur et le pire
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Les entrepreneurs parlent aux Français

Le Forum mondial de Peter Drucker, qui est l'un des principaux congrès de gestion en Europe, s'est tenu à Vienne du 5 au 6 novembre dernier. L'occasion de faire le point sur les nouvelles technologies utiles aux entrepreneurs.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Nous, les Français, exhibons depuis quelques mois, via la presse, une passion sans limite pour les "licornes" et les "robots-cop21" ! Un débat qui permet de parler de ce qu’on a pas et qu’on aimerait tant avoir. Avoir des entreprises valant plus d’1 milliard (la différence avec l’homme qui valait 1Md de notre adolescence, c’est qu’on ne parle plus en francs) d’un côté, que nous aimerions avoir en plus grand nombre et de l’autre, le souhait d’avoir des responsables politiques, enfin responsables justement, réalistes, capables de polluer moins, sans punir plus. Les 2 jours passés avec une centaine de professeurs, sociologues, futuristes, entrepreneurs, et décideurs divers, à Vienne lors du Drucker Forum, m’a permis de prendre un peu de hauteur face à cette petite chanson assommante qui nous impose de subir en boucle, les 5 mêmes personnes, pendant nos journaux de 20H. Notamment Nicolas Hulot pour la COP21 et Blablacar pour les licornes. Les licornes, cette nouvelle espèce d’équidés de luxe, qui enfilent les perles de la bourse sur leur belle corne bleu blanc et rouge.

Commençons par les quadrupèdes du numérique. Nous nous extasions sur le fait que ces entreprises soient valorisées à plus de 1 milliard. Génial ! La consécration en France, de la valorisation du fantasme capitaliste de base qui préfère l’anticipation à la réalité et et les résultats financiers à l’impact sur nos sociétés. Car au final, qu’une entreprise dépasse le milliard de CA nous apporte quoi ? Pas grand-chose à court terme, et peut être rien à long terme. Elle embauche peu, présente un chiffre d’affaire souvent non diffusé (bonjour la transparence), pour cacher son niveau souvent misérable et met en avant, sans qu’on en voit les avantages, l’énorme quantité de cash qu’il faut mettre sur une  seule entreprise pour en faire une belle plante. En clair, il faut mettre 1 million de m3 sur une seule plante pour faire pousser un germe au milieu du désert. A la fin le désert reste et la plante, sans renfort aquatique massif, meurt. Super excitant !

A mon humble avis, nous faisons fausse route. Même Lynn de Rothschild rappelle la valorisation de Whatsapp à plus de 20 milliards pour 53 emplois créés (no comment), et celle de Blablacar à 1milliard pour moins de 300 emplois et peu de chiffre d’affaire. Cela ramène très vite à la réalité. La plupart des licornes vaudront peut être un jour quelque chose, mais à l’heure actuelle c’est un pari illimité sur un nombre d’entreprises trop limité, qui coûte à tous les autres leur accès au capital. C’est une consécration de ce système capitaliste, que même un libéral comme moi déteste, qui obligera ensuite la société à faire n’importe quoi pour battre les prévisions des traders du monde entier, réclamant des bénéfices trimestriels toujours en hausse au détriment du sens, et de l’impact pour l’humanité.

Le Drucker Forum comme votre serviteur, sont plus soucieux d’un retour sur investissement basé sur le bien apporté à la planète, le nombre d’emplois créés, notamment ceux de basse qualification (dont nous avons le plus besoin contre le chômage de masse) et la contribution générale à un monde plus inclusif. On peut trouver quelques éléments intéressants chez Blablacar de ce point de vue au moins (la planète) Mais pour le reste on risque de rester sur notre faim côté quête de sens. Une licorne comme Critéo, Show Room privé, ou Oscaro, présente au moins le mérite de créer entre 800 et 2500 emplois, notamment de petite qualification et de faire entre 400 et 2.5Mds de CA. Sans compter des boîtes comme SAVE, qui a elle seule a créé 370 emplois en 18 mois et en aura créé 1000 de plus pour les 18 prochains. Là cela m’évoque plutôt le pur sang que la licorne. Moins joli, et encore, mais bien plus efficace !

Les autres enjeux évoqués lors du Drucker Forum furent ceux de la destinée humaine, face à la robotisation et du sens à donner à l’évolution de nos technologies. Débats passionnants dans lesquels nos amis Danois, notamment, faisaient état de ces fermes sans terre et quasi sans eau, qui permettent de produire des salades non polluées, sans pesticides, dotées d’un vrai goût et qui permettraient de produire de la nourriture pour 10 milliard d’individus sur terre si l’on étendait le concept. Problème : C’est fantastique, mais élimine de la planète les agriculteurs. Bien ou mal ? Pourrons nous les reconvertir ? Car au final il faut, et c’est souvent le cas, arbitrer entre l’emploi et la planète. Dilemme qui explique la résistance de tant d’états à prendre les mesures que l’état de la planète imposerait. Car préserver une terre dans laquelle l’homme n’a plus de place reste d’un intérêt limité. Peut être devrions nous jouer au « Jim Jones » ce gourou cinglé qui poussa au suicide toute sa secte, plutôt que de se rendre. Ce qui signifie accepter que nous étouffions tous d’un air irrespirable, d’une alimentation mortifère ou soyons immergés sous des vagues géantes, mais avec un taux d’occupation humaine qui donne encore au sens de "planète humaine" une représentation concrète. Terrible non ?

Là aussi le Drucker Forum permis aux entrepreneurs d’opposer leurs points de vue. Les forcenés de la technologie d’un côté, persuadés que développer des technologies qui remplacent l’être humain reste la panacée et que nous n’aurons plus besoin des hommes dans quelques décennies ou si peu. Et qui trouvent cela génial. Parce que le moyen l’emporte pour eux, sur l’objectif. Peu importe la conséquence pourvu qu’on ait l’ivresse et l’illusion, de la modernité et du progrès. Et ceux là investissent sur les systèmes algorithmiques qui se parlent entre eux pour se substituer à l’homme. Bon, ok ! Personnellement je vote contre. Mais je me rassure en me disant que si nous faisons des robots à notre image, ils auront le même degré de stupidité et qu’ils finiront par se détruire eux mêmes. Je vais préférer croire que l’homme résistera et refusera d’être esclave de la technologie et en restera le maître. Mais je n’en suis pas certain. Car nous avons tous envie d’éternité. La mort nous angoisse, la maladie aussi, et nombre de technologues extrémistes et de politiciens « shootés » au taux de croissance créé par ces entreprises, seront prêts à nous agiter la perspective d’échapper à la maladie et à la mort pour nous faire avaler de nombreuses couleuvres. Heureusement, il y avait un bel équilibre entre les générations et les points de vue, ce qui enrichissait ce forum magnifique, et même si la sagesse semblait plutôt du côté des plus anciens, il y avait nombre de jeunes entrepreneurs pour mettre le sens et l’impact au premier rang de leurs préoccupations et qui refusait la performance technologique, comme une fin en soi.

Le Drucker Forum m’a aussi impressionné par la prise de conscience de la couardise politique et du manque de réalisme de nos représentants respectifs. Pour certains qui ne quittent jamais leur territoire, la tentation est grande de penser que nous avons, chacun d’entre nous dans nos pays respectifs, les politiques les plus bêtes au monde. Il est vrai qu’en France, tout nous permet de le croire sans hésitation. Mais ce constat est en fait mondial. Pas une nationalité qui n’ait cité le politique comme l’âne de la classe, et son aveuglement et sa déconnexion comme totalement coupable et irresponsable. Tous dénoncent une politique spectacle, qui privilégie la communication sur le fonds, et le texte sur l’action. Cela permis ainsi à tous les entrepreneurs de se lier, et de se promettre de bâtir une force européenne, dans un premier temps, avec les Danois, les Anglais, les Suisse (eh oui !), les Autrichiens, les Italiens.. Plusieurs mouvements ainsi créés il y a moins de 5 ans, réussissent à prendre les élections en otage, notamment en Autriche où le mouvement libéral parvint à faire 6% aux dernières élections et rentrer ainsi au parlement. C’est donc possible. Et plutôt sur un refrain libéral et social. Equilibré et composé de membres de la société civile, en large majorité. Pourtant, comme en France, chacun leur rappelait que c’était impossible et que passer le cap des 1% tenait du fantasme. Perdu ! La société civile, menée par des entrepreneurs engagés, mais conscients que l’on ne bâtit pas une nouvelle société avec 2% de la population (ce que représente les entrepreneurs dans la plupart des pays), étend ses ailes, naines à ce jour, mais dignes d’un albatros demain, vers toute la population. Ces ailes de géant qui permettraient à nos économies de "remarcher" pour parodier Baudelaire (je m’en excuse auprès de ses descendants et leur assure de ma totale adoration pour ce poète grâce à qui j’obtins 16/20 à l’oral de français !).

La conclusion, c’est que comme pour chaque chose dans ce monde, depuis sa naissance, des forces contradictoires assurent sa dynamique. Il faut donc, pour rendre cette dynamique gagnante pour le plus grand nombre, s’atteler à entrer dans l’ère d’un capitalisme "inclusif", comme Mme de Rothschild (pas celle des livres de bonne manière) le rappela. Un capitalisme dans lequel les investisseurs seront moins excités par un « quaterly result » en augmentation, que par les autres éléments de jugement que sont l’impact pour l’être humain. Cela permettrait ainsi de pouvoir enfin s’extasier devant nos licornes, si elles sont capables, non d’avoir une valorisation comme celles de leurs grands frères américains, afin de compenser nos complexes douloureux, mais un impact plus important que le leur, pour l’emploi, la planète, la place de l’homme sur cette terre.

Un homme de 2.50m ne m’impressionne pas. Sauf si il met 25 points en moyenne contre ses adversaires au basket chaque samedi. Cette excitation médiatique, qui part d’un bon sentiment, oublie de mettre le curseur du débat, là où il devrait être. Ce débat devrait être celui de ce que j’appellerai "l’index d’humanité", la contribution au maintien de l’homme dans sa définition originale. Digne. Respecté. Alimenté sainement. Respirant normalement. Soucieux d’un équilibre fragile. Et… mortel.

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