Le douloureux dilemme de la droite Macron compatible<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le douloureux dilemme de la droite Macron compatible
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Sondage européennes

Alors que la droite "humaniste" portée par Jean-Pierre Raffarin et les juppéistes envisageaient la constitution d'une liste autonome pour les européennes, un sondage de l'IFOP y voit une stratégique "vouée à l'échec" avec un score de 4%.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Selon un sondage IFOP / Paris Match publié ce 5 septembre, l'hypothèse formulée par Jean Pierre Raffarin de soutenir une liste autonome pour les européennes, se situant entre LREM et LR, serait "vouée à l'échec", avec un total de 4% des voix. Quelles pourraient être les conséquences de cette "réalité" pour la droite "humaniste" incarnée par Jean-Pierre Raffarin, Valérie Pécresse ou Alain Juppé. Du point de vue de cette tendance politique, comment apprécier le choix qui s'offre à eux, entre un retour vers LR ou un divorce en se rapprochant de LREM ?

Christophe Boutin : Revenons un temps au passé si vous le voulez bien, c’est-à-dire aux élections européennes de 2014. À cette époque l’UDI et le MoDem, réunis dans une « Alternative », obtenaient près de 10%, l’UMP 21% et le PS 14%. Dans le sondage dont vous parlez, on annonce pour 2019 un PS à 6% (-8), LR à 14% et donc une liste « humaniste » à 4% (soit, si l’on tient compte de ses liens avec l’UMP une baisse de 3% de l’ensemble). C’est qu’entretemps est apparue une nouvelle formation, LaREM, donnée elle – alliée avec le MoDem – à 21%... soit précisément le total des votes centristes de 2014 et des voix perdues par le PS et l’UMP entre les deux élections.

Comparaison n’est pas raison, et il est bien évident que l’on ne peut tout résumer à cette arithmétique de vases communicants. Mais il n’en reste pas moins que le positionnement de LaREM sur l’échiquier politique vient déjà largement obérer la possibilité d’une autre « Alternative » à sa droite. Mais deux éléments complémentaires viennent encore empêcher cette re-naissance.

Le premier est la difficulté de trouver un discours différent de celui que tiendra Emmanuel Macron. En 2014, on avait – au moins – trois discours sur l’Union européenne : un discours critique, disons « souverainiste », et deux discours qui lui restaient favorables et souhaitaient la tirer, soit vers le socialisme (PS), soit vers un certain libéralisme (MoDem, UDI, mais aussi UMP), respectant ainsi les équilibres des deux principaux partis européens.

Mais en 2019 il n’y aura plus face à face que les « pros » et les « antis » Union européenne (en non pas Europe, les deux choses devant être clairement distinguées). Des « antis », souverainistes de droite (RN, RLF…) et de gauche (FI), que l’on pourra eux clairement distinguer. Mais il sera bien plus difficile de faire une telle distinction entre ceux qui, pour s’opposer à la « lèpre populiste » et au « nationalisme fauteur de guerre », chanteront à l’unisson les louanges de « l’Europe de la paix ». Or le créneau est pris, par les macroniens et leurs alliés, et en conséquence il ne reste plus aux autres qu’à choisir leur camp : avec ou contre LaREM. Tout discours intermédiaire sera inaudible au vu de la violence des affrontements prévus, et il n’y a donc pas d’espace politique pour la nouvelle raffarinade.

Une constatation qui soulève un autre problème : qui pour incarner cette autre vision européiste ? Jean-Pierre Raffarin, qui lança ce club au nom improbable de « giscardisme et modernité », élu européen il y aura trente ans ? Alain Juppé, rejeté par son propre parti ? Mais qui s’intéresse encore à ce que pensent le meilleur ami poitevin de la Chine et le « young leader » droit dans ses bottes ?

Quelle a été l'erreur de calcul de cette droite "humaniste", entre la formulation de l'hypothèse d'une liste autonome, et la réalité d'un sondage portant cette liste à un score de 4% ? 

Pour répondre à la question, il faudrait se souvenir de ce qu’est cette « droite humaniste », en dehors des évidentes références liées à l’usage de l’adjectif. De manière très schématique, on peut dire qu’elle est l’héritière de la droite orléaniste décrite par René Rémond, qui opposait cette dernière à la droite bonapartiste et à la droite légitimiste. Une droite qui, ayant abandonné le pouvoir intellectuel à la gauche, et peu soucieuse d’encourir ses foudres médiatiques, n’a demandé à cette dernière que la permission de survivre. Des centristes qui, à la mort de Georges Pompidou, ont réussi une OPA sur le parti gaulliste et ont fait avaler à ses électeurs – pourtant plus nombreux que les leurs – couleuvre sur couleuvre. Dans cette alliance des « orléanistes » de l’UDF et des « bonapartistes » du RPR en effet, sur tous les grands dossiers politiques, dont l’Europe, c’est la doctrine centriste qui a prévalu, et sur les dossiers sociétaux on a laissé la gauche réaliser son agenda. Alors, et alors seulement, les médias se faisaient moins critiques et vantaient les éminentes qualités de nos « humanistes », leur offrant une visibilité qui leur permettaient de peser dans leur camp.

L’erreur de la « droite humaniste » et de ceux qui tentent de la pousser en avant est de ne pas comprendre que les temps ont changé. Mettre en avant Raffarin ou Juppé pour gêner Wauquiez, comme Sarkozy en son temps, cela ne semble plus être efficace Les figures de cette droite sont non seulement démonétisées, et ne pèsent politiquement plus rien, mais sont à la limite de servir de repoussoirs pour une grande partie de l’électorat, avide de changement.

Les figures sont démonétisées, mais les idées le sont tout autant. Sur les points qui inquiètent prioritairement les Français dans les sondages, ces « trois I » que sont immigration, insécurité et identité, le « plus d’Union », présenté comme la panacée absolue ne rassure pas, il inquiète. Car c’est bien l’Union qui se montre incapable de mener la défense de ses frontières ; qui veut répartir de force des clandestins illégaux sur le territoire de ses membres ; et qui, prise dans un délire multiculturaliste, se refuse à assumer une identité européenne.

En fait, la « droite humaniste » a fini par croire ce que disaient d’elle les médias qui s’en servaient : qu’elle avait une existence propre, et qu’elle plaisait aux Français. D’où ce choc avec le réel.

Dans un contexte de forte baisse de popularité pour Emmanuel Macron, et d'un agenda jugé "compliqué" pour le président, notamment en raison des débats budgétaires qui s'annoncent dans un contexte de ralentissement économique, qu'est ce que la droite humaniste aurait à "gagner" à un ralliement ? Ne sont-ils pas confrontés à un contexte paradoxal, entre un ralliement à LREM qui pourrait s'avérer le plus "pertinent" idéologiquement parlant, mais politiquement le plus dangereux ?

Ce n’est pas comme cela qu’il faut poser la question, mais à l’inverse : qu’est-ce que Macron et LaREM gagneraient à un tel ralliement ? Ou, pour paraphraser Staline : « Raffarin et Juppé, combien de divisions » ? De toute manière, qu’ils soient sur la liste ou pas, pourront-ils ne pas soutenir Macron ? La campagne de 2019 sera, on l’a dit, dure et clivante. Les européistes convaincus, quand bien même ne seraient-ils ni du MoDem ni de LaREM, vont-ils monnayer leur soutien à cette liste commune, alors que rien ou presque ne les sépare de Macron sur l’Europe ?

Reste bien sûr la possibilité d’un effondrement de Macron : l’échec en termes de points de croissance de sa politique économique va avoir des impacts sur le prochain budget, et si l’on ajoute les éventuels dysfonctionnements du prélèvement de l’impôt à la source il y a là une faiblesse potentielle. Certes on a bien prévu le « plan pauvreté » et la réforme constitutionnelle, mais cela ne modifie pas les fins de mois des classes moyennes. Il peut donc baisser, mais même dans ce cas, et même si les vestiges centristes ralliés à laREM retrouvaient leur indépendance, l’Europe macronienne resterait trop proche de celle de notre « droite humaniste » pour qu’un véritable créneau s’ouvre pour cette dernière. Un effondrement de Macron redonnerait seulement un peu plus d’air sur sa gauche au PS et, surtout, aux Verts.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Hollandisation expresse ? Pourquoi la chute dans les sondages d’Emmanuel Macron ne produit pas (encore) le même enlisement politique Pourquoi le remaniement ministériel ne permettra pas à Emmanuel Macron de lever les doutes sur la fermeté de sa ligne politique Emmanuel Macron présentera le plan pauvreté et le plan hôpital le 13 septembre et le 18 septembre

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !