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Le courage des femmes qui ont suivi de Gaulle après l’appel du 18 juin 1940
©BBC / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Albertelli publie "Elles ont suivi de Gaulle" aux éditions Perrin. Première unité militaire féminine dans l'histoire de l'armée française, le Corps féminin, créé à Londres en 1940 et rebaptisé l'année suivante Corps des Volontaires françaises (CVF), fut exceptionnel. Extrait 1/2.

Sébastien Albertelli

Sébastien Albertelli

Sébastien Albertelli, agrégé et docteur en histoire, est spécialiste de l'histoire de la France libre, de la Résistance et des services secrets. Il a publié chez Perrin Les Services secrets du général de Gaulle. Le BCRA 1940-1944 (2009, rééd. " Tempus ", 2020) et une Histoire du sabotage (2016).

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Brusquement, en mai 1940, le front occidental, immobile depuis des mois, s’anime : le Reich lance son armée contre les Pays‑Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France. Comme beaucoup, Tereska Szwarc s’en réjouit : « Enfin, mieux vaut mille fois cette période active que la période mortelle de tout cet hiver, à attendre sans bouger. » Elle ne peut imaginer que, de tous les pays attaqués, la France va connaître le sort le plus déroutant : son armée, héritière de celle victorieuse vingt ans plus tôt, est balayée en six semaines faute d’avoir su s’adapter à la guerre moderne. Celles qui vivent cet inconcevable effondre‑ ment parlent de « débâcle ». Hélène Terré, plus tard, préférera évoquer une « tornade » ayant tout emporté sur son passage et laissé le pays en état de choc. 

Le traumatisme de la défaite est encore accentué par le spectacle et l’expérience de l’exode. À l’approche de la Wehrmacht, des millions de civils, à commencer par ceux de Belgique et du nord de la France, se massent sur les routes dans un inextricable maelström. La solidarité s’organise pour leur venir en aide à Paris. Janine Serreulles travaille au centre d’accueil de la gare de l’Est. Tereska Szwarc, soucieuse de « servir à quelque chose », quitte le lycée pour aider les réfugiés qui affluent gare Saint‑Lazare. Elle y découvre « un véritable bétail humain, affolé, sale, affamé […] traînant des paquets hétéroclites, enveloppés de journaux, fice‑ lés à la hâte, et des troupeaux d’enfants en loques qui pleurent autour des mères ». Au même moment, Nicole Flach réside avec sa mère près de Dieppe, en Normandie. « Tous les soirs nous avons reçu les Belges, les Hollandais qui arrivaient vers 5 h.

Nous les logions, les nourrissions et, le lendemain, ils repartaient. Nous avons fait cela jusqu’au moment où nous‑mêmes avons reçu l’ordre d’évacuer. » Après une petite semaine d’activité, Tereska Szwarc doit elle aussi évacuer Paris à l’approche des Allemands. Elle devient à son tour « une réfugiée sans maison, fuyant son pays, rassemblant tous les restes du passé dans une valise ». Beaucoup des femmes qui rallieront plus tard les rangs de la France libre connaissent ce triste sort. 

Bientôt, toutes les routes menant vers l’ouest et le sud du pays sont encombrées par une foule de militaires défaits et de civils hébétés. Janine Serreulles quitte Paris, se réfugie un temps dans une propriété de ses parents près de Chartres et repart plus au sud. « L’exode m’a conduite à Nîmes et à Bordeaux », confiera‑ t‑elle dans une formule qui dit bien son sentiment de n’être plus que le jouet d’événements qui la dépassent. Ève Curie, la plus jeune fille de Marie et Pierre Curie, est alors grand reporter pour Paris‑Soir et le New York Herald Tribune. Dans la soirée du 11 juin, elle quitte elle aussi la capitale et suit les autorités françaises dans leur retraite vers le Sud‑Ouest. Elle se souviendra avoir été « un de ces millions de réfugiés que l’ennemi poussait le long des routes de France, d’une France hagarde devant sa propre défaite ». Il faut prendre la mesure de ce chaos pour comprendre le soulagement que suscite la décision du maréchal Pétain d’appeler à la fin des combats et de signer l’armistice : épuisés, des millions de Français lui savent gré d’œuvrer pour une forme de retour à la normale.

Premiers départs

De l’autre côté de la Manche, le 18 juin, le général de Gaulle prend la parole à la BBC pour appeler à poursuivre le combat. Bien peu de Français le connaissent. Il s’adresse à ceux – officiers, soldats, ingénieurs et ouvriers – qui se trouvent en Grande‑Bretagne, mais ne mentionne pas les femmes. Certaines, pourtant, choisissent très tôt de répondre à son appel.

Dans le chaos ambiant, quitter la France n’a rien de facile. Pour une femme encore moins que pour un homme. Une centaine des six cents femmes qui s’engageront dans le Corps des Volontaires y parviennent néanmoins au moment de la débâcle. Leurs récits alimenteront longtemps les conversations, chacune s’imaginant volontiers avoir vécu l’aventure la plus extraordinaire et la plus tragique. 

Les premières réfugiées en Grande‑Bretagne arrivent des Pays‑Bas et de Belgique dès le mois de mai. Paulette Baud, une gouvernante française qui travaille à Harlem, est invitée par les autorités consulaires à rejoindre un convoi de Français qui embarque sur un destroyer anglais. Au même moment, des paquebots réquisitionnés assurent l’évacuation des ports de Belgique et du Nord. Juliette Prior, Hélène Héroufosse ou Irène Jennings partent ainsi d’Ostende et débarquent à Folkestone, même si elles ne souhaitent pas toujours se rendre en Angleterre et encore moins y rester. Lorsque Marie Hélin embarque à Boulogne‑sur‑Mer sur le Monte Carlo, elle pense qu’il longera la côte jusqu’à Bordeaux. Mais un tel périple est devenu trop dangereux et tous les navires sont déroutés vers l’Angleterre. Elle débarque donc à Weymouth, en face de Cherbourg. À Boulogne, toujours, les Sœurs de la Charité décident d’éva‑ cuer vers Valognes, dans la Manche, les orphelines dont elles s’occupent. L’une des sœurs, restée sur place, explique quelques semaines plus tard :

L’avance des Allemands a été si rapide, si imprévue qu’il était impossible de fuir, sauf en bateau. Elles se sont donc embarquées le mercredi 22 mai et après avoir été quelque temps bien inquiètes à leur sujet, nous avons appris qu’elles étaient arrivées heureusement en Angleterre. Nous ignorons si elles y sont restées ou si elles ont pu gagner la Normandie.

Un officier britannique immortalise la scène en prenant en photo le groupe de vingt‑six jeunes filles en uniforme, accompagnées de sœurs coiffées de leur cornette et de deux jeunes enseignantes, à bord du destroyer britannique Venomous. Finalement, bloquées en Angleterre, les enfants resteront huit mois à Londres avant d’être transférées en Écosse. Deux d’entre elles rejoindront les Volontaires françaises en 1944 : Julienne Blondeel, âgée de 14 ans en 1940, et Andrée Daguebert. Âgée de 17 ans, orpheline depuis 1934, cette dernière apprenait la couture. En Écosse, elle s’occupera des enfants avec les sœurs avant de devenir femme de chambre puis élève‑infirmière. 

Dans la panique, ne pas se perdre tient de la gageure. Jeanne Kidd et son mari, Alexandre, un soldat britannique qu’elle a épousé en 1919, en font la dure expérience. Ils vivent à Boulogne avec leurs sept enfants, dont un fils de 3 ans et deux filles, Suzanne et Janine, âgées de 14 et 16 ans. Lorsqu’ils décident de partir, ils se dirigent vers le sud, constatent à Amiens que les ponts sur la Somme ont été détruits, et doivent donc rebrousser chemin. De retour à Boulogne, ils cherchent à embarquer sur le Mona’s Queen, un paquebot transformé en transport de troupes. Au dernier moment, Alexandre est arrêté par un soldat qui lui demande… des tickets. Le mari part donc à la recherche des précieux sésames, mais sa femme et ses enfants réussissent finalement à embarquer et, quand il revient, le navire est parti sans lui. Par chance, il réussit à monter sur un autre bateau. Peu après, Andrée Griffin, l’épouse d’un banquier britannique, franchit la Seine avec ses trois enfants quand elle est séparée de son aîné, Jean, âgé de 16 ans. On peut seulement imaginer dans quelle détresse le couple embarque sur un petit charbonnier avec ses deux autres enfants. Finalement, Jean parviendra un an et demi plus tard à passer en Espagne et à rejoindre ses parents en Angleterre.

Extrait du livre de Sébastien Albertelli, "Elles ont suivi de Gaulle, Histoire du Corps des Volontaires françaises",  aux éditions Perrin.

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