Le coup de cœur de la semaine : Leurre et malheur du transhumanisme d’Olivier Rey<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Le coup de cœur de la semaine : Leurre et malheur du transhumanisme d’Olivier Rey
©

Atlanti-Culture

Tandis qu'on écrit tout et n'importe quoi sur le transhumanisme, Olivier Rey, sans se laisser impressionner par certains délires scientifiques, vient opportunément faire le tri. Un livre intelligent, libre, décapant, férocement utile.

Laurent Stalla-Bourdillon

Laurent Stalla-Bourdillon

Laurent Stalla-Bourdillon, 45 ans, est actuellement curé de la Basilique de Sainte Clotilde (7e) et directeur du Service Pastoral d'Études Politiques (SPEP), enseignant au Collège des Bernardins et à l'Institut Supérieur de Formation de l'Enseignement Catholique d'Ile-de-France.

Voir la bio »
LIVRE
Leurre et malheur du transhumanisme
d’Olivier Rey
Ed. Desclée de Brouwer
RECOMMANDATION
En priorité
THÈME
Que cache le « transhumanisme » ? Un programme, une propagande, une promesse, une projection ? Probablement tout à la fois. Olivier Rey propose un chemin de découverte de l’idéologie techno-commerciale de ce début de XXIème siècle : le bonheur humain par la technique. Un technique qui ne transforme plus le monde comme à l’ère industrielle, mais qui transforme l’homme lui-même. Ainsi, le bonheur d’un être humain serait-il enfin accessible moyennant son consentement à être « augmenté ».             En trois chapitres très denses, Olivier Rey assume le questionnement critique de cette proposition, en demandant: s’il faut prendre le transhumanisme au sérieux, s’il n’y a pas quelques diminutions collatérales au projet d’augmenter l’humain, et enfin si la technique n’a pas dépossédé l’homme de son propre projet de développement intérieur ?  
Le transhumanisme, explique Olivier Rey, est à prendre au sérieux non pour sa rhétorique de vendeurs de rêves, mais pour le projet de société qui est sous-jacent, au service d’un colossal marché couplant l’homme à la technologie. Il sert donc « non pas l’apothéose de l’humain, mais la régression vers l’infrahumain. »
POINTS FORTS
- Un livre de référence excellent sur le fond comme sur la forme par la qualité du texte d’Oliver Rey : précis, percutant, savoureux à lire, offrant une véritable délectation de l’esprit. Sur le fond, une remarquable étude, ample et lucide sur la place du « progrès » dans les sociétés modernes, élaborée avec recul. Les références aux grandes figures de la philosophie des sciences permettent de mieux comprendre d’où vient la tentation transhumaniste.
- Par ailleurs, cette très puissante critique de l’idéologie de XXIème siècle commençant, évite l’opposition stérile entre technophile et technophobe, pour interroger le ressort de ses discours. L’irruption des sciences et techniques jusque dans le corps humain est-elle au bénéfice de l’être humain ? Olivier Rey démasque une vieille rhétorique en trois temps : d’abord l’affirmation d’une radicale, fascinante et prometteuse nouveauté, puis une mise en sourdine des effets du progrès comme s’il n’y avait rien de vraiment si nouveau, pour finir par l’affirmation que de toute façon, l’évolution des techniques est inévitable et s’imposera.
- Qu’avons-nous à gagner de l’hégémonie de la technique ? L’auteur répond qu’ « en poussant à l’extrême la mainmise de la technologie sur l’humain, les perspectives transhumanistes nous font oublier ce qu’il y a de démesuré dans la domination technologique et ses progrès »,  « nous sommes arrivés à un stade où le rapport entre les bénéfices du « développement » et les nuisances qu’il engendre s’avère de plus en plus défavorable, où il apparaît que la trajectoire suivie ne tend pas vers un état paradisiaque, mais nous condamne à une situation de plus en plus dégradée, voir à l’anéantissement ». « Lorsque la nature est sollicitée au-delà de ses capacités de régénération, elle dépérit ».
- Tout progrès exige des investissements colossaux. Toute innovation a un coût et l’heure est venue d’en payer le prix. Ce sera le prix de l’humain. Pas de doute pour Olivier Rey : « les machines déploient une puissance telle que leurs performances ne sont plus une amplification des capacités humaines mais leur mortification ». « Le développement n’a pas engendré, comme on en rêvait encore dans les années 1960, une société du loisir, mais plutôt une société de la fatigue ».
- Le transhumanisme n’est-il pas au fond qu’une utopie promue par le marché ?  N’a-t-il pas comme ambition de faire adhérer les populations à une technologie toujours plus coûteuse, et donc arracher le consentement avec des promesses toujours plus exubérantes ? Publicité quand tu nous tiens…
POINTS FAIBLES
-     _-- Une exigence d’attention pour suivre l’auteur ; non que le texte soit difficile, mais il requiert une grande concentration pour goûter la finesse et la profondeur des analyses.
-   - Quelques notions philosophiques à revisiter au préalable, comme l’aristotélisme, le kantisme et la téléologie … mais la pédagogie du texte permet d’y accéder sans trop de peine.
EN DEUX MOTS 
Qu’allons-nous devenir ? Peut-on croire au transhumanisme ? Quelle vision du futur est crédible ? Peut-on faire reculer la mort ? Olivier Rey, en philosophe et scientifique, interroge les promesses du transhumanisme et dévoile son principal ressort caché. Le marché sait très bien toucher nos pulsions pour nous faire acheter les marchandises qu’il veut écouler.
Face à cette tentation, l’exercice de défense consiste à interroger la capacité des technologies de nous conduire au bonheur. La science se met-elle au service du bonheur ou du malheur de l’humanité ? 
Un essai pour se réapproprier notre avenir, cesser de se laisser distraire par des promesses, et soigner nos relations, nos liens : ce qu’il faut vraiment augmenter.
UN EXTRAIT
« Qu’est-ce que le transhumanisme, tel qu’il se présente à nous ? Rien d’autre que le prolongement d’une logique de découpage de la vie en fonctions, chacune susceptibles d’être « augmentée » par implémentation du dispositif adéquat. On en peut même plus exclure que l’évolution de l’environnement social rende de tels dispositifs nécessaires, et que des prothèses incorporées deviennent aussi indispensables à la vie en société que le sont devenues en très peu de temps ces prothèses encore détachables que sont la carte de crédit ou le téléphone portable. Ce qui est proposé à l’individu comme une possibilité supplémentaire, propre à lui faciliter la vie, pourrait rapidement se révéler une obligation, sous peine de bannissement du monde commun. En témoigne la part grandissante, « contrainte », de la technologie dans le « budget des ménages », au détriment de l’alimentation qui s’ajuste à la baisse : le branchement au réseau se fait plus vital que la nourriture elle-même. Le transhumanisme ne cesse d’en appeler à l’imaginaire de la souveraineté individuelle, mais ne laisse présager qu’une radicalisation de l’aliénation. Il promet d’étendre les pouvoirs de l’individu mais, en réalité, il est porteur d’une exigence d’adaptation à un environnement technologique si hégémonique qu’il ne respecte même plus l’intégrité corporelle. » p 77.
L'AUTEUR
Olivier Rey, né à Nantes en 1964, est entré au CNRS en 1989 dans la section « mathématiques », matière qu'il a enseignée à l'École polytechnique jusqu'en 2003. Aussi doué avec les chiffres qu’avec les lettres, Olivier Rey se passionne pour le statut des sciences et leurs apports à notre société moderne. Ses travaux cherchent à interroger la cohérence des choix techniques et scientifiques. Il enseigne aujourd’hui la philosophie à l’Université Panthéon Sorbonne. Auteur de deux romans et de plusieurs essais, il a reçu le Prix Bristol des Lumières en 2014 pour Une question de taille, et le Grand Prix de la Fondation Prince Louis de Polignac en 2015.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !