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Le “choc des incultures” : tels les animaux malades de la peste, les pays n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés
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Bonnes feuilles

La société actuelle, qui se définit par rapport à son passé, par la recherche de la croissance et par un déterminisme technologique, est de plus en plus indéchiffrable. Mais que reste-t-il de la culture ? Extrait de "Le choc des incultures" de Francis Balle, éditions de l'Archipel (extrait 2/2).

Francis Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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Tous les pays sont désormais sous la menace du "choc des incultures" ; semblables aux animaux malades de la peste, ils n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés. Atteintes diverses : l’incompréhension réciproque entre ceux qui ne voient de salut que par les sciences et ceux qui se réclament des humanités est à coup sûr plus répandue dans les pays dits "avancés" qu’ailleurs. À l’inverse, l’exaspération entre les jeunes qui se croient modernes en vivant de l’air du temps et leurs aînés, cramponnés à un mode de vie à leurs yeux menacé, entre les conformistes et les traditionalistes, se rencontre plutôt dans les autres pays, moins "avancés", mais pareillement embarqués dans la mondialisation par les médias, anciens ou nouveaux. À mesure que les nations dépendent davantage les unes des autres, que l’Histoire devient universelle, avec ses "effets papillon" projetés sur tous les écrans du monde, nous sommes plus que jamais les témoins tout à la fois de l’unité du genre humain et de la diversité de l’humanité. Cette double assurance est une invitation, pour chaque peuple, à s’interroger sur ce qui lui appartient en propre, ce à quoi il tient par-dessus tout et qu’il considère comme quasiment sacré : des activités, des œuvres, des chefs-d’œuvre, une histoire, une langue, une religion. Ces œuvres, ces activités, plus encore le registre sur lequel elles s’inscrivent, voilà précisément ce qui singularise chaque peuple. Aucune collectivité humaine, en effet, n’a vocation à exceller dans tous les domaines, ni sur tous les registres. C’est par tout ce qu’il considère comme meilleur dans son héritage qu’un peuple existe en tant que tel, qu’il s’identifie lui-même et se distingue par conséquent des autres : ce qu’il tient lui-même pour le meilleur de cet héritage prolonge par sublimation une manière de vivre, une culture particulière sur laquelle repose l’estime qu’il a pour lui-même.Le culte qu’un peuple voue à son patrimoine n’a pas seulement pour vertu de fonder son amour propre ; il est aussi une voie de passage pour la rencontre avec les autres peuples. C’est par le truchement des œuvres de leur "vraie" culture que les pays ou les peuples peuvent le plus aisément engager le dialogue, apprendre à se respecter les uns les autres, prendre conscience de leur destin commun, se sentir moins étrangers les uns des autres.

C’est grâce à la rencontre avec les chefs d’œuvre des autres peuples, si éloignés soient-ils de nous, qu’une occasion inespérée nous est offerte de trouver moins étranges, moins inaccessibles et, pour tout dire, moins inquiétantes la manière de vivre, les mœurs, la culture particulière dont ces chefs-d’œuvre sont l’expression sublimée et dont la vocation est proprement universelle.Si l’on prétend, si peu que ce soit (et autrement que par de vaines incantations en faveur du dialogue entre civilisations), réparer les dégâts occasionnés par ce qu’il appelle le "dérèglement du monde", il faut réentendre l’avertissement d’Amin Maalouf qui, dès 1998, s’inquiétait de ce qu’il appelait "les identités meurtrières". "Pour aller résolument vers l’autre, écrivait-il, il faut avoir les bras ouverts et la tête haute, et l’on ne peut  avoir les bras ouverts que si l’on a la tête haute". C’est par le haut, par la découverte de ce que les peuples ont créé de meilleur, par leurs œuvres les plus remarquables, que l’on peut attendre d’eux une tolérance mutuelle à l’endroit de leurs mœurs, de leur manière de vivre, de leurs us et coutumes  qui semblent toujours, de prime abord, si éloignés les uns des autres.De la belle formule de Maalouf, tirons la leçon d’abord pour nous-mêmes. Nous n’avons pas encore pris la mesure des dégâts commis par notre désintérêt pour les humanités, les nôtres et celles des autres, contemporaines ou anciennes, que, depuis l’école primaire jusqu’à l’université, nous n’avons cessé de réduire à la portion congrue.La France s’enorgueillit, à bon droit, d’être une nation littéraire, admirée, voire aimée pour cette raison. Depuis un demi-siècle, elle a pourtant abandonné ce que le monde entier nous envie, au cœur même de l’institution qui devrait être en première ligne : l’école.De ce lâche abandon, la gauche et la droite sont pareillement coupables : les plus productivistes, à droite, parce que les humanités sont à leurs yeux inutiles ; les plus idéologues, à gauche, parce qu’ils soupçonnent ces mêmes humanités de reproduire les inégalités sociales en favorisant les héritiers de la bourgeoisie. Ni les uns ni les autres ne perçoivent.

Extrait de "Le choc des incultures" de Francis Balle, publié aux éditions de l'Archipel, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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