Le cancer, cette maladie dont l'épicentre affecte profondément l'entourage du patient<!-- --> | Atlantico.fr
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Un hôpital.
Un hôpital.
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Bonnes feuilles

La maladie, la peur permanente, les médias en meute, la solitude, rien n'a été épargné au célèbre cycliste Laurent Fignon et à son épouse, Valérie. Dans ce témoignage, elle donne sa version des faits et s'interroge sur l'accompagnement des malades, avec l'aide du médecin Michel Cymes. Extrait de "Laurent" (1/2).

Michel  Cymes,Valérie Fignon et Patrice Romedenne

Michel Cymes,Valérie Fignon et Patrice Romedenne

Michel Cymes est un médecin français connu pour ses activités d'animateur de télévision et de radio, notamment pour l'émission Le Magazine de la santé qu'il présente avec Marina Carrère d'Encausse.

Valérie Fignon est la femme du champion cycliste Laurent Fignon.

Patrice Romedenne est un journaliste français.

 

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Michel Cymes : « L’entourage importe autant que le patient. »

Un épicentre et des dégâts considérables sur des dizaines ou des centaines de kilomètres alentour : la métaphore est convenue mais si représentative du cancer… La maladie ne s’attaque pas qu’au patient. Par ricochet, elle dévaste l’entourage. Les médecins, en particulier les cancérologues, n’en sont que trop conscients. Voilà pourquoi, à leurs yeux, il est primordial de considérer le malade comme un « tout » familial. Certes, la réponse du patient est essentielle. Mais celle des proches, des amis voire des copains l’est tout autant : elle influe dans des proportions insoupçonnées sur son moral et parfois sur l’efficacité du traitement. Il est donc tout à fait concevable que le conjoint ait recours à un psy, qu’il ressente lui aussi le besoin de se soigner. Il ne doit pas s’en excuser et impérativement chasser de son esprit cette idée selon laquelle il ne serait pas convenable de demander de l’aide alors qu’on n’est pas malade.

Laurent a raison lorsque, avec altruisme et sans doute intuitivement, il conseille à Valérie de penser à elle. Il l’éloigne de SON cancer. Il devine qu’il est vital pour le conjoint de s’aérer. Il importe de déculpabiliser quand pointe l’envie de s’offrir une séance de cinéma ou une soirée entre amis. Surtout, ne se priver de rien. Raisonner différemment reviendrait à s’exposer à l’effondrement moral voire physique qui menace les proches qui, par amour, amitié, pitié ou devoir, se sentent obligés de jouer à plein temps le rôle de cosoignant qui n’est jamais très loin du rôle de comalade…

Laurent Fignon a atteint le sommet mondial en pratiquant un sport qui, sous certains aspects, fait appel à la tactique collective mais reste avant tout un sport individuel. On n’est jamais deux à pédaler sur le même vélo. La souffrance, sur une selle comme dans la vie, ne se divise pas… Faut-il oser le rapprochement ? C’est cet homme-là, taiseux et solitaire, auquel la vie a appris qu’on pouvait vaincre en ne comptant que sur soi-même, qui s’obstine à affronter l’épreuve en évitant d’impliquer ses proches dans le combat. Le malade, par principe, est souverain. Ses choix doivent se respecter. Celui de l’isolement relatif est somme toute assez répandu : il permet de ne pas subir la tristesse, les mots forcément maladroits des autres ; il permet de ne pas se sentir cancéreux dans chaque regard. A chacun sa sensibilité…

D’autres, au contraire, éprouvent le besoin de ne parler que de cela. Une manie que l’on retrouve chez nombre de cancérophobes. Je me rappelle un patient qui venait me voir depuis dix ans parce qu’il craignait d’avoir un cancer. Un jour c’était le foie, un autre jour la prostate… A chaque visite, une nouvelle douleur, un nouveau cancer… Je le revois, chaque fois un peu plus blême que la fois précédente. — Docteur je crois que cette fois-ci, j’ai vraiment un cancer ! Je m’efforçais, à chacun de nos rendez-vous, de le rassurer. Je le raisonnais ou tentais de le faire, lui expliquant que cette angoisse permanente pourrissait sa vie, celle de sa famille et celle de ses amis dont il ne cessait de rebattre les oreilles avec son prétendu cancer.

Ah, l’hypocondrie ! C’est terrible ! Ça vous prend la tête ! Un symptôme et vous ne dormez plus, ne réussissez plus à vous concentrer, ne parlez plus que de cela… Seule une consultation permet de remettre le compteur à zéro. Temporairement. Car le lendemain, la machine à flipper se remet en marche. Je faisais preuve de beaucoup d’empathie envers ce patient. Les malades imaginaires peuvent être pénibles mais leur comportement témoigne d’une immense souffrance. Aussi, je lui consacrais tout le temps nécessaire, lui répétais qu’il pouvait venir me voir quand il le souhaitait, à la moindre inquiétude. Dix ans ! Le sketch a duré dix ans ! Dix ans de « ce n’est rien ». Dix ans pendant lesquels sa famille l’a systématiquement envoyé balader à coup de « lâche-nous avec tes maladies ». Dix ans pendant lesquels il s’est senti minable. Et un jour, patatras ! Je lui découvre un cancer ! Sur le coup, je doute.

En médecin rationnel, en scientifique pur et dur, je reprends le dossier, l’épluche, l’étudie, l’examine en long, en large, en travers. Serais-je passé à côté ? Les angoisses de mon patient étaient-elles prémonitoires ? A-t-il senti quelque chose que je n’aurais pas vu ? Non, rien, aucun signe avant coureur, aucun indice, aucune raison de s’inquiéter… Mais que valent ces conclusions, si rigoureuses et fondées soient-elles, face à la réaction du patient : — Je vous l’avais bien dit Docteur ! Comme un cri de victoire, lancé d’une voix douce et remplie d’assurance, qui me laisse pantois. Dans le regard de mon patient, j’ai vu ce jour-là autant de peur que de soulagement : il venait, brutalement, de trouver un sens à sa vie… Il triomphait. Et ce triomphe, il le vivrait jusqu’au bout : ses proches, ses collègues, tous ceux qui, une décennie durant, ne l’avaient pas pris au sérieux, il allait pouvoir les prendre à témoin…

Extrait de "Laurent", Cymes Michel , Romedenne Patrice , Fignon Valérie (Editions Grasset), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici


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