Le 7 octobre, le Hamas et les Français musulmans : entre net divorce avec leurs compatriotes et regard plus distancié qu’il n’y paraît<!-- --> | Atlantico.fr
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Un rassemblement en soutien à la Palestine à Paris.
Un rassemblement en soutien à la Palestine à Paris.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Sondage

Dans une enquête choc réalisée par l’IFOP, il ressort à la fois que les musulmans portent un regard très différent de celui du reste des Français sur le conflit à Gaza. Sans pour autant s’enfermer dans la vision de la guerre à laquelle voudrait les réduire la gauche radicale qui cherche à conquérir leurs votes.

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur est essayiste et sociologue. 

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Atlantico : Selon le sondage Ifop pour Ecran de veille de ce lundi 18 décembre, 19% des Français musulmans expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste du Hamas contre 3% en moyenne du côté des Français. Une sympathie encore plus marquée chez les jeunes Français musulmans et les plus religieux. Comment expliquer une telle disparité ? Faut-il s'en alarmer ?

Sabrina Medjebeur : L’islam n’est pas simplement une religion, c’est une loi et un vade-mecum qui régissent toute la vie du fidèle. C’est la raison pour laquelle elle représente un attrait et une collision avec le vide anthropologique de nos sociétés déspiritualisées où les repères de l’adultité et de l’autorité ont disparu des circuits sociaux. C’est entre autres, ce qui justifie une conversion massive de jeunes Français car l’islam est la religion des frères, la catholicisme celui du Père. L’islam offre des repères identitaires forts d’appartenance et de fierté à cette jeunesse. De plus, seule vaut la parole d’Allah. Chaque musulman devient donc son dépositaire au détriment des familles nucléaires et des lois de la République.

Cette jeunesse s’abstrait de son environnement réel pour ne se déterminer que sur des critères islamiques. Aujourd’hui, elle a trouvé l’usage des moyens de communication que sont les réseaux sociaux comme une différenciation et une distanciation de soi face au monde. Et ces réseaux sociaux, combinés à l’idéologie wokiste qui voit des oppresseurs partout, transforment leurs fois en lutte antioccidentale. Ce qui s’est passé le 7 octobre a été le dévoilement et la scission entre le monde arabo-musulman et l’Occident. Cela s’est vu à travers les très nombreuses manifestations agrégées parfois, de centaines de milliers de personnes. Ce n’est pas là, un conflit de civilisations (il est impossible de confronter barbarie et civilisation) mais bien un conflit d’identité. Cette alter-identité s’est construite au fur et à mesures des générations à l’appui de politiques clientélistes qui ont largement contribué à les identifier et les assigner comme musulmans et non comme citoyens français. Ce qui est alarmant c’est que de nombreux politiques et féministes continuent de pratiquer la politique de l’autruche au nom du « pas d’amalgame » ou de se faire les chantres des islamistes. Il est certain que d’années en années, nous assisterons à une « sur-musulmanité » croissante.

Près des deux tiers des musulmans (62%) jugent appropriée l’expression de « nettoyage ethnique » pour qualifier les opérations actuelles des Israéliens en Cisjordanie, contre à peine 38 % chez l’ensemble des Français. À quel point cette notion de conflit « ethnique » est-elle ancrée dans l’imaginaire arabo-musulman ? 

Sabrina Medjebeur : La sémantique a toute son importance dans votre question. En premier lieu, on retrouve là, toute l’aporie de la dialectique ethnicité/religiosité. L’islam n’est pas une ethnie. La « musulmanie » ou « l’islamie » n’existent pas en tant que nation ethnique. L’islam est une religion, mais le tour de passe-passe des militants antiracistes woke a consisté à transformer la religion en une race comme une autre. Cette rhétorique utilisée pour « racialiser » les musulmans confère une aubaine pour les islamistes, qui auront, bien entendu, la solution à tous leurs problèmes causés par le « racisme et les discriminations systémiques de l’État ». En second lieu, on remarque avec stupeur la manipulation de l’histoire. La plus longue et meurtrière traite esclavagiste à dessein d’épuration ethnique est précisément celle de la traite arabo-musulmane du 13e siècle, étudiée de façon chirurgicale par l’anthropologue Tidiane N’Diaye dans son ouvrage « Le génocide voilé ». Le monde musulman souffrant d’une blessure narcissique très forte,  l’islam étant supposée être la perfection, la fin des fins alors que toutes les nations où l’islam est religion d’État, sont soumises aux diktats totalitaires qui musèlent toute forme de contestation du pouvoir et de souffrance de leurs peuples.

Les musulmans les plus nombreux à rejeter les qualificatifs de "terroristes" ou "d'acte de guerre" pour qualifier les attaques du 7 octobre se retrouvent plus souvent chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Ses prises de position ont trouvé l'écho qu'il espérait ?

Sabrina Medjebeur :  L’un des paradigmes identitaires fort que l’on retrouve dans le monde arabo-musulman est le sentiment de victimes persécutées. C’est inscrit dans leur narratif historique lié à la colonisation du « blanc » et du « juif ». Ce que l’on invoque en tant que victime, et cela est valable pour tout, c’est la légitime défense. Cette obligation de légitime défense est parfaitement comprise et justifiée dans les sphères du pouvoir de Jean-Luc Mélenchon. C’est la raison pour laquelle le Hamas a été qualifié de « mouvement de résistance », nullement comme une organisation terroriste par les partisans de LFI et certains représentants du culte religieux musulman en France.

Jean-Luc Mélenchon a très bien compris ce sentiment identitaire très fort lié à la vengeance du musulman qui aurait été humilié par les juifs. Cette aphorisme largement nourri et exploité par les militants décoloniaux et indigénistes lui a valu des scores incroyables le 10 avril 2022 dans certains quartiers où de nombreux réseaux religieux se sont mobilisés en sa faveur. Son OPA a très bien fonctionnée, il n’y a pas de raison pour que cela change y compris par la trahison, la surenchère et le cynisme.

D’une manière plus générale, que vous inspire ce nouveau sondage Ifop ? Que révèle-t-il de la pensée arabo-musulmane vis-à-vis de la cause palestinienne et d’Israël ?

Sabrina Medjebeur : La pensée arabo-musulmane est celle de la transcendance ummique. Le concept de « oumma » (communauté de croyants) est très ancien. Il remonte au temps de l’apparition du califat à Médine. Son usage s’est depuis corrélé à l’autorité qui incarne le double pouvoir temporel et spirituel. Il est demeuré intrinsèquement lié à la religion musulmane définie comme une communauté unique. Ses adeptes ont bâti leur identité sur la jonction du religieux et du politique qui englobent la totalité de l’islam dans ses réalisations humaines. La « oumma » est un ensemble intemporel, représentant le passé et l’avenir des musulmans sans limites de classes ou de frontières dans une collectivité de foi. Bien qu’elle cessa d’être le point de référence obligé entre les années 1940 et 1970 par un monde arabe moderne porté par une élite laïque et sécularisée, la résurgence des mouvements islamistes a réintroduit la « oumma » comme le principal mode d’expression des rapports sociaux dans le monde musulman, objectivée par la rhétorique panislamiste. Cet attachement fait par ailleurs, traduire une réaction psychologique de compensation à l’état de sclérose dans lequel se trouvent la plupart des sociétés musulmanes. C’est la raison pour laquelle, la « oumma » a une logique foncièrement trans-nationaliste se proposant comme une identité socio-politique qui refuse les normes et les valeurs de ceux qui n’y adhèrent pas. Elle se définit comme un code qui érige et enferme les musulmans dans des « essences » opposées et des identités fermées en sacrifiant l’universalisme de l’humain sur l’autel du culte du particularisme.

Étude Ifop pour Ecran de veille réalisée du 21 au 29 novembre 2023 par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon de 1 002 personnes, représentatif de la population de religion musulmane vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus. 

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