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La violence chez les filles est-elle en hausse ou simplement en train de changer de nature ?
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Sexe faible ?

Les faits divers impliquant des jeunes filles se multiplient dans les pages des journaux et semblent de plus en plus violents. Sentiment réel ou exploitation médiatique d'un phénomène qui a toujours existé ?

Béatrice  Mabilon-Monfils

Béatrice Mabilon-Monfils

Professeure d'université en sociologie, Béatrice Mabilon-Monfils dirige le laboratoire EMA (École, mutations, apprentissages) de l'Université de Cergy-Pontoise. Ses domaines de recherche sont la chanson, les médias,  l'école, la citoyenneté et les minorités. Elle est co-auteure d’ Indignons-nous pour notre école ! avec François Durpaire.

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Atlantico : A Toulouse, une étudiante a été enlevée dans la nuit de vendredi à samedi par trois autres jeunes filles (deux majeures et une mineure). Selon les éléments du rapport, elle a été insultée, giflée et brûlée par des cigarettes, et s'est vu prescrire 5 jours d'incapacité totale de travail. De plus en plus de faits divers avec des violences de la part de jeunes filles semblent émerger. Selon vous, est-ce un phénomène qui se développe ou bien sont-ce les médias qui s'y intéressent davantage ? 

Béatrice Mabilon-Bonfils : Aujourd’hui  effectivement, le discours social sur la violence des filles change : elles seraient de plus en plus violentes, alignant avec l’émancipation des femmes leurs comportements sur celui des garçons. Et les faits divers de rendre compte d’une nouvelle génération de filles, plus violentes, rebelles, agressives, parfois organisées en bandes délinquantes.  

Plusieurs remarques s’imposent  à ce titre :

- d'abord les travaux de recherche évoquant la violence des femmes et plus généralement la criminalité commise par des femmes mettent d’emblée en avant la différence statistique entre hommes et femmes : statistiquement, il y a  une  différence historique entre les hommes et  les femmes dans leur rapport à la criminalité, les femmes étant très nettement sous-représentées dans les statistiques pénales. Les femmes représentent aujourd’hui moins de 4 % de la population carcérale.

- ensuite, les sources judiciaires et policières montrent une forte diminution du nombre de femmes impliquées dans des affaires pénales  si on les compare avec celles du début du XXe siècle.

-  de plus un tel  discours social n’est pas nouveau. Pourtant, historiquement les filles ont toujours commis des infractions. Les archives judiciaires montrent que loin d’être confinées à une sphère domestique, les femmes du peuple parisien par exemple au XVIe siècle ne sont pas épargnées par les formes de la violence ordinaire. Au-delà des formes de délinquance, il existe aussi de nombreux travaux qui  s’opposent à ces représentations collectives, qu’il s’agisse des émeutières du XVIIIe siècle, des femmes actives sous la Révolution, des ouvrières en grève, des femmes présentes dans les barricades de 1870 ou pendant les Grandes guerres, ou des résistantes. Ce qui est intéressant c’est le moment où émerge un tel discours, les années 30 notamment ou les années 2000 comme pour justifier des mesures sécuritaires accrues sur l'air de "si  même les filles s’y mettent..."

Le traitement médiatique reflète aussi les enjeux soulevés par les profondes mutations  des rapports entre les femmes et les hommes depuis un demi-siècle. Cependant il est aujourd’hui possible de penser la violence des femmes, et des travaux scientifiques sur la question  se sont multipliés, en histoire, anthropologie ou sociologie. La violence des femmes n’est plus tue.

Quelles sont les formes que cette violence prend ? Est-ce une violence particulière, différente de la violence masculine ? 

Les différences entre hommes et femmes sont le produit de la société et de la culture : dès le plus jeune âge, les familles construisent des comportements et des rôles sociaux attendus selon le sexe. Toute une série de pratiques y participent : les rôles attendus des filles et des garçons, la division sexuelle des tâches dans la famille, les modes d’adresse, les jouets offerts, les sports et loisirs valorisés, les valeurs diffusées par les médias véhiculent des stéréotypes sociaux de sexe qui perdurent et l’école perpétue ces représentations différentielles. La société aussi est imprégnée de valeur et de stéréotype, notamment une socialisation sexuée différentielle très précoce. Les individus se conforment donc à des attentes collectives à des rôles socialement construits. 

S’il y a une spécificité de la criminalité des femmes, elle ne doit en aucune manière être pensée comme le produit d’une biologie différente, à partir d’une  logique qui conforte des étiologies fondées sur des caractéristiques prédéterminées et immuables prêtées à chacun des deux sexes. La femme criminelle, délinquante, déviante  n’existe pas… Ces discours  confirmeraient l’existence de deux groupes, les femmes et les hommes, radicalement hétérogènes, à l’intérieur desquels les êtres seraient fondamentalement homogènes…

Mais les stéréotypes de genre se manifestent même dans les formes de violence exercées par les hommes et les femmes d’où des manières de se construire, d’expérimenter son corps et sa violence, des formes d’expression de  l’agressivité qui peuvent différer. Ce qui est symptomatique cependant c’est que quand les femmes commettent des crimes violents, elles sont considérées comme ayant enfreint deux lois : la loi juridique certes mais aussi et surtout une loi dite "naturelle", selon laquelle les femmes sont passives, soumises, douces…

Observe-t-on une hausse de la violence des jeunes filles ces dernières années? 

La question ne se pose pas de manière si différente de celle de la violence des garçons. Tout est question de seuils, de périodes historiques… Nous vivons aujourd’hui dans les sociétés les plus sûres que l’histoire ait connu… ce qui ne veut pas dire que la violence n’existe pas, mais que chaque société construit ce qu’elle nomme violence. Notre  seuil  de tolérance sociale aux comportements déviants a fortement  diminué. Les enquêtes  sociologiques démentent régulièrement les statistiques de police, notamment parce que  l’augmentation des plaintes pour des faits de violence ne provient pas d’une augmentation des comportements violents mais tient principalement au processus de "civilisation des mœurs" et de judiciarisation qui caractérisent notre société. Pourtant le traitement médiatique de la question est différent : selon l’'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, la délinquance des filles exploserait... Mais les chiffres sont des constructions ! Les enquêtes interrogeant les jeunes sur leurs éventuelles victimisations et sur leurs éventuels agissements délinquants donnent le même résultat : une stabilité globale. Il existe   des différences selon les types d’infractions et selon les contextes locaux et les territoires concernés, mais au final l’idée que la délinquance des filles "exploserait" est une idée fausse.

Comment a évolué la violence chez les filles ces dernières années ? A-t-elle changé de nature ? 

Les discours sur la montée des violences des jeunes ne sont pas nouveaux. Mais ils sont réactivés par des mises en scène médiatiques, une crise économique sévère et des agendas politiques. L’irruption de la violence scolaire sur la place publique médiatique et politique renvoie à un imaginaire de menace et se traduit par  une demande sécuritaire accrue. Mais il y a  un décalage total entre d’un côté l’évolution historique objective  et les sentiments d’insécurité souvent alimentés  par ces "faits divers qui font diversion" attisé par cette société de la menace. Les travaux montrent plutôt la permanence historique des phénomènes de violence chez les jeunes, filles et garçons, qui utilisent simplement de nouvelles technologies pour la commettre. Cependant le regard social sur la violence des filles et des garçons diffère : si leurs actes délinquants et violents sont beaucoup moins nombreux mais aussi moins graves que ceux des garçons, ils ne sont pas "attendus" de la part des filles, ne correspondant pas à leur rôle social. La violence pensée comme virile est sans doute d’autant moins acceptée chez les filles que ce n’est pas le rôle qu’on attend d’elles. 

Quelles sont les principales raisons qui sont à l'origine de la violence chez les filles ? Sont-elles les mêmes que pour les garçons ? 

L’échec scolaire, l’exclusion, le chômage, l’impossibilité à trouver sa place dans une société française qui intègre beaucoup moins bien les jeunes que les autres sociétés comparables (notamment dans le marché du travail), autant de raisons qui concernent les garçons comme les filles. Au-delà des faits matériels (logement emploi, diplômes, ghettos urbains, ségrégation spatiale et sociale…) c’est aussi l’absence de place symbolique et symbolisée qui  génère des comportements destructeurs matérialisant la façon dont des sujets - filles et garçons - sans place identifiée ont de signifier leur non-présence au monde par des agissements destructeurs… Ne pouvant qu’occuper la place qui leur est socialement assignée, ils ne cherchent que la confirmation de leur rejet. Faute de pouvoir soutenir la foi en l’avenir des jeunes générations, la société ne lutte plus tant contre la pauvreté ou l’échec scolaire, que contre les pauvres ou les élèves en échec… L’exclusion scolaire est le point commun de tous ceux qui deviendront les "délinquants" qu’ils soient  filles ou garçons ! Pour autant, les statistiques montrent que la proportion garçon/fille ne change pas.

Doit-on traiter la violence féminine de la même façon que celle des garçons ?

Il est évidement impossible de répondre à une telle question en quelques mots… Disons qu’il faut d’abord penser la violence des femmes - comme on pense  celle des garçons - car c’est un bon analyseur de notre société mais aussi un levier qui permet de penser la différence des sexes - en refusant de réifier les différence sexuelle par la différence des genres - et donc de penser ainsi  aussi la violence, le pouvoir. La violence féminine prend sa place au sein d’un vivre-ensemble qu’il nous faut repenser. Certes, c’est une question éminemment politique : traiter la violence des filles - et des garçons - c’est d’abord avoir une nouvelle politique scolaire. Les situations d’échec, de frustration sont autant de  moments qui accroissent considérablement le risque de délinquance. Or, l’école du XXIe siècle demeure une école très inégalitaire et en ce sens l’institution est violente. Elle ne peut plus se contenter de croître  en continuant à mettre en œuvre les modalités pédagogiques héritées du XIXe siècle. La société change, l’école doit changer !  Mais il s’agit aussi d’aborder de front les processus de ghettoïsation, les inégalités sociales, les sentiments d’exclusion et d’injustice qu’elles génèrent. Le second axe est donc celui de la recherche scientifique qui doit permettre de comprendre une identité collective non figée, en mutation permanente. Les sciences humaines et sociales ont à penser la cohésion nationale à l'heure de la mondialité et des pluri-appartenances qu’elles soient sexuelles, sociales, culturelles, régionales, de manière à questionner les processus économiques et sociaux qui fabriquent l’exclusion et le mépris, ressorts logiques de la violence.

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