La vérité sur l’Etat mauvais payeur (serait-ce là la raison pour laquelle les médecins ne veulent pas du tiers payant ?) <!-- --> | Atlantico.fr
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En voulant généraliser le tiers payant, le gouvernement a braqué les médecins.
En voulant généraliser le tiers payant, le gouvernement a braqué les médecins.
©Reuters

Une phobie administrative justifiée

Les médecins poursuivent leurs mouvements de grève, dénonçant la mesure symbolique de la Loi Santé portée par Marisol Touraine : la généralisation du tiers-payant. Et si la crainte d'une complexité administrative accrue est souvent évoquée, c'est surtout les retards de paiement qu'engendrerait un traitement par la CPAM - pratique largement décrite pour d'autres organes publics- qui cristallisent leurs rejet.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : En voulant généraliser le tiers payant, le gouvernement a braqué les médecins qui redoutent la surcharge administrative, ainsi que des retards de paiement par l’Assurance maladie. Pourquoi les craintes des médecins sont-elles justifiées ? Dans quelle mesure peut-on dire que l’Etat est un mauvais payeur ?

Jean-Yves Archer : Le système usuel est simple. Un patient va chez le médecin. Il règle ses honoraires. Il se fait rembourser via une feuille de soins papier ou électronique. L'avenir voulu par Madame la Ministre Touraine semble partir d'un bon principe : éviter que les patients aient à faire l'avance des frais en généralisant le tiers payant. Si la situation parait améliorée côté patients, elle pose question côté médecins. En effet, au lieu de percevoir directement leur dû, acte par acte, patient par patient, ils vont devenir tributaires des modalités et délais des CPAM (Caisse primaire d'assurance maladie) et dans certains cas des mutuelles. Loin de moi l'idée d'assimiler les professionnels de santé à des commerçants mais ce type de procédé va les faire basculer d'un système " acte / paiement " à un système " acte/ envoi de relevés / attente de traitement administratifs / paiement des dus ".

Immédiatement, on perçoit le caractère attentatoire à l'esprit de la profession libérale qui n'est plus directement rémunérée par son patient mais par un mécanisme qui peut se gripper : aléas informatiques, grèves perlées des agents des CPAM, etc. D'une recette sonnante et trébuchante, on glisse vers un système qui peut se gripper et rendre aléatoire le calendrier de remboursement des praticiens.

A cela vient se greffer une autre problématique assez spécifique à notre pays : les délais de paiement du secteur public, de l'Etat à la SNCF en passant par une kyrielle d'organismes. Dès lors, les médecins craignent un décalage de trésorerie, un effet de ciseaux entre le nécessaire règlement des charges de leurs cabinets et l'encaissement de leurs prestations.

De surcroît, cette réforme ouvre une boîte de Pandore. Aujourd'hui, un fraudeur à la CPAM court le risque de ne pas être remboursé mais le médecin a été valablement payé en amont. Avec cette réforme, quand des dossiers litigieux vont survenir et bloquer le remboursement, que se passera-t-il pour le médecin en cas de contestations avec la CPAM ? Sera-t-il payé ?

Secteur de la défense ou hospitalier, SNCF… quels sont les principaux exemples que l’on peut donner en la matière? Comment expliquer ces retards de paiement dans ces différents cas ?

Trois illustrations méritent d'être prises pour répondre à cette question.

Tout d'abord, plusieurs rapports parlementaires ont démontré que l'étirement dans le temps (les reports de commandes) des livraisons à nos Armées du Rafale ont généré des surcoûts de production et que les annulations de crédits avaient nui à cette filière composée de près de 500 sous-traitants. C'est ce qu'a rappelé le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, lors d'une audition à l'Assemblée nationale en septembre 2013. Ce premier cas illustre qu'une gestion budgétaire sous contrainte répond à des urgences de court terme, de "rustine" mais ne permet pas d'optimiser la chaîne des coûts d'ensemble de l'Etat. On pare au plus pressé et on aboutit à une gestion imparfaite.

Puis, des dizaines de sources publiques et privées rapportent que le secteur hospitalier est globalement mauvais payeur alors même qu'une des grandes idées (à débattre...) a été d'externaliser de nombreux métiers. En multipliant le nombre de sous-traitants, on a induit une concurrence (ce qui est favorable) mais dans le même temps, l'hôpital est resté un donneur d'ordre inflexible qui paye lorsque sa propre gestion n'est pas en déséquilibre financier excessif. Les démarrages de l' HEGD (Hôpital Georges Pompidou) ont été marqués par des hiatus avec certains fournisseurs.

Troisième exemple, la SNCF est connue auprès de ses industriels de maintenance pour avoir des délais de paiements qui dépassent non seulement 90 jours mais aussi 120 jours. D'ailleurs, bien des PME sont contraintes de se retourner vers leurs banquiers ou la BPI et d'avoir recours à un "nantissement des créances publiques" pour pouvoir disposer de tout ou partie du marché public remporté, sous forme d'avances bancaires. La conséquence est alors alternativement double. Soit la PME augmente ses prix de vente (si elle le peut) pour être à même d'absorber les frais bancaires liés à son contrat. Soit la PME risque une tension de trésorerie du fait du créancier public. La lecture de certains apurements de liquidations judiciaires rapporte que des PME liquidées ont des créances sur les grandes entreprises nationales. Dans ce cas, l'Etat nuit au tissu économique et d'autant plus que la firme publique est déficitaire. Ainsi, il y a moins d'aléa de délais de paiement avec EDF qu'avec la SNCF ou certaines filiales du CEA.

Contracter avec le secteur public est honorifique mais parfois peu lucratif du fait de la gestion financière du marché passé entre le port de terre et le pot de fer.

En 1996, les magistrats de la Cour des comptes évaluaient l’arriéré dû par l’Etat à France Télécom à la somme astronomique de 2.4 milliards de francs. De même, les journalistes auteurs du livre "l’Etat voyou" citent un haut fonctionnaire qui affirme que Bouygues Télécom a dû récemment annuler 60 % de la créance du ministère de la Justice qui courait depuis un an. Quels sont les ministères particulièrement rétifs à mettre la main au portefeuille ? Quelles sont les évolutions que l’on constate au fil du temps ?

Objectivement votre question est fondée même si je ne reprends pas à mon compte l'expression d'Etat voyou car il ne faut pas mélanger cause et conséquence. Lorsque depuis 30 ans, vous êtes en déficit budgétaire (de plus de 25 % du montant de vos recettes fiscales), vous vous condamnez à recourir à des méthodes de trapéziste avec vos fournisseurs. Du trapèze à la voyoucratie, je vois une ligne jaune, précisément celle franchie par certains agents publics sanctionnés par la justice pour des faits ouvertement délictueux.

Il se murmure que les ministères de la Police et de la Justice se seraient légèrement améliorés en tant que payeurs mais les sources fiables manquent à l'appel tant le nombre de cas d'espèces sont nombreux. Certains ont dit que le chantier de la construction et de l'informatisation de la Bibliothèque François Mitterrand (TGB) avaient été source de gigantesques délais de paiements. Symétriquement, les gestionnaires d'alors ont crié à la généralisation de malfaçons et fait bloquer des paiements. Comment disposer d'une information fiable et fine pour trancher ce cas qui rappelle le cas récent de la construction de la Philarmonie de Paris (coûts sous-estimés).

La loi a conduit à des évolutions sur le terrain, notamment la LME (Loi de modernisation de l'économie) de 2008. Pour le reste, il faut revenir à l'essentiel défini par l'article L441-6 du Code de commerce: "sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée."

Hélas, cette règle des 30 jours n'est guère respectée. Dès lors, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (article 123) est venue renforcer la lutte contre les retards de paiement par la création d'un régime de sanctions administratives. Elle fixe par ailleurs le délai de paiement des factures récapitulatives à 45 jours nets. Il est encore prématuré de dresser un bilan mais il faut garder en mémoire un chiffre-clef issu de la COFACE : le crédit inter-entreprises s'élève à plus de 500 milliards d'euros en France ce qui montre à quel point le fournisseur est souvent le banquier de fait de son client final...

Au-delà des cas propres aux différents exemples, en quoi peut-on dire que cela révèle plus globalement d’un amateurisme inquiétant ?

Plus que de l'amateurisme, c'est de la facilité. C'est l'addiction à la confiture que ressent le diabétique. Bien des entreprises publiques sont en position de force dans les négociations commerciales et sont ainsi en mesure d'imposer une sorte de diktat quant aux conditions de règlement.

Si un client ne règle pas sa facture téléphonique ou d’électricité, il s’expose au final à des poursuites judiciaires. Quelles peuvent être les conséquences de ce deux poids deux mesures ? Quelles sont les possibilités de recours lorsque l’Etat se situe au-dessus des lois ? En quoi peut-on dire que les recours prennent du temps ? 

Normalement, la situation devrait évoluer favorablement pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, l'État s'est engagé à réduire ses délais de paiement à 30 jours, avec augmentation des intérêts de retard, par le décret n°2008-407 du 28 avril 2008.



De plus, le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 impose le délai maximum de 30 jours à l'ensemble des contrats de la commande publique, à l’exception de ceux conclus par les établissements publics de santé (toujours les hôpitaux...) et les entreprises publiques  (la SNCF par exemple ?).

Dans ce texte, il est prévu le versement automatique des intérêts de retard et d'une indemnité forfaitaire de 40 euros. Je suis contraint face au caractère modique et absurde de ce montant de l'énoncer en toutes lettres : quarante euros...le lecteur appréciera.

Par-delà l'instauration d'un "médiateur des marchés publics" en 2012 (chargé de traiter les conflits liés aux délais de paiements), il subsiste bien évidemment la voie judiciaire. Mais quiconque connait un peu le monde des affaires sait bien que trainer son client en justice revient à faire survenir deux évènements : la perte éventuelle du procès, la perte certaine du client. C'est cette dernière conséquence, à valeur d'épée de Damoclès, qui limite les actions des fournisseurs dans l'embarras.

Par ailleurs, chacun sait que l'Etat a un chronomètre qui n'est pas celui du justiciable moyen : nous retrouvons là le pot de fer contre le pot de terre.

Dernier élément d'actualité à citer : le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, présenté le 7 novembre 2012, a vu l'État s'engager à réduire ses délais de paiement à 20 jours en 2017.

Signature réversible ou nouveau type de rapports contractuels ?

L'année 2017, cinq années après l'engagement de novembre 2012, le dira. Ou pas.

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