La solitude est aussi mauvaise pour la santé que 15 cigarettes par jour (mais 50% des Parisiens vivent seuls…) <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon certains chercheurs, le fait d’être isolé ou seul équivaut à fumer 15 cigarettes par jour.
Selon certains chercheurs, le fait d’être isolé ou seul équivaut à fumer 15 cigarettes par jour.
©JOHN THYS / AFP

Santé mentale

Plusieurs études montrent que la solitude serait néfaste pour la santé, notamment sur le plan psychologique.

Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : Plusieurs études montrent que la solitude serait néfaste pour la santé. Certains chercheurs ont même déclaré que le fait d’être isolé ou seul équivaut à fumer 15 cigarettes par jour. Et le « World economic forum » en a fait une campagne de sensibilisation. Quels sont les risques exacts de la solitude sur notre corps ? Comment peut-on comparer tabagisme et solitude ?

Xavier Briffault : Je pense qu’il vaut mieux parler d’isolement que de solitude dans le sens où l’isolement est souvent une situation subie alors que la solitude peut être une situation choisie. Comment cela fonctionne-t-il ? Il y a plusieurs éléments. D’une part, un bébé ne peut pas s’élever tout seul. Car un nouveau-né se retrouvant isolé est un nouveau-né mort. Et c’est une vérité aussi auprès des adultes. Un être humain seul est un être humain mort car très rapidement il ne va plus être capable de subvenir à ses besoins primaires (habitation, chauffage), sans même parler des besoins relationnels. Donc l’isolement, particulièrement celui subi, va générer une anticipation anxieuse qui peut s’apparenter à une angoisse de mort. Elle va mobiliser les systèmes physiologiques au stress et donc engendrer de la peur. Ce qui veut dire qu’il va y avoir tous les mécanismes de préparation (cortisol, adrénaline...) à la fuite ou au combat. Ces mécanismes physiologiques préparent le corps à faire cela. Ce qui aura plusieurs conséquences. Par exemple, pour préparer le corps à l’action, il vaut mieux nourrir le muscle que les intestins ou la peau. Il va donc y avoir un certain nombre d'adaptations qui vont être délétères pour la digestion, l’assimilation ou la circulation périphérique par exemple. Ce qui va engendrer des conséquences au niveau de la pression artérielle. Un être humain qui est stressé par l’isolement aura des mécanismes de préparation à l’action en permanence. La digestion va donc se dégrader, la pression artérielle, qui a été accentuée par l’augmentation du rythme cardiaque, va générer un durcissement des artères, donc de l’athérosclérose. Tout ceci va générer de l’hypertension qui est une cause d’accident vasculaire cérébrale. C’est donc là qu’on revient sur l’idée que la solitude est similaire à fumer 15 cigarettes par jour. Cela aura des effets identiques à ceux du tabac sur le système vasculaire, le rétrécissement des artères, les AVC et donc la réduction de l’espérance de vie. C’est un des mécanismes par lequel l’isolement va agir sur le corps. C’est-à-dire par une anticipation anxieuse qui va mobiliser des systèmes physiologiques de réaction au stress. Et s’ils persistent trop longtemps, ils vont avoir des effets délétères multiples sur le corps.

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On retrouve aussi des mécanismes sur les rythmes sociaux, en particulier du sommeil, des repas et du travail. L’être humain est extrêmement régulé socialement sur ceux-ci. Lorsque les gens se retrouvent isolés, ils perdent leurs mécanismes de synchronisation. L’hygiène de vie va se dégrader. Le fait d’être seul aura aussi un impact sur la motivation pour faire des activités sportives ou bien culturelles. Pour revenir sur le sommeil, la dérégulation des troubles du sommeil peut entraîner des conséquences importantes sur la prise de poids, sur la dépression mais aussi sur le suicide. La solitude, qui détruit les synchronisateurs sociaux, va contribuer à cela.

On a le sentiment que de plus en plus de gens vivent seuls, chez les jeunes comme chez les personnes âgées. Qu’en savons-nous exactement ?

Il y a un critère récent face à cela, c’est la pandémie du covid et notamment les politiques de gestion de cette crise avec les confinements. Ceux-ci ont eu un effet terrible sur la santé mentale de la population. Cet isolement a touché des personnes qui n’étaient pas accoutumées à la solitude et en particulier les jeunes. Cette période de la vie est un moment où l’on construit ses relations, on cherche une vie amoureuse. Avec ce confinement, on a privé les jeunes de ces moments. Aujourd’hui, il y a 18% de la population qui est dans un état dépressif, 26% dans un état anxieux et 70% des gens ont des troubles du sommeil. Plus grave encore, 12% ont eu des pensées suicidaires sur les douze derniers mois. Ce sont des chiffres des enquêtes CoviPrev de Santé publique France. Ce n'est jamais arrivé, dans l’histoire de l’épidémiologie psychiatrique, qu’il y ait une augmentation aussi importante des troubles mentaux sur un temps aussi court. Cela va entraîner des conséquences qui vont perdurer. Il faut se souvenir de ce terme de « distanciation sociale » qui a été utilisé ad nauseam durant la crise Covid. C’est quelque chose d’extrêmement pathogène. Avec cette expression, il y a eu une certaine crainte, une peur de l’autre. Autre raison en lien avec la crise du covid, le télétravail s’est installé ces dernières années. Il est un facteur important au niveau de la solitude puisque le salarié ne va même plus rencontrer ses collègues. L’augmentation du prix de l’immobilier va aussi favoriser cela. Les entreprises n’ont plus les moyens d’avoir des locaux. Tout ceci va engendrer l’isolement.

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De plus, on peut aussi aborder les problématiques d’identité de genre. Celles-ci sont plutôt actives en ce moment. On observe une évolution dans le positionnement amoureux, dans la manière de construire une famille, de se projeter dans l’avenir. Ces problématiques n’incitent pas à s’engager dans une vie de famille et donc favorisent le risque de solitude et d’isolement.

Qu’est-ce qui explique que nos modes de vies soient de plus en plus solitaires ?

On parle souvent des réseaux sociaux comme générateurs de solitude. Personnellement, j’ai une opinion inverse sur le sujet. Pendant les confinements, sans eux la situation aurait été bien pire. Les familles n’auraient pas pu rester en contact. Les réseaux sociaux permettent de créer des communautés, certes pas physiques, mais qui restent des communautés d’échange. Tout ce qui permet de générer du lien, de la communication, de la participation à des activités communes, de la créativité, est bon pour la santé mentale. Donc je pense que l’effet des réseaux sociaux peut vraiment être plus positif que négatif sur le sentiment d’isolement. Cela étant, un être humain est quelqu’un qui a tout de même besoin de contact physique.

Aujourd’hui, comment peut-on faire face à la solitude et l’isolement ?

Il y a un phénomène assez global aujourd’hui dans le domaine des transitions. Marcel Gauchet, un sociologue français, avait écrit le livre « Le désenchantement du monde ». Dedans, il décrit ce phénomène dans lequel progressivement on a perdu, avec l’écroulement des religions, de la relation avec la nature, de la vie rurale, le merveilleux du monde. Aujourd’hui on trouve moins de sens dans ce monde qui est devenu de plus en plus complexe. Cela est expliqué par l’augmentation de la complexité des sociétés et la longueur des chaînes d’interdépendance qui s'accroît. C’est-à-dire que pour la moindre de nos actions, on dépend de plusieurs unités de personnes. En particulier en ce moment où il y a une évolution qui est présentée dans le catastrophique, notamment sur le climat évidemment. Il y a de plus en plus de difficultés à s’investir dans des systèmes porteurs de sens. Or ils sont très bons pour la santé mentale. Je pense donc qu’il y a toute une problématique de comment refaire une société qui a du sens individuel et collectif, et qui est porteuse d’un investissement possible dans un avenir supportable. Il y a une transformation de la société mondiale qui est en cours. Par la suite, il y aura un accompagnement du deuil de ce qu’a été le monde. Tout ceci sera un travail sur les modifications sociales profondes et des systèmes relationnels. Et c’est un travail de politique (ville, quartier, association). Il y a quelque chose à réinventer pour refaire un monde plus local, plus investi dans la proximité et la communauté. Il est nécessaire d’avoir cette capacité à se sentir maître de son destin et de ses outils de survie. Quand on dépend de tout le monde pour la moindre chose, cela est très anxiogène. Donc à l’avenir, il faut retravailler sur cet investissement collectif, micro collectif et macro collectif, et dans des systèmes porteurs de sens. C’est fondamental. La société n’est plus au stade des petites recettes comme Tinder pour faire en sorte de se rencontrer.

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