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La mairie de Paris condamnée pour insécurité : pourquoi la décision obtenue par une association d’habitants du 18ème arrondissement va se révéler très très gênante pour les pouvoirs publics
©Reuters

Tranquillité, salubrité, sécurité

Carence fautive de la préfecture de police dans le déploiement de moyens susceptibles d’assurer réellement la tranquillité publique, incapacité à assurer une gestion des déchets : la mairie de Paris a été condamnée fin mai par le tribunal administratif de Paris à la suite d’un recours déposé par une association d'habitants du quartier Château-Rouge.

Serge Slama

Serge Slama

Serge Slama est maître de conférences en droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre, membre du CREDOF (Centre de recherche et d'études sur les droits fondamentaux) et visiting scholar au Boston College Law School.

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Atlantico : La mairie de Paris a été condamnée fin mai par le tribunal administratif de Paris à la suite d’un recours déposé par une association d'habitants du quartier Chateau-Rouge, dans le nord de Paris. Quels étaient les motifs de ces poursuites ? 

Serge Slama : Contrairement à ce qui a été rapporté par certains médias, le tribunal administratif n’a pas condamné la mairie de Paris et l’Etat pour "rupture d’égalité devant les charges publiques" en raison d'une insuffisance des moyens alloués à la sécurité et à la salubrité de ce quartier sensible. Il ressort en effet du jugement rendu le 24 mai 2016 que seule la mairie de Paris a été condamnée pour faute - ce qui est en quelque sorte plus accablant– et ce pour deux raisons. La première du fait de la carence fautive de la préfecture de police, c’est-à-dire de l’Etat, dans le déploiement de moyens policiers susceptibles d’assurer réellement la tranquillité publique dans ce secteur. La seconde en raison de sa propre incapacité à assurer une gestion des déchets dans la rue Dejean. Rappelons en effet qu’à Paris la police est étatisée et si le pouvoir de police municipale est partagé entre le maire de Paris et le préfet de Police, en revanche en cas de carence fautive de l’Etat c’est la mairie qui est pécuniairement responsable.

Mais une telle condamnation n’est ni originale – le principe de responsabilité de la puissance publique du fait de la défaillance de l’autorité de police administrative a été consacré par le tribunal des conflits et le Conseil d’Etat dès la fin du XIXè – ni affligeante pour la mairie de Paris (surtout que la carence est imputable à la préfecture de police). Le tribunal administratif consacre d’ailleurs de longs développements pour relever que non seulement ne pèse sur les épaules de la collectivité qu’une obligation de moyens en matière de sécurité mais qu’en outre les pouvoirs publics ont affecté dans ce secteur depuis une dizaine d’années des moyens conséquents pour lutter contre la délinquance (drogue, prostitution, ventes à la sauvette, trafics de toute nature, etc.) et pour collecter les déchets dans cette rue particulièrement animée (jusqu’à 4 ramassages par jour).

Toutefois, ces moyens se sont avérés insuffisants et la dégradation de la situation dans la rue Dejean et ses alentours perdure depuis vingt ans (v. la page facebook de l’association requérante). La condamnation est donc fondée non seulement sur "l’importance des troubles à l’ordre public dans ce secteur bien délimité" mais aussi "leur caractère visible et prévisible", leur persistance et aggravation dans le temps et, surtout, l’incapacité des autorités de police à les réduire "de manière significative". Le tribunal prend aussi le soin de mentionner les mesures concrètes qui pourraient être mises en oeuvre pour améliorer la situation :  restauration de la circulation routière dans cette voie, occupation de l’espace public par d’autres activités, réglementation du marché informel ou encore présence policière renforcée et permanente dans ce secteur précis ainsi qu’une augmentation de la fréquence des différents dispositifs de nettoyage, en particulier le soir.

Ce n’est donc pas un "droit à la sécurité" qu’aurait proclamé le juge administratif face à une mairie de gauche défaillante et laxiste mais le rappel de l’obligation légale de maintien de l’ordre public qui incombe aux autorités de police municipale depuis 1884 et le constat de l’insuffisance des moyens affectés par l’Etat depuis vingt ans, c’est-à-dire dire aussi bien par des gouvernements de gauche que de droite....

Bien que la mairie de Paris ait fait appel de sa condamnation, cette décision serait-elle susceptible de faire jurisprudence si elle était confirmée ? Quelles en seraient les conséquences juridiques ? Quel impact cela aurait-il sur l'action des pouvoirs publics ?

Pour que ce jugement face jurisprudence il faudrait qu’il soit confirmé en appel et que le Conseil d’Etat soit saisi en cassation par la mairie… Il n’y a donc pas lieu de s’emballer…

Comme cela vient d’être rappelé il n’y a rien d’inédit dans la condamnation d’une autorité publique du fait de sa carence fautive dans la mise en œuvre d’une de ses obligations légales, y compris en matière de police administrative. Chaque semaine les juridictions administratives rendent des décisions en ce sens. Par exemple, quand l’Etat ne respecte pas ses obligations dans la prise en charge des demandeurs d’asile ou n’exécute pas l’injonction d’un tribunal administratif pour attribuer un logement à une personne reconnue prioritaire dans le cadre de la procédure du droit au logement opposable. Le Conseil d’Etat a aussi déjà retenu, par exemple, la responsabilité d’une commune à l’occasion du décès d’un jeune homme pour lequel les soins de secours n’ont pu être dispensés à temps, le téléphone le plus proche étant situé à 5 km du lieu de l’accident. Parfois, c’est même la responsabilité pénale des maires qui est recherchée en cas de défaillance des mesures de police pour assurer la sécurité.

Mais deux choses nous frappent dans cette décision. D’une part, la faiblesse de la réparation accordée par le tribunal à l’association requérante : 3000 € s’agissant des atteintes à la tranquillité publique du fait de la carence de la préfecture de police et 1000 € s’agissant du ramassage insuffisant des déchets (pris en charge par l’assureur de la mairie). C’est malheureusement un constat habituel : les juges administratifs se montrent assez chiches des deniers publics. Sans atteindre les montants des class action américaines, on peut penser que tant que les condamnations ne seront pas plus conséquentes, les collectivités seront peu enclines à réellement dégager les moyens suffisants pour redresser durablement la situation. Le montant pécuniaire est souvent inversement proportionnel à l’écho médiatique…

D’autre part, le tribunal reconnaît à l’association de riverains un intérêt à obtenir, au nom des habitants, réparation d’un préjudice moral en raison de la carence fautive des autorités de police municipale. Cela est intéressant à relever car cela signifie qu’une association peut agir contre une collectivité au nom des habitants pour défendre leurs intérêts collectifs. Cela poursuit des jurisprudences dans le même sens du Conseil d’Etat en référé-liberté lorsque, par exemple, il reconnaît que l’observatoire international des prisons peut agir au nom des détenus de la prison des Baumettes pour obtenir une amélioration de leurs conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine ou que le Secours catholique ou Médecins du Monde peuvent agir au nom des exilés de Calais pour obtenir des travaux dans le bidonville de la Lande. De même, sur recours de la Cimade et du Gisti, le tribunal administratif de Mamoudzou a donné injonction le 4 juin 2016 à une mairie d’interdire une manifestation visant à "chasser" des migrants comoriens les expulsant de leur logement (autrement dit un pogrom xénophobe) et au préfet des déployer les forces de l’ordre nécessaires.

Quel impact politique cette décision est-elle susceptible d'avoir ? Dans quelle mesure risque-t-elle de conduire à une multiplication de telles poursuites ?

On ne peut totalement faire abstraction des retombées politiques d’une telle condamnation, surtout compte tenu de sa forte médiatisation. Le jugement sonne comme un avertissement pour la mairie de Paris et le préfet de Police qui doivent, s’ils veulent respecter leurs obligations légales rappelées par le tribunal administratif, développer des moyens supplémentaires conséquents pour restaurer réellement et durablement l’ordre public dans ce quartier populaire, avec une forte composante de population issue de l’immigration.

Plus largement, cela ouvre la voie à des actions d’habitants ou d’associations de riverains d’autres quartiers sensibles qui se sentant abandonnés par les autorités publiques faute de moyens policiers et de structures sociales suffisants pour vivre paisiblement.

Si on veut rétablir réellement l’égalité territoriale, il faudrait cesser de concentrer les difficultés dans les mêmes quartiers et redéployer des moyens des quartiers riches vers les quartiers en difficulté. 

Malheureusement, lorsqu’on voit la réaction des habitants du XVIè s’agissant du simple accueil en lisère du bois de Boulogne d’un centre d’accueil pour sans-domicile, il est peu probable qu’une municipalité s’engage dans cette voie, par exemple en y installant le camp d’accueil pour les réfugiés envisagé par la maire de Paris… Surtout que contrairement aux habitants des quartiers riches, les populations immigrées n’ont pas nécessairement le droit de vote et pèsent bien moins dans la balance médiatique.

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