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La libido diminue chez les hommes comme chez les femmes… mais pas forcément pour les mêmes raisons
©Reuters

Voulez-vous...?

Depuis quelques années, la baisse de la libido est un vrai problème pour un grand nombre de femmes et, pour la première fois, pour les hommes.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Aux Etats-Unis, depuis quelques années fleurissent des livres destinés aux femmes avec des titres comme "Retrouver sa sexualité" : Recharger votre libido (2012), Relancer le désir (2014) ou Retrouver le désir (2012) où Laurie Watson écrit "Si vous pensez que le sexe n'en vaut tout simplement pas l'effort, vous n'êtes pas seule."

Une "véritable crise de la libido" chez les femmes

Nous faisons face à une "véritable crise de la libido" des femmes, écrit Katherine Rowland dans le magazine Aeon. Selon diverses études, 16% des femmes britanniques disent ressentir un manque de libido, 43% des femmes américaines déclarent avoir des problèmes de sexualité, et à l'échelle mondiale, entre 10 et 50% des femmes déclarent avoir trop peu de désir sexuel. En France, selon un sondage IFOP de 2010, un Français sur deux aurait eu un problème dans son couple dû à un manque de désir.

La libido des femmes inquiète les scientifiques depuis près d'un siècle. A partir du 19ème siècle, la norme du mariage fondé sur l'amour plus que sur la raison amène progressivement l'idée qu'un couple doit être épanoui sexuellement. A partir du 20ème siècle, les psychiatres et gynécologues commencent à s'inquiéter de ce qu'ils appellent la "frigidité" des femmes. Aujourd'hui, il est difficile d'être dupe du fait que l'immense majorité, sinon la totalité, de ces scientifiques étaient des hommes les menaient à voir cette "frigidité" comme une maladie de la femme et non une conséquence de l'ignorance et du manque de talent des hommes... Mais depuis quelques temps, c'est moins la difficulté à éprouver du plaisir dans le rapport sexuel qui inquiète que la difficulté à avoir du désir. 

Plusieurs faits nouveaux changent la donne depuis un moment. De plus en plus, ce sont des femmes jeunes, en pleine santé et, surtout, amoureuses, qui se plaignent d'une baisse du désir, comme le rapporte ABC News. Rien n'a changé, mais le désir s'est eteint. 

Le problème est inquiétant. Selon une étude de l'Université de Pavie de 2010, "un pourcentage plus élevé de femmes avec un désir sexuel faible se sentent frustrées, inquiètes, malheureuses, déçues, désespérées, perturbées, honteuses et aigries, par rapport aux femmes avec un niveau de désir normal." Cette simple corrélation n'indique pas une relation de cause à effet-selon le bon sens, la relation de cause à effet va dans les deux sens. Et Anita Clayton, psychiatre à l'Université de Virginie, rappelle que la plupart des femmes ne cherchent pas à aller au fond des causes de leur baisse de désir, mais s'habituent simplement à une vie sans sexe.

Quelles sont les causes de ce phénomène ? Pour résumer, on ne sait pas.

Il y a grosso modo deux écoles : celles de la source hormonale, et celles de la source psychologique. Et d'ailleurs elles ne sont pas contradictoires.

L'hormone du désir sexuel est la testostérone, et la femme en produit naturellement moins que l'homme, et produit des œstrogènes qui contrecarrent l'effet de la testostérone. En plus de la testostérone produite par le système nerveux, les ovaires de la femme produisent de la testostérone lorsqu'elle est au sommet de son cycle reproductif. Aux Etats-Unis, la thérapie par la testostérone est souvent prescrite aux femmes contre la baisse du désir sexuel. Irwin Goldstein, anciennement urologue à la faculté de médecine de l'Université de Boston, un des pères du viagra qui s'est tourné vers la recherche d'un "viagra féminin", résume la conception de cette école : "Depuis des siècles, les femmes ont eu des niveaux faibles de testosterone, et on ne s'en rend compte que maintenant. L'aspect psychologique est important, mais il faut aussi mettre les femmes à un niveau normal."

Pourtant, de nombreuses femmes qui font une thérapie par testostérone n'arrivent pas à régler le problème. De nombreux chercheurs s'orientent également vers des explications psycho-sociales, voire sociétales. Pour Stephanie Coontz, historienne de la famille à Evergreen State College, le mariage moderne fait peser de nouvelles attentes sur le couple, qui peuvent être bonnes, mais qui peuvent être pressurisantes, notamment au niveau du sexe. Comme le signale Leah Libresco de FiveThirtyEight, beaucoup de couples sur-estiment ce qui est "normal" comme taux d'activité sexuelle et, en se comparant à ce niveau non réaliste, se sentent inférieurs et frustrés. 

Pour le psychologue Christopher Ryan, la baisse du désir n'est pas une maladie, mais le symptôme d'un "problème de tous les aspects de la vie" qui combine l'importance du travail, du stress, de l'isolation sociale avec le repli sur la famille nucléaire étendue, et des attentes fortes qui pèsent sur la famille nucléaire, l'éducation des enfants et la monogamie romantique. Selon de nombreuses études, les gens travaillent plus et sont moins satisfaits au travail, sont de plus en plus stressés, et les diagnostics de maladies mentales augmentent.

Les jeunes hommes ne sont pas épargnés

Plus inquiétant encore peut être, on constate une baisse de la libido chez les jeunes hommes en bonne santé. Il s'agit sans doute du dernier chez lequel on aurait imaginé voir ce phénomène, et pourtant on assiste à l'émergence de "ces hommes qui n'ont plus envie de sexe", comme titre le magazine Psychologies.

Pour les femmes le mystère plane, mais pour les hommes il semble y avoir un facteur direct. Comme le déclare brutalement un rapport très éclairant de février 2011 de la très sérieuse Société italienne d'andrologie et de médecine de la sexualité, "Le porno sur internet tue la sexualité des jeunes hommes."

Ce qui ressort de toutes les études est que le porno sur internet--en streaming vidéo gratuit et disponible en deux clics--est qualitativement différent du porno depuis qu'il existe, sous une forme ou sous une autre, depuis toujours. En effet, la sélection naturelle nous a donné un mécanisme physiologique de "goinfrage" lorsqu'il s'agit de la nourriture et du sexe ; la dopamine que génère le sexe et la nourriture inhibe notre sensation de satiété naturelle. Donc comme nous assistons à une épidémie d'obésité, nous assistons à une épidémie -certes moins visible- d'"addiction à l'excitation sexuelle", comme l'indique le chercheur Gary Wilson, qui étudie l'impact neurologique du porno sur internet sur le cerveau. 

L'utilisation accroît l'insensibilité au plaisir, à une hyper-sensibilité au porno (et donc à une sensibilité plus faible aux stimulations sexuelles qu'offre le monde réel), et à une baisse de la volonté, donc à un cycle addictif. Le cycle addictif mène à une désensibilisation progressive : il en faut toujours plus pour atteindre le même niveau de plaisir. Toujours plus -ou de la nouveauté. Dans le phénomène de l'addiction au porno, il y a également une addiction à la nouveauté, qui explique la prolifération de porno mettant en scène des actes et des pratiques toujours plus étranges et éloignées de la réalité. Comme le décrit le docteur Carlo Foresta, directeur de la Société d'andrologie et de médecine sexuelle d'Italie, ce phénomène mène d'abord à une désensibilisation au porno, puis à une baisse de la libido, puis dans certains cas, à l'impuissance.

Il est possible que le phénomène chez les hommes ne se produise pas en parallèle à la baisse de la libido des femmes, mais en lien avec. Après tout, la mollesse du désir de son partenaire n'est pas le meilleur moyen de susciter le désir chez l'autre... Et si les hommes, en voulant retrouver les sensations du porno, demandent à leurs partenaires des pratiques qui ne leur conviennent pas, cela peut avoir un impact sur le désir. 

Peut être une explication sociétale

Une autre explication potentielle de cette baisse de la libido des femmes qui n'est que peu évoquée dans les études mais mérite d'être explorée : la contraception. Le lien entre les contraceptifs hormonaux et la baisse de la libido chez de nombreuses femmes est avéré. En Allemagne, la réglementation impose aux fabricants d'indiquer la baisse de la libido comme un risque potentiel de la pilule contraceptive. Selon des sexologues interrogés par le magazine Women's Health, la baisse de la libido due à la pilule toucherait jusqu'à 40% des femmes.

Et si le stress dû à la vie moderne crée une baisse de la libido, cela peut être lié à un problème plus large, ce qu'on appelle le "paradoxe de la baisse du bonheur des femmes", d'après une étude éponyme du couple d'économistes Betsey Stevenson et Justin Wolfers qui rapporte que malgré une hausse de la qualité de vie des femmes selon de nombreux critères objectifs, notamment leur libération du patriarcat, leur bonheur subjectif rapporté dans les sondages est en baisse constante depuis les années 1970, et ce à travers le monde et les groupes démographiques et socio-économiques, et ce phénomène coïncide avec les avancées de la libération de la femme. Il y a bien sûr une explication progressiste à ce constat : on a donné aux femmes les pressions de la vie d'homme (carrière, etc.) sans pour autant leur retirer les pressions de la vie de femme ; par exemple la majorité des femmes qui travaillent continuent à faire plus de tâches ménagères que les hommes. 

C'est sans doute une explication. Mais une autre explication -pas forcément contradictoire avec la première- est tout simplement que les femmes étaient plus heureuses et plus épanouies dans un régime patriarcal où elles avaient moins de responsabilités. Après tout, être dominée sexuellement est le fantasme le plus répandu des femmes, selon plusieurs études, et en particulier chez les femmes qui sont "dominantes" dans leur vie sociale. 

L'écrivain américaine Sandra Tsing Loh a publié en 2009 un essai qui a défrayé la chronique, "Arrêtons tout", où elle décrit la déception, le manque d'intérêt, voire le dégoût d'elle et de son cercle d'amies californiennes privilégiés pour leurs maris "post-féministes" :  ouverts, sensibles, qui font la cuisine et maternent les enfants et partagent équitablement les tâches domestiques. On est loin de Christian Grey, du phénomène des Fifty Shades of Grey qui a captivé des millions de femmes, beau milliardaire qui domine sexuellement la narratrice du roman- avant de l'épouser pour vivre avec elle dans un mariage patriarcal où ils font beaucoup d'enfants. Néanmoins, sans doute le stress au travail et les pressions du monde moderne jouent-ils également un rôle.

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