La langue française, "has been" du 21ème siècle ? Voilà ce qui bloque et voilà ce qui pourrait électriser le français d'aujourd'hui<!-- --> | Atlantico.fr
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La langue française, "has been" du 21ème siècle ? Voilà ce qui bloque.
La langue française, "has been" du 21ème siècle ? Voilà ce qui bloque.
©Reuters

A en perdre son latin

En cette semaine de la langue française, la question de l'influence des langues étrangères sur le français est au cœur des débats. Incapable de se renouveler pour décrire la modernité, la langue de Molière s’essouffle. La faute à un cadre trop restrictif.

Gilles  Guilleron

Gilles Guilleron

Gilles Guilleron est professeur à l'Université de Lorient, il est agrégé de lettres modernes. Il est également l'auteur d'Ecrire pour les nuls, et du petit dictionnaire pour les gros mots. 

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Atlantico : Aujourd’hui, on ne connaît pas d’équivalent français au mot "selfie", qui a pourtant été déclaré mot de l’année en 2013. Pourquoi la langue française a-t-elle autant de mal à suivre les tendances ? Est-elle intrinsèquement incapable de décrire une pratique nouvelle sans qu’une autorité ne lui dicte le mot ?

Gilles Guilleron : Une langue est un phénomène vivant fondé sur l’échange et dans un contexte où les échanges sont mondialement facilités il y a forcément une grande influence du vocabulaire étranger. Dans les 150 mots nouveaux entrés dans le dictionnaire Robert, une trentaine est d’origine étrangère. En français, on peut traduire le selfie comme l’autoportrait, qui a une forte connotation du passé : c’est un mot très ancien qui évoque Rambrandt, etc. Cela fait référence à un état d’esprit, à une génération.

Cette tradition normative qui existe dans toutes les langues se ressent encore plus dans le français. Il y a le poids des institutions mais aussi la scolarité : un individu est pris en charge au niveau de la langue dès la dernière section de maternelle. La langue doit être pratiquée d’une certaine manière, avec de nombreuses règles à respecter. Cela peut avoir un effet bloquant. Les mots étrangers qui vont refléter des réalités que la langue française est incapable de décrire vont ainsi être complètement intégrés. Sur les 300 mots qui font le buzz que je décris dans Les mots d'aujourd'hui et de demain (Editions First, 2014), 55 sont d’origine étrangère, et massivement anglo-saxonne.

En quoi  la différence de construction de la langue française est-elle en cause ? Est-ce que notre impossibilité à faire évoluer notre langue vient du fait que chaque mot doit s’inscrire dans une lignée, prendre racine dans des mots déjà existants ?

La langue, lorsqu’on la pratique, est un moyen d’évaluation sociale et culturelle de la personne. S’exprimer en respectant les codes, notamment ceux appris à l’école, c’est s’inscrire dans une tradition, une continuité. Etoffer son langage de mots peut être déclassant et cela peut pousser à une certaine frilosité. Il y a une espèce de moule dans lequel on nous impose de rester qui nous empêche de penser à de nouveaux mots.

C’est aussi la solution de facilité que d’emprunter des mots étrangers. Mais il y a aussi des contre-exemples, justement au niveau des nouvelles technologies : la vapoteuse, par exemple, s’est substituée à l’e-cigarette. Des mots surgissent quand même, malgré le déficit indéniable.

Dans la population jeune, il y a une réelle fascination pour la culture de l’éphémère, de la vitesse et du virtuel, des concepts typiquement anglo-saxons. Les jeunes français reprennent ces concepts et en gardent les noms. Aujourd’hui, cette culture domine en Europe de l’ouest et cela se retrouve jusque dans les outils verbaux utilisés pour décrire la réalité.

En quoi les traductions que propose l’Académie française ne sont-elles pas appropriées ?

Il s’agit de personnes d’un certain âge qui apparaissent comme des gardiens de la langue, avec des discours coupés du terrain ainsi que des définitions et des traductions qui s’opposent à la réalité. Il y a une espèce de conservatisme, de nationalisme, dans la langue, comme si on ne pouvait pas y toucher. Il faut accepter qu’une langue est un phénomène mouvant, sinon nous allons continuer à vivre avec le premier dictionnaire de l’Académie française de 1694.

Comment le français peut-il se moderniser ?

Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus dans un rapport oral et visuel à la langue, qui passe par le biais d’Internet ou de la télévision. Quand je demande à mes étudiants d’imaginer des mots du jour, sur le modèle de l’haïku japonais, ils ont beaucoup de difficultés. Ils étaient épatés de retrouver des mots jusqu’alors laissés de côté. On se contente aujourd’hui d’un petit noyau de vocabulaire nécessaire aux petites communications courtes et rapides favorisées par le numérique. C’est comme un joueur de tennis : il n’y a pas que le tennis, mais aussi tout ce qui est musculation et préparation physique. La langue, c’est pareil. Il faut arrêter de réduire la langue à un outil de communication de premier degré.

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