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La guerre TF1 contre Canal, Orange et Free : quand la première chaîne d’Europe se fâche avec ses distributeurs
©AFP

Atlantico Business

Quand TF1 ose le bras de fer contre les opérateurs, le débat n’est pas différent que quand Danone ou l’Oréal se battent avec la grande distribution.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Des millions d’utilisateurs se sont vus coupés les chaines du groupe TF1 ces derniers jours, les abonnés de Canal. Canal Plus a voulu taper là où ça fait mal : l’audience, donc le portefeuille. Depuis vendredi dernier, les résultats d’audience des principaux programmes de TF1 ont déjà pâti de ces coupures. La bourse, de son coté, en a tiré les leçons en sanctionnant le titre. Et ce n’est pas fini ... Même si Canal a rétabli dans la nuit de mercredi à jeudi la distribution de TF1 sur une partie de son réseau, les discussions continuent avec Orange et Free. Ces abonnés pourraient bien connaître le même sort.

« La rémunération demandée étant incompatible avec notre volonté de maintenir notre tarif, nous sommes contraints d’interrompre la diffusion de TF1, TMC, TFX, LCI… » se justifie Free dans un bandeau s’affichant sur l’écran de télévision de ses abonnés. La « rémunération demandée », c’est en fait le droit d’utilisation de ses chaines que réclame TF1, d’une vingtaine de millions d’euros.

Bouygues a signé, mais c’est la même maison mère de TF1. SFR, le groupe de Patrick Drahi, a accepté le deal, après des menaces de poursuite.

Mais pour Orange et Free, alors que TF1 reste disponible gratuitement par la TNT ou internet, la pilule a du mal à passer.

TF1 sait qu’il est incontournable, parce qu‘il produit des contenus. Il investit beaucoup d’argent dans les films, les séries et les émissions de variétés comme The Voice.  Il investit aussi beaucoup dans les droits sportifs, et notamment dans les grandes manifestations internationales, comme la prochaine Coupe du monde de football. Ses programmes sont donc incontournables, pour le moment. La chaine reste la plus regardée en France, elle réalise les meilleures audiences et compte bien battre ses records en juin avec le football.

Sauf que TF1 n’accepte plus que des diffuseurs opérateurs puissent utiliser gratuitement ses programmes et gagner de l’argent avec.

Et à y regarder de plus près, ce débat n’est pas différent de celui que mènent les industriels de la consommation avec les hypermarchés ou leurs centrales d’achat. Danone, Nestlé, Coca-cola, l’Oréal ferraillent tous les jours avec les acheteurs de la grande distribution pour protéger la valeur de ce qu’ils produisent, leur marge, leur liberté. Parce que si Carrefour, Auchan ou Leclerc pouvaient se procurer les yaourts Danone sans payer, ils le feraient.

Dans tous les métiers, les producteurs de biens et service ont été harcelés par les grands diffuseurs. Le partage de la valeur a donné lieu à de sanglantes confrontations.

Or, si le producteur de yaourts ou d’eau minérale, comme le producteur de télévision, ne protège pas sa valeur, il se ruine et perd sa capacité à investir.

Du coup, TF1, Danone, même combat. D’autant que la digitalisation a accru la gravité du débat. D’abord parce que de nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché de la distribution avec Amazon et ses cousins d’Amérique.

Ensuite parce que dans le digital, on a bien compris que la production de contenus était le nerf de la guerre. Facebook, Amazon, Google se sont mis à produire des films, des séries et des spectacles.

Ce qui fait que si TF1 se laissait faire, il se retrouverait rapidement asphyxié d’un côté par les diffuseurs qui ne veulent pas payer et de l’autre par ces mêmes diffuseurs qui se mettent à produire des programmes. C’est le cas de Netflix ou de Youtube, mais aussi déjà de Canal ou d’Orange. Et cette tendance pourrait s’alourdir.

Alors traditionnellement, une chaine se finance en grande majorité par les revenus publicitaires. C’est le cas pour TF1, à 75% de ses recettes, et la chaine a en plus annoncé en février de très bons résultats 2017. Chiffre d’affaires en hausse de 3% pour son résultat net, traduisant une hausse des revenus publicitaires.

Mais ce n’est évidemment pas suffisant pour sécuriser l’avenir. Le PDG, Gilles Pélisson, arrivé en 2016 s’est donné pour but de rétablir la marge du groupe audiovisuel au dessus des 10%. Mais pour cela, il lui faut trouver de la recette en monétisant les programmes.

Du coup, Gilles Pellisson a osé transgresser une habitude de gratuité. Il s’est permis une nouveauté : faire payer les distributeurs pour les chaines qu’il leur propose. Ca se fait aux Etats-Unis, alors pourquoi pas en France.  La loi française stipule que, sur l’hertzien  - la TNT, les chaines ont cette obligation d’être gratuite. En revanche, rien n’est dit si elles arrivent par un autre moyen. Et aujourd’hui, 60% des téléspectateurs regardent la télévision via une box internet.

Et si TF1 a été la première chaine d’Europe, le contexte a changé. La télévision n’est plus l’apanage des millénials.  Les publicitaires sont moins nombreux à se battre au portillon pour acheter de l’espace, faisant ainsi baisser les recettes.

Pour s’adapter, la méthode Pélisson est donc claire et pragmatique. Il cherche à diversifier les sources de revenus.

En demandant à ses distributeurs un droit d’exploitation des chaines TF1. Comme les fournisseurs d’accès perçoivent un abonnement, il trouve normal que TF1 soit rétribué pour contribuer à l’enrichissement de leur offre.

En haussant le niveau de service, avec la diffusion de la Coupe du monde en 4K, et les offres de replay ou de visionnage en différé augmenté. C’est l’objectif de Mytf1.

En misant sur le digital avec l’acquisition de Minute buzz ou encore en ce moment, de Aufeminin.com pour augmenter l’exposition au web, que TF1 avait manquée il y a dix ans et pour toucher la cible des 18-25 ans.

Les nouvelles générations regardent moins la télévision, c’est un fait. D’où la baisse relative des revenus publicitaires, mais elles continuent de regarder massivement les programmes vidéo sur les écrans, tablettes ou smartphones. Il faut donc récupérer la valeur qui fuie d’une manière ou d’une autre.

Le bras de fer va être douloureux. Aucun des acteurs n'a intérêt à céder trop facilement. Pour l’instant, TF1 a perdu du terrain, les abonnés de Canal n‘ont pas pu accéder aux programmes. Si le bras de fer continue avec un blocage de Orange et de Free, TF1 va encore perdre des téléspectateurs ... ça peut durer sauf que le téléspectateur peut se fâcher. Ce dont il a besoin, ce sont des programmes, des films et des matchs de foot. Le téléspectateur peut changer de box parce que, s’il s’est abonné à Canal, à Orange ou à Free, c’est aussi parce qu’il pouvait capter TF1 et toutes les chaines de ce groupe. Il peut donc se tourner vers un autre opérateur ou revenir vers la TNT gratuite.

Chacun a intérêt à défendre son exploitation. Mais à terme, si rien ne change, c’est Orange, Free et Canal qui risquent de perdre une partie de leur marché.

Pour une raison très simple, c’est que leur client veut des contenus et que les contenus, c’est TF1 qui les contrôle et qui les fabriquent. Pour l’instant, du moins.

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