La grande gymnastique de Noël : qui part où, qui ne part pas, qui fête quoi, avec qui et quand ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La grande gymnastique de Noël a commencé
La grande gymnastique de Noël a commencé
©REUTERS/Gleb Garanich

Une fête qui rassemble

Pour tous, Noël est incontestablement l'occasion de se retrouver en famille et de célébrer cette fête devenue, au fil du temps, l'expression d'une société humaine dont les symboles de plus en plus globalisés dépassent la simple fête purement chrétienne. Chez soi ou à la montagne, à la messe ou autour d'un bon repas, découvrez les différents manières de célébrer Noël.

Atlantico : Quels sont les principaux mouvements de population à Noël ?

Jean-Didier Urbain : D’abord, on constate une partition tacite dans la manière de faire la fête à la fin de l’année.Noël se fait en famille, quand le Nouvel An obéit à des logiques beaucoup plus variables, qui s’entrecroisent : les flux sont aléatoires, les amis se dévouent à tour de rôle pour assurer l’accueil. Le Nouvel An obéit à une logique de tribalisation amicale. On voit donc que les univers rituels sont bien distincts, spécialisés, à seulement quelques jours d’écart.

A Noël, les déplacement ont un objectif géographique commun : rejoindre le lieu d’habitation des "anciens" de la famille. C’est autour d’eux que les gens se regroupent. A l’exception des vacanciers qui partent à la montagne, les flux sont variés : ils sont inter urbains, de la ville vers la campagne ou inversement, avec comme corollaire les retrouvailles autour desdits anciens.

Qu’en est-il des vacances à la montagne ? Ces dernières restent-elles le principal lieu de vilégiature à cette époque ?

Jean-Didier Urbain : Les vacances d’hiver représentent 30 % des partants habituels. C'est-à-dire que deux Français sur trois partent au moins une fois en vacances dans l’année, et sur ce nombre, un sur trois part s’amuser à la neige. Les flux sont donc toujours considérables, et ce malgré la crise et le caractère coûteux en équipements de ces vacances. Ce qu’on constate tout de même, c’est que la clientèle de montagne est une population de moins en moins exposée à la crise. Autre détail important, c’est le lieu le moins motivé par le regroupement familial : la montagne est d’abord un espace d’activité, où on ne se rend pas, à de rares exceptions, en vue de se regrouper familialement.

Les fêtes de Noël conservent-elles un caractère profondément sédentaire ? Pourquoi ?

Jean-Didier Urbain : Aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, les vacances de Noël sont comme celles de juillet ou d’août, un grand moment de sédentarité. Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, et comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas à cette époque que la mobilité est la plus grande. L’endotropisme est très marqué, et ne connaît pas de variations selon les classes sociales : tout se fait autour de l’idée du retour dans le giron familial.

Des familles se recomposent même, à cette période (mais seulement à cette période). En période de crise, une relation d’aide économique se redessine, et Noël y participe fortement, comme on l’avait déjà vu dans les années 1970-1980 à la suite du premier crash pétrolier. On le constate, cette fonction économique, de solidarité, est d’autant plus à l’œuvre en ce moment à cause de la crise que nous traversons. Le désir de regroupement familial est intensifié, ce n’est plus seulement un rituel : "on prend sa dose" de soutien dans le groupe humain indéfectible qu’est la famille.

Les Français fêtent-ils tous Noël de la même manière ? Selon qu’ils sont catholiques, protestants, orthodoxes ou non pratiquants, dans le fond, fêtent-ils la même chose ? Pourquoi ?

Raphaël Liogier : Votre question est intéressante, parce que vous n’incluez que des éventuels pratiquants ou non pratiquants chrétiens. Et, effectivement, Noël est par excellence une fête œcuménique, puisqu’elle rassemble toutes les familles chrétiennes. Il s’agit de célébrer la naissance de Jésus. Il y a d’ailleurs débat sur cette date du 25 décembre de l’an 753 de la fondation supposée de Rome qui a été fixée de façon un peu arbitraire par un moine du nom de Denys le Petit. Chez les Orthodoxes, qui suivent le calendrier Julien (établi par Jules César en 46 av. JC) et non le calendrier Grégorien (établi par le Pape Grégoire le Grand en 1582), Noël peut être fêté début janvier. 

Par ailleurs, les fêtes de Noël ont pu être perçues avec une certaine suspicion par les protestants pendant certaines périodes. Jusqu’à la fin du XVII ème siècle, les colons réformés iront jusqu’à interdire sa célébration dans certaines régions de l’Amérique du Nord. Le même type de proscription a existé un peu avant en Angleterre au milieu du XVIIème siècle. Et, en toute hypothèse, la ritualisation, les mises en scènes, les fastes de ces festivités étaient trop attachés à ceux de l’Eglise catholique romaine pour ne pas paraître suspects dans la plupart des pays réformés d’Europe. En effet, Noël n’occupe pas seulement une fonction spirituelle et festive, mais va devenir un instrument politique de l’Eglise catholique. Ce n’est pas un hasard si Clovis se fera baptisé le soir et que Charlemagne, tout comme Guillaume le Conquérant, seront couronnés le jour de Noël. Progressivement la fête sera structurée par l’Eglise catholique, avec les trois messes dont la fameuse messe de minuit, la mise en scène de la crèche, l’imposition d’une trêve entre les belligérants à la période de Noël, l’imposition de jours chômés, etc. C’est devenu, pour l’Eglise, une manière d’exprimer son pouvoir social.

Pourtant, le fameux Sapin de Noël, a été d’abord accepté par les protestants parce qu’il représentait pour eux l’arbre du jardin d’Eden,alors que pour les catholiques il représentait, encore jusqu’à récemment, la survivance de pratiques païennes préchrétiennes. Ce qui n’est pas faux, puisqu’avant d’être l’évocation de la naissance du sauveur des chrétiens, c’est à peu près dans la même période que l’on célébrait, dès l’Antiquité, les solstices d’hivers, moment où les jours sont les plus courts mais qui est celui du grand renouvellement du monde. Il est probable, par exemple, que les Celtes révéraient déjà un arbre durant cette période comme symbole du renouvellement de la vie. En tout cas aujourd’hui, Noël fait indéniablement à nouveau l’unanimité parmi les chrétiens pratiquants et non pratiquants. Même les non pratiquants ou pratiquants épisodiques continuent à transmettre la tradition de Noël à leurs enfants.

Quelle place la messe de Noël occupe-t-elle aujourd’hui ? L’affluence constatée à chaque fois dans les églises à cette période de l’année a-t-elle une valeur proprement religieuse, ou bien le fait d’assister à cette messe est-il l’occasion pour les familles de "faire quelque chose ensemble" ?

Raphaël Liogier : Certes, c’est le moment de l’année où l’affluence dans les Eglises est la plus importante, mais néanmoins en baisse tendancielle. Cela a toujours été, avec Pâques mais plus encore qu’à Pâques, le moment des plus grands rassemblements durant les messes. Aujourd’hui, certaines églises sont effectivement pleines le soir de Noël, mais, d’une part ce n’est plus forcément pour la messe de minuit proprement dite, parce qu’elle est souvent ramenée à 22h ou même 21h, et d’autre part, alors que jadis toutes les églises étaient pleines ce soir là. Aujourd’hui, seules certaines églises accomplissent les rites complets de Noël. Si la messe permet encore parfois de structurer la soirée de Noël, c’est de moins en moins le cas, parce que la tradition de la veillée de la Nativité a elle aussi tendance à s’étioler au profit de la seule veillée « profane » du 31 décembre. En tout cas, le moment important, crucial, n’est plus la messe mais le repas de Noël. 

Concernant les festivités, distingue-t-on des pratiques différentes selon les populations ?

Raphaël Liogier : Noël est indéniablement, par excellence, le moment des rassemblements familiaux périodiques. En dehors de Noël , les familles se retrouvent mais non périodiquement, seulement ponctuellement à l’occasion d’un mariage ou d’un décès par exemple. Les fêtes de Noël débordent aujourd’hui très largement leur sens religieux pour devenir un moment de vacances et de rencontre privilégié, à l’occasion duquel peuvent se dérouler un certains nombres de rites, de pratiques, d’événements plus ou moins traditionnels. Au cœur de tout cela, on a le repas, avec la bûche de Noël (glacée ou non glacée, selon la tradition bretonne, normande, provençale, etc.), le fois gras, les huîtres, la dinde, le champagne. Le repas se fait le 24 au soir et le 25 à midi, ce qui permet de passer Noël avec différente partie de sa famille et de jouer les prolongations. Il y a toute une ambiance avec des aménagements collectifs spéciaux : les lumières des villes, les marchés de Noël, par exemple à Strasbourg devenus une véritable tradition locale, les santons de Provence.

Mais d’une manière générale, c’est le règne de la consommation intense pour satisfaire à la toujours très vivace tradition des cadeaux, symbole par excellence de Noël. C’est le moment où l’on hésite le moins à dépenser, et c’est ce qu’ont très vite compris les opérateurs économiques qui ont développé un marketing spécifique allant des chants de Noël, à toutes sortes de produits dérivés. Le fait de s’entre-offrir des cadeaux est sans doute la caractéristique essentiel du Noël actuel, que ce soit avec ou sans la croyance, assez récente puisqu’elle remonterait au XIXè ème siècle, au Père Noël (le Santa Claus américain, le Saint-Nicolas).

Est-ce aussi l’occasion pour les familles éclatées de se recomposer, le temps d’une journée ou au moins d’une soirée ? Cela donne-t-il lieu à des conflits, ou bien au contraire la "trêve" est-elle de mise ?

Raphaël Liogier : En général, Noël sert à la famille élargie (cousins, frères et sœurs éloignés géographiquement, oncles, tantes, grands parents, etc.) pour se retrouver. L’échange de cadeaux permet parfois d’accompagner des réconciliations, comme les rites de don - contredon que l’on trouve jusque dans l’organisation tribale. L’idée de Noël est celle de participation commune, le partage, la commensalité, le fait de se retrouver autour de la table et de "raconter ce que l’on est devenu" pendant toute cette année. C’est bien sûr aussi une façon de fêter les enfants qui sont les destinataires prioritaires des cadeaux. Pourtant, Noël est rarement l’occasion de réconciliations spectaculaires, il s’agit plutôt de resserrer des liens déjà existants ou un peu distendus. Les enfants des familles recomposés vont tantôt passer Noël chez l’un des leur parents, tantôt chez l’autre (ce qui peut être, au contraire, une occasion pour les parents de se déchirer !), ou alors le partage se fera entre le soir du 24 chez l’un et la journée du 25 chez l’autre.  

Les populations musulmanes et juives de France se livrent-elles également aux réjouissances de Noël ? Plutôt qu’une célébration religieuse, la fête de Noël est-elle plutôt devenue ce qu’on pourrait appeler une "fête de la famille" ?

Raphaël Liogier : Rien n’empêche un musulman de fêter Noël. Jésus est un prophète très important dans la tradition islamique, même s’il n’est pas le Fils de Dieu comme pour les chrétiens et ne marque pas le début l’ère musulmane, qui démarre en 622 de l’ère chrétienne avec le départ du prophète Muhammad pour Médine. De fait, nombre de musulmans, en Europe en particulier, se sont acclimatés à la tradition des cadeaux, et même du sapin de Noël.

Concernant les juifs, ils peuvent fêter Hanoucca à la même période, la fête dite de la lumière, où l’on allume rituellement les synagogues, les chandeliers, avec des bénédictions particulières, en mémoire de la restauration publique du culte judaïque après son interdiction par l’empereur hellénistique Antiochus IV. Ce symbole d’un nouveau départ correspond assez au sens général de Noël. En définitive, Noël est beaucoup plus aujourd’hui l’expression d’une société humaine dont les symboles, les fêtes, les pratiques sont de plus en plus globalisés qu’une fête spécifiquement chrétienne rappelant la naissance de Jésus de Nazareth[1] !  Rappelons que Noël a un immense succès même en Chine communiste ou en Iran musulman, bien au-delà des communautés chrétiennes vivant sur place !



[1] Raphaël Liogier, Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ?, Paris Armand Colin, 2012. 

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