La France, seul pays au monde à avoir encore la haine de l'argent<!-- --> | Atlantico.fr
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La haine de l’argent sert encore de catalyseur à des élites et à des intellectuels issus de la bourgeoisie.
La haine de l’argent sert encore de catalyseur à des élites et à des intellectuels issus de la bourgeoisie.
©Reuters

Hypocrisie nationale

François Hauter explique, qu'en France, si le gain fascine, la bonne moralité ne tolère pas son étalage et son indécence. Extraits de "Le bonheur d'être français" (2/2).

François Hauter

François Hauter

Journaliste et écrivain, François Hauter est l'auteur du livre "Le bonheur d'être français" aux éditions Fayard.

Il a obtenu le prix Hachette et le prix Albert-Londres.

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Chez nous, la réussite se cache, et les bénéfices sont décriés. C’est stupéfiant, car dans le reste du monde, sauf peut-être en Chine, le succès matériel est admiré, les milliardaires sont encensés, les patrons sont regardés comme des hommes remarquables et les autodidactes comme des héros. En France, rien de tout cela. Nous nous sommes retrouvés aux tréfonds de La Comédie humaine. L’argent est le personnage principal de cedrame : un habile mondain soustrait des fortunes à unevieille dame. Chez Mme Bettencourt, le personnel jase,enregistre les propos du gestionnaire de fortune, rapporteles cruautés de l’arriviste. Les masques tombent.

C’est à la fois Mme Verdurin au Jockey-Club et la chute de Lucien de Rubempré, en vieux beau crochu. Existe-t-il un autre pays que la France où un immense écrivain comme Honoré de Balzac peut construire toute son oeuvre en confrontant des caractères avec l’argent ? Il lance un personnage devant l’argent, et décrit merveilleusement le bruit que cela fait. La France se vautre dans cette histoire comme aujourd’hui l’Amérique le fait avec M. Strauss-Kahn se défendant contre une femme de ménage du Sofitel de New York. Les affaires Woerth et Bettencourt révèlent notre fascination malsaine pour l’appât du gain.

Contrairement à ce que prétend encore une vaste partie de la bourgeoisie de notre pays, l’argent s’affiche là comme une partie intégrante de notre caractère, de nos traditions, de notre littérature, de notre culture. Il torture les esprits. Moins on en parle, plus il devient obsessionnel. Cela transparaît dans le cinéma et le roman, où le « nouveau riche » est toujours ridiculisé, présenté comme un personnage pathétique, parce qu’il montre cet argent, cet importun qui excite en France des réactions irrationnelles. Car chez nous, on n’existe pas pour ce que l’on est ou ce que l’on offre, mais pour ce que l’on possède. La bonne moralité veut qu’on n’en fasse surtout pas étalage, car cela exciterait les bas instincts des autres, la rancœur des moins talentueux ou chanceux. « L’argent ! Ah, parler de cela toute la journée ! Les bulles, les traders, cela m’a coupé avec beaucoup de gens. Que l’on en ait, bien !

Mais ne penser qu’à cela, c’est épouvantable, cela fait partie des moeurs actuelles ! Cela me terrifie ! C’est d’un casse-pieds ! » s’indigne Charles, 82 ans, à Versailles. Sa réaction n’est pas simplement une question de génération ou de milieu social : la crise financière, les abus et les salaires des traders, ont renvoyé la France à ses habituels schémas de pensée. Les hommes politiques suivent. Sur l’argent, Nicolas Sarkozy écrivait six ans avant son élection, en 2007, dans son livre Libre : le succès « n’est pas ressenti ni accepté comme une valeur positive, au lieu de mobiliser la société au travers de ceux de ses membres qui ont réussi, on préfère l’exciter contre celui qui a plus que l’autre, sous-entendu parce qu’il a pris, volé ou arraché à d’autres ». Mais, après la crise financière, il déclare « fini » le capitalisme libéral. François Hollande en rajoute : il « n’aime pas les riches », déclare-t-il à la télévision. Selon lui, on est riche avec 4 000 euros de revenus mensuels.

Le paradoxe évidemment est que la dernière crise financière n’a pas vraiment fait souffrir les Français. Mais elle est un bon prétexte pour retourner aux vieilles habitudes, à la condamnation des « riches », source de tous les maux. On en revient à l’idéologie de 1981, à la mythologie politique de la gauche, « l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase », comme le disait François Mitterrand. Réconcilier les Français avec la réussite et la liberté que procure l’argent semble impossible. Lorsque M. Sarkozy veut rendre plus saine, plus naturelle, la relation entre le travail et l’argent (le « travailler plus pour gagner plus ») et promouvoir une société du « mérite » dans laquelle « tout devient possible », et surtout la réussite matérielle, comme aux États-Unis, lorsque, également, il copine avec ceux qui se sont « faits à la force de leurs poignets » pour afficher une « rupture » avec l’« hypocrisie » du pouvoir vis-à-vis de l’argent, il se heurte de plein fouet, à Paris, à un mur invisible. La haine de l’argent, qui liait gaullistes et communistes dans l’après-guerre, sert encore de catalyseur à des élites et à des intellectuels issus de la bourgeoisie. La presse relaie cette indignation, elle s’enflamme, les polémiques sur le Fouquet’s et le yacht de Bolloré disent le rejet de la réussite ostentatoire. Dans le reste du pays, les idées de Nicolas Sarkozy passent mieux. Mais comme elles ne sont pas suivies d’effets, c’est-à-dire d’augmentations des revenus, la crise étant passée par là, le cake du « travailler plus pour gagner plus » finit à la poubelle.

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Extrait de "Le bonheur d'être français" aux éditions Fayard (9 mai 2012)

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