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La reine d'Angleterre, Elizabeth II, a célébré, ce dimanche 6 février, ses 70 ans de règne, son "jubilé de platine".
La reine d'Angleterre, Elizabeth II, a célébré, ce dimanche 6 février, ses 70 ans de règne, son "jubilé de platine".
©Victoria Jones / POOL / AFP

"God Save the Queen"

La reine d'Angleterre Elizabeth II a célébré, ce dimanche 6 février, son « jubilé de platine », ses 70 ans de règne, au pic de sa popularité.

Marc Roche

Marc Roche

Marc Roche a été journaliste au Soir, au Quotidien de Paris et au Point, avant de rejoindre l'équipe du Monde. Il publie également dans des journaux britanniques (The Independant, The Guardian) et participe à l'émission Dateline London de la BBC News. Ses écrits concernent principalement les institutions financières (Goldman Sachs) et la monarchie britannique.

Il est notamment l'auteur de Elizabeth II : Une vie, un règne et Elizabeth II : La dernière reine aux éditions La table ronde.

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La reine Elizabeth II célèbrait, ce dimanche 6 février, ses 70 ans de règne, son "jubilé de platine". La France se porterait-elle mieux avec Elizabeth II ? Quels seraient les bienfaits pour la France d’avoir une monarque comme Elizabeth II ? Qu’aurait pu apporter Elizabeth II à notre pays ?

Marc Roche : Il faut savoir qu’Elizabeth II a peu de pouvoir. Elle ne règne en fait que sur les cygnes, les baleines et les esturgeons des eaux territoriales. Elizabeth II est un chef de l’Etat très peu interventionniste. On ne sait pas ce qu’elle pense véritablement. C’est une énigme. Elle est réservée. Elle est timide. Elle ne se livre jamais. Elle ne laisse pas transparaître ses idées et ses positions sur les grands problèmes comme le Brexit, la pandémie, Boris Johnson et tous les scandales…

Le système britannique a un chef de l’Etat « eunuque » mais doté d’une certaine influence, notamment morale alors que le système français a un chef de l’Etat qui est politique. A moins de revenir à la IVème République, d’avoir un président non-politique et un président du Conseil politique, le système français ne s’adapte pas à l’exercice du pouvoir d’Elizabeth II.   

Le climat politique et social serait-il plus apaisé en France avec Elizabeth II ?  

Pas forcément. La Reine ne pèse pas véritablement sur le climat politique et social. Pendant son règne, il y a eu des grèves, il y a eu le Thatchérisme, le Blairisme, l’Irak, un antagonisme avec le Brexit qui ne s’était jamais vu, des divisions sociales et de générations sont apparues... Elizabeth II a surfé sur ces difficultés et ces crises. Elle n’a en rien influencé cela. La seule chose qu’on lui prête, c’est qu’Elizabeth II est partisane du consensus plutôt que des divisions.

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Lors du Brexit, la Reine a dit par exemple qu’il serait peut être bon que l’on écoute le point de vue de l’autre, du camp adverse. Et lors de la pandémie, on s’est rendu compte qu’elle avait un pouvoir moral quand elle s’est voulue rassembleuse en disant « We will win », « on va gagner ». Face à la pandémie de Covid-19, les Britanniques se sont sentis réconfortés par ses paroles et son discours qui a touché au cœur ses sujets. Jamais un homme politique ne serait parvenu à cela.

Il ne faut pas oublier qu’Elizabeth II a une personnalité qui convient bien à la fonction. Elle a une personnalité qui n’est pas tranchée, assez passive, non-interventionniste par caractère, et détestant les conflits.

La Vème République et la France en particulier est basée sur les multiples conflits que doit arbitrer le chef de l’Etat qui est un politique. Elizabeth II n’a pas ce problème.  

L’exemplarité et le rôle d’Elizabeth II envers les sujets, le fait qu’elle ait résisté, tel un roc, à de nombreuses  tempêtes et drames tout au long de son règne (dont la récente disparition du Prince Philip) seraient-elles des conditions plus enviables que la situation actuelle en France où les personnalités politiques suscitent de la défiance et du rejet ?

Au Royaume-Uni, cette défiance s’est concentrée sur le Premier ministre, Boris Johnson, ou d’autres personnalités politiques comme Tony Blair et Margaret Thatcher. Il y a eu des figures politiques britanniques qui suscitaient à la fois haine et admiration.

Mais là où Elizabeth II est exemplaire, c’est qu’elle est considérée comme un point fixe dans la tourmente. Les Britanniques aujourd’hui n’ont connu qu’elle. Très peu ont connu le règne de son père. Pour eux, elle a une présence rassurante qu’aucun politique n’a.

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Les politiques sont les mêmes des deux côtés de la Manche, des personnalités qui divisent, qui poursuivent un programme clivant. Ce n’est pas le cas pour Elizabeth II. La Reine est un point fixe. Elle est au zénith de sa popularité.   

Avec Elizabeth II, le Parlement français pourrait-il regagner ses lettres de noblesse, un vrai pouvoir décisionnaire, plutôt que la situation actuelle dans l’Hexagone où beaucoup d’observateurs politiques déplorent le fait que l’Assemblée nationale ne soit qu’une chambre d’enregistrement de la politique du chef de l’Etat alors que le Parlement britannique semble plus animé et plus vivant ?

Le système britannique est une monarchie parlementaire. Le Parlement est le centre de la vie politique et joue un rôle essentiel. Tous les projets du gouvernement doivent être d’abord annoncés au Parlement avant d’être débattus pour devenir une loi et avant d’être expliqués dans la presse. Le Parlement britannique a pu parfois être une chambre un peu godillot à cause des majorités claires. C’est le système uninominal à un tour qui le demande. Si on voit Boris Johnson par exemple, il a une révolte parlementaire sur les bras mais il a quand même une majorité de 80, une des plus grandes majorités depuis Thatcher.

La Reine, elle, joue un rôle de symbole du Parlement puisqu’il y a le discours du trône et l’ouverture du Parlement. Sa présence à cet instant, lisant le programme du gouvernement, a un effet plutôt favorable sur l’importance du Parlement. Ce discours est retransmis à la télévision. Il s’agit d’un grand moment de la vie du pays. On voit arriver Elizabeth II en carrosse avec la couronne et l’hermine et la traîne tirée par des pages. C’est très impressionnant. Cela montre la primauté du Parlement et participe de cet exercice.     

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Quelles leçons retenez-vous et quel regard portez-vous sur les 70 ans de règne d’Elizabeth II pour la monarchie britannique ?

Le bilan d’Elizabeth II est globalement positif. La Grande-Bretagne a profondément changé. Elle a réussi à cimenter à la fois l’unité nationale à un moment où il y a des forces centrifuges en Ecosse et au Pays de Galles. Elle a aussi réussi le « soft power », le pouvoir d’influence à l’international via le Common Wealth qu’elle a vraiment construit, entretenu et soutenu pour le « Global Britain » cher à Boris Johnson.  

Elizabeth II symbolise le pays à l’étranger et les ors de la royauté, les fastes, le glamour, la magie. Il n’y a que cette monarchie, la monarchie britannique, qui projette cette image. Si vous regardez les monarchies scandinaves, belges ou néerlandaises, vous vous rendez compte que la monarchie britannique, c’est autre chose. Cela tient beaucoup à Elizabeth II.

Au cours de son règne, elle s’est aussi appuyée sur des piliers qui, grâce à elle, ont à la fois survécu et prospéré. Il s’agit de l’armée, de l’aristocratie, de la religion anglicane et, ce qu’on oublie toujours en France, le cadre associatif. Les associations sont toujours parrainées par des membres de la famille royale au Royaume-Uni. Cela génère beaucoup de soutiens envers la monarchie au sein de ces associations.

Sur le côté négatif, Elizabeth II est tout de même associée à l’Angleterre d’avant, protestante, impériale et aristocratique. Elle est plus populaire auprès des vieilles générations que des jeunes. Elle a un déficit de popularité dans les minorités ethniques. Le Prince Charles et le Prince William sont des ardents défenseurs de la diversité, de la lutte contre le racisme et vont sans doute compenser ce déficit.  

Marc Roche est chroniqueur royal au "Point", basé à Londres, auteur de "Elle ne voulait pas être reine!" publié en 2020 chez Albin Michel.

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