La France sans repères : et sinon, sur tous ceux qui ne sombrent pas dans le djihadisme, quelles conséquences ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Tous les jeunes qui ne se retrouvent pas dans les valeurs de notre société ne tombent pas dans le djihad.
Tous les jeunes qui ne se retrouvent pas dans les valeurs de notre société ne tombent pas dans le djihad.
©Reuters

Bouées de détresse

Un rapport de Malek Boutih publié vendredi 3 juillet fait état du rejet des valeurs occidentales "molles" au profit d'une "solution globale" que représente le djihad. Pourtant, tous les jeunes ne tombent pas dans des logiques aussi radicalement en rejet de la société.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Que ce soit dans les banlieues ou parmi les classes moyennes, en quoi croient ceux qui ne trouvent pas leur stabilité dans le djihad ?

Pierre Duriot : La question comprend plusieurs paramètres, éducatifs et sociétaux mais également des paramètres psychiques bien connus. Des commentateurs avisés commencent à mentionner la religion islamique comme prétexte bien pratique pour verser dans la libre expression de ses pulsions, violentes, de domination ou de mort, ce qui pour les intéressés, relève d'une forme d'illusion. On l'a vu avec les retours en France d'apprentis djihadistes confrontés là-bas à des régimes disciplinaires qu'ils n'avaient pas vraiment envisagés.

Plus individuellement, le besoin primaire de l'homme, couplé à celui de l'animal qui est en lui, est celui de la sécurité, donc de cadres clairs. Ces cadres sont normalement amenés par les parents et l'institution, l'école entre autres, sensés former les enfants jeunes et les adolescents à un ensemble de conduites verbales, sociales, comportementales et leur donner une instruction, devant leur permettre d'évoluer dans la société qu'on leur propose. Ou, éventuellement, leur donner les moyens de la faire évoluer. Et le moins que l'on puisse dire est que ces cadres ne sont pas clairs pour tout le monde, à divers degrés bien sûr.

Pour différentes raisons, tenant aux modes éducatives, pour le commun, à la réticence à faire autorité pour ne pas "stigmatiser", ou par peur du racisme, pour d'autres, les cadres attendus ne sont pas là. En réalité, donner des cadres est facilement taxé de "réactionnaire", alors au fil du temps, il a été permis, plus ou moins, à beaucoup de jeunes gens, de fonctionner sans, par une permissivité sans borne, un appel général à la compréhension infinie, ou une mansuétude ahurissante devant des personnes, au prétexte qu'elles sont issues de la "diversité". A divers degrés, l'absence de cadres éducatifs et comportementaux créé un vide dans lequel s'engouffrent d'autres cadres, inattendus ceux là, chez un sujet amené à fonctionner en groupe social. Les cadres de l'islam, simples, clairs, s'imposent alors, comblent le vide. Pour d'autres, ce sera l'armée, le sport, le militantisme, tout ce qui est régi par des cadres immédiatement perceptibles qui vont venir remplacer les repères absents mais attendus. Pour d'autres ce sera la négation pure et simple des cadres proposés : la délinquance et la détestation ouverte de la société.

Comment expliquer d'un point de vue psychologique qu'un jeune ne retrouve plus dans les valeurs démocratiques un cadre satisfaisant ?

Ce ne sont pas à l'origine les valeurs démocratiques qui structurent l'être social en devenir chez le jeune enfant. Par contre, ce sont les cadres donnés dans la prime enfance qui vont permettre d'adopter les valeurs démocratiques à l'âge adulte. La démocratie ne marche que dans les pays où la religion est au second plan, à fort taux d'alphabétisation et avec un bon niveau général de culture. Elle est un système qui donne sa meilleure mesure dans une société riche et éduquée. On voit à cet effet ce que donne son imposition sauvage dans des pays à faible taux d'alphabétisation et de culture, ou avec une trop forte prégnance de la religion. Cela ne marche pas, est dévoyé par des dictateurs ou des groupes dominants. Or les codes de comportement et de communication ne sont plus suffisamment donnés, ni les errements suffisamment sanctionnés chez l'enfant jeune. Pour l'enfant "local", ces cadres ont été vécus comme brimant, voire même traumatisants. Pour l'enfant issu de l'immigration, celui qui nous intéresse plus particulièrement dans le cas du rapport Boutih, nous nous sommes empêtrés dans une réticence à appliquer la loi, aux prétextes bien connus de dette, de repentance, de culpabilité, de racisme... Au final, d'autres codes se sont imposés, consuméristes, communautaires, télévisuels, de classe sociale, débouchant non plus une société compacte et cohérente mais sur une émergence de particularismes, de communautarismes, de droits, revendiqués avec force et placés avant le sentiment d'appartenance à la nation. Le fonctionnement individualiste et pulsionnel, émancipé des règles, trop largement permis dans l'enfance, se traduit par la recherche des cadres et repères manquants, ou sur la tentative de continuer à s'émanciper des règles sociales.

Pour ce qui est des valeurs démocratiques, elles sont foulées au pied ou dévoyée en permanence par ceux qui sont sensés les incarner et mises en scène par la sphère médiatique, à la manière d'un spectacle. Autant dire que la "valeur" a du plomb dans l'aile. Là encore, le vide est comblé par les cadres religieux, perçus comme plus clairs et plus stricts. N'oublions pas notre propre passé, au cours duquel la religion chrétienne avait assis son pouvoir sur une population majoritairement analphabète et inculte. Il a bien fallu un accès massif au savoir et à la culture pour faire taire le pouvoir de l'église. La religion avance quand la culture, l'instruction et l'éducation reculent. D'autres facteurs, économiques, sont également à l’œuvre, évidemment.

A quand peut-on faire remonter ce processus ?

Il n'y a pas de date claire. Très tôt, chez les ouvriers de Renault, par exemple, dans les années soixante, on a permis la prise en compte de la religion, du ramadan, marqué les fêtes religieuses de l'islam. Le coup d'accélérateur, à mon sens, est advenu dans la naissance du "pote", en 1984, avec SOS-Racisme. "Touche pas à mon pote", un message à plusieurs entrées, dont certains se sont saisis dans sa forme la plus ambiguë : "Il ne faut pas me toucher, donc je suis exempté de la loi". Là n'était sans doute pas le message original voulu, mais c'est l'une des manières dont il pouvait pourtant être perçu. Et l'école s'est adaptée, a tenu compte de la différence, l'a magnifiée même, l'a désignée comme une richesse non contestable, par définition, a effacé même parfois la culture française devant la culture exogène, toujours en proie à la peur du "racisme".

Cette même école, du "nos ancêtres les gaulois", n'est parfois même plus reconnue comme légitime pour dispenser des valeurs qui ne correspondent pas à celle de l'islam : les incidents dans ce sens sont hélas devenus très nombreux. En réalité, le statut de pote n'existe pas, n'aurait pas dû exister. Il n'y a que deux statuts possible, celui de citoyen avec droits et devoirs, qui reste et s'intègre, ou celui de touriste temporaire qui repart. Le statut de "pote", a été un genre de République à la carte, quasiment une autorisation de fonctionner avec sa culture ou une partie de sa culture d'origine, qui fait que le français d'origine algérienne se sent souvent plus algérien que français.

La déferlante de drapeaux algériens fêtant l'accession au pouvoir de François Hollande sur les Champs-Elysées sonne comme une vraie faille dans la perception de l'unité nationale. Avant eux, un certain match France/Algérie fut un indicateur de quelque chose de l'ordre du ratage. Ce "Pote" fut en fait une machine à exclure, un sauf-conduit pour l'instauration d'un état dans l'état. L'école a failli sur la transmission des valeurs et la société civile a permis le communautarisme par bonté d'âme et culpabilité. Si ce n'est par idéologie... Un indicateur important ne trompe pas. Dès la seconde génération, les enfants des précédents immigrés portugais, espagnols, italiens, polonais se sont appelés Philippe, Alexandre, Catherine et Sylvie, de gré ou de force de loi. Ceux des enfants d'immigrés d'Afrique du Nord, à la troisième génération, s'appellent toujours Mohammed et Rachida, parce qu'également l'état civil l'a permis en modifiant la loi qui voulait que l'on appelât son enfant avec les prénoms du calendrier ou de l'histoire de France. A trop vouloir reconnaître la culture de l'autre, on en a perdu toutes les cultures, la leur et la nôtre et beaucoup cherchent des points d'accroche, l'islam en est un.

Dans beaucoup de cas, on est passé à côté de l'intégration, au profit de la construction d'un communautarisme exprimé et revendiqué, devant lequel on est sommé de faire preuve de tolérance, sinon, c'est du racisme : l'illusion de l'intégration. A ce titre, l'intéressé Malek Boutih et Jean-Philippe Désir ont été les artisans de l'affirmation permise de cette spécificité culturelle dans la société française. Ils ne sont pas les seuls coupables, bien sûr. Encore une fois, l'économie, l'aménagement du territoire, la faiblesse des dirigeants, l'idéologie, ont leur part de responsabilité. Mais la machine est infernale, s'alimente toute seule et cette affirmation permise de la religion islamique raidit tout une société qui a gagné de haute lutte son émancipation de près de deux millénaires de christianisme. Nous atteignons les limites de la société multiculturelle, de la tolérance et du "vivre ensemble", érigés en dogmes dans les années 80. Ca ne marche pas, il faut juste s'en rendre compte avant d'envisager autre chose.

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