La France qui s’appauvrit : les 2 000 euros annuels par habitant que les politiques publiques nous ont coûté ces 5 dernières années <!-- --> | Atlantico.fr
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Sur les cinq dernières années, la hausse du pouvoir d'achat des Français est de 0,6 % en moyenne par an.
Sur les cinq dernières années, la hausse du pouvoir d'achat des Français est de 0,6 % en moyenne par an.
©Reuters

Des trous dans le portefeuille

Plus taxés, moins aidés, les Français subissent aujourd'hui les difficiles conséquences des choix politiques de ces dernières années. Un appauvrissement qui est pour beaucoup lié à la crise, mais qui est d'autant plus préoccupant qu'il n'a probablement pas permis de rééquilibrer les comptes publics du pays.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Davantages taxés, moins aidés par la protection sociale et effrayés par le "déclassement" le contribuable est logiquement ressorti plus pauvre à la suite de cinq années d'assainissement des comptes publics pour amortir les effets de la crise. Le plus préoccupant est surtout de voir que les défauts structurels de l'économie de l'Hexagone n'ont en rien été réglés depuis...

Où en était-on en 2009 ?

Philippe Crevel : Sur les cinq dernières années, la hausse du pouvoir d'achat des Français est de 0,6 % en moyenne par an. La crise de 2008 et de 2009 a été faiblement supportée par les ménages, le système de protection sociale a compensé son impact qui a été essentiellement ressenti par les entreprises. Ce n’est que l’augmentation des impôts qui à compter de 2011 jumelée avec la progression du chômage a entamé les revenus des Français.

Le patrimoine des ménages a augmenté de 4,3 % en 2011. Le patrimoine non financier a progressé de 6 % en 2011 grâce à la bonne tenue de l’immobilier. En contrepartie, les crédits bancaires ne progressent que de 2,1 %

Question PIB, le quinquennat de Nicolas Sarkozy aura été marqué par la grande récession qui s’est traduite par un recul du PIB en 2008 et en 2009, respectivement de 0,1 et de 3,1%. La France a alors connu sa plus grave contraction de PIB depuis la seconde guerre mondiale. En 2010 et 2011, une reprise en relation avec les plans de relance engagés par le G 20 a permis une appréciation du PIB de respectivement 1,7 et 2 %. Cette phase de reprise a été stoppée nette par la crise des dettes publiques qui s’est amorcée durant l’été 2011.

Le PIB par habitant a reculé en 2008 et surtout en 2009 avec une contraction de 3,7 %. Il a progressé de 1,1 % en 2010 comme en 2011.

>>> A lire également sur Atlantico : Ce que la crise a vraiment coûté et à qui

Où en est-on aujourd'hui ?

Philippe Crevel : Depuis l’élection de François Hollande, le PIB a connu une croissance nulle en 2012 et une toute petite augmentation de 0,3 % en 2013. Pour 2014, elle devrait se situer entre 0,6 et 0,9 %. Par ailleurs, la Commission de Bruxelles vient de réviser à la baisse la projection pour 2015 en retenant un taux de 1,5 %. La France, plus cinq ans après la crise de 2008 / 2009 n’en a pas effacé les stigmates à la différence de l’Allemagne.

"Le gagner plus" n’a pas été de mise durant les deux premières années du quinquennat de François Hollande. En 2012, le revenu disponible brut des Français a reculé de plus de 1,5 point soit le taux le plus élevé depuis 1981. Le pouvoir d’achat a été en recul de 0,9 point. En 2013, les Français ont bénéficié du recul de l’inflation qui ne s’est élevée qu’à 0,7 % permettant d’améliorer le pouvoir d’achat de 0,5 %. La baisse des prix de l’énergie et la météo clémente ont contrebalancé la valse des impôts et taxes en tout genre.

En supprimant l’exonération fiscale des heures supplémentaires et en augmentant sensiblement l’impôt sur le revenu, François Hollande a tout à la fois pénalisé les classes les plus modestes et les classes moyennes. Le gel du barème de l’impôt sur le revenu, la réduction du quotient familial, la suppression du prélèvement libératoire pour de nombreux revenus financiers, le blocage de l’indice des fonctionnaires, la désindexation des retraites contribuent à cette diminution du pouvoir d’achat.

Le patrimoine a, en revanche, augmenté de 1,6 % en 2012 en atteignant pour les ménages 10 544 milliards d’euros. Cette hausse s’explique par la bonne tenue de la bourse. Le patrimoine des ménages correspond à huit fois le revenu disponible brut. 73 % de ce patrimoine est composé d’actifs non financiers essentiellement immobiliers. Si le patrimoine non financier a reculé de 0,3 % en 2012, en revanche, les actifs financiers des ménages ont augmenté de plus de 5 % en 2012.

Malgré les déclarations de la Ministre du logement et de la tentative d’encadrement des loyers, ces derniers progressent plus vite depuis 2012 que durant les années précédentes. Si l’indice des prix est plus faible en moyenne qu’au cours du quinquennat précédent, cela est surtout à la baisse des prix de l’énergie.

>>> A lire également sur Atlantico : PIB, dette, revenu : ce que nous a vraiment coûté la grande crise de 2008 en 9 graphiques

L'impact concret des choix des gouvernements Ayrault et Valls sur les Français

Philippe Crevel : Depuis 2011, les Français sont confrontés à une succession de plans fiscaux. Le taux des prélèvements obligatoires a battu record sur record. Il s’élève désormais à plus de 46 % du PIB contre 43,9 % en 2010. La France est en deuxième position derrière le Danemark au sein de l’Union européenne. Ainsi, en 2012, les prélèvements ont augmenté de 22 milliards d'euros ; les ménages ont supporté un accroissement de 17 milliards d’euros. En 2013 et 2014, le processus s’est poursuivi voire amplifié. En trois ans, tous les impôts ou presque ont été augmenté, ISF, impôt sur le revenu, TVA, taxation des plus-values, cotisations sociales, création de contributions exceptionnelles… A échappé à la hausse pour le moment la CSG mais qui pourrait être en tête de gondole dans le cadre du jeu de bonneteau des allègements de charges.

De nombreuses mesures ont touché les ménages et en particulier les classes moyennes : réduction du plafond du quotient familial, gel du barème de l’impôt sur le revenu engagé sous Nicolas Sarkozy et appliqué jusqu’en 2013, réduction des niches fiscales, fiscalisation des heures supplémentaires, assujettissement à l’impôt sur le revenu de la participation patronale au financement de la complémentaire santé, assujettissement au barème de l’impôt sur le revenu d’une grande partie des produits financiers et des plus-values. Une création de 45 % a été créée pour l’impôt sur le revenu qui se surajoute à la majoration décidée par Nicolas Sarkozy. La taxation à 75 % après de nombreuses vicissitudes a été instituée. Elle est payée non pas par le bénéficiaire des revenus mais par l’entreprise. Pour un gain assez faible, elle a contribué à marquer la France au fer rouge pour les investisseurs internationaux. Il faut également mentionner la contribution de 0,3 % applicable aux retraités ainsi que l’augmentation des cotisations retraite en 2012 pour financer le retour partiel à 60 ans de l’âge légal et celle prévue dans la loi sur les retraites de 2014. Il ne faut pas oublier que l’année prochaine, les entreprises devront acquitter une cotisation supplémentaire pour financer les comptes de pénibilité. Toujours question retraite, les majorations de 10 % pour les retraités ayant eu plus de 3 enfants sont désormais fiscalisées.

Dans cette longue série, loin d’être exhaustive, il ne faut pas oublier les majorations applicables à l’ISF qui ont effacé les mesures d’allégement prises sous Sarkozy et les augmentations de TVA intervenues au 1er janvier 2014. A ce titre, il est à signaler que dès sa nomination, François Hollande avait abrogé les augmentations de taux de TVA décidées par Nicolas Sarkozy.

Depuis 2011, les impôts ont augmenté d’une quarantaine de milliards d’euros, c’est un train fiscal sans précédent qui faute de stabilisation des dépenses pourrait encore durer malgré les déclarations répétées du pouvoir en place.

Ce qui n'a pas été fait

Jacques Bichot : Une réforme structurelle des retraites (au minimum l'unification des trois douzaines de régimes par répartition, complémentaires comme "de base", et le passage à un décompte des droits à pension sous forme de points) est nécessaire, mais on comprend que Hollande ne s'y soit pas risqué : ses prédécesseurs s'étaient eux aussi bornés à parler abusivement de "réforme structurelle" pour des ajustements paramétriques réalisés dans le cadre existant, parce qu'il s'agit d'un travail de grande ampleur, qui requiert une préparation conséquente, et qui peut provoquer des mouvements sociaux de la part des bénéficiaires de régimes spéciaux. Ce traditionalisme nous coûte cher : 3 milliards en frais de gestion annuels inutiles, et surtout impossibilité de gérer le système de façon efficace. Par exemple, maintenir l'indexation des retraites pour les "petits" pensionnés, ce que le gouvernement s'est résolu à faire, est un vrai casse-tête lorsque les français touchent majoritairement plus de 2 pensions chacun (2,7 en moyenne).

D'autres réformes structurelles seraient plus faciles à réaliser. Par exemple la mise en place d'un SMIC local, moins élevé dans les zones où le coût de la vie est faible que dans celles où il est élevé, permettrait à des entreprises de main-d'œuvre de se "délocaliser" dans le Massif Central plutôt qu'au Maroc. Ou encore l'élagage des différents codes (du travail, des impôts, du commerce, de procédure pénale, etc.). Cette entreprise de simplification et de libération des énergies aboutirait à terme à une sorte de révolution dans les manières de faire et dans les mentalités, très favorable à l'accroissement de la compétitivité de l'entreprise France, mais cela se ferait progressivement, à la différence de la réforme des retraites, qui exige un "big-bang". Une vraie réforme de l'enseignement primaire et secondaire, par exemple un passage au "bon scolaire" (les établissements seraient rémunérés par l'État au prorata du nombre de leurs élèves, et libres de leur gestion) pourrait sans doute également se réaliser par étapes. Le remplacement du recrutement de fonctionnaires par celui de salariés de droit commun serait à la fois une vraie révolution dans le principe, et un processus de longue haleine. Les appels d'offre sont des procédures d'une lourdeur épouvantable qui ne se justifient que dans un nombre limité de situations ; en avoir fait la règle générale engendre des surcoûts dont la Cour des comptes devrait bien faire l'évaluation ; alléger les procédures d'achat par les administrations ferait gagner beaucoup de temps (aux administrations et aux entreprises qui les fournissent) et d'argent : une réforme en la matière devrait pouvoir s'effectuer assez rapidement, en la coordonnant avec une responsabilisation accrue des fonctionnaires d'autorité. À ce propos, et nous terminerons par là, il ne serait pas mauvais que les responsables de certains désastres informatiques observés dans la sphère publique, comme le logiciel Louvois pour nos forces armées, soient désignés et sanctionnés : l'incompétence est une des causes du mauvais état de nos finances publiques, et aussi de nos services publics ; elle doit cesser de pouvoir s'exercer en toute impunité.

Quant aux raisons pour lesquelles ni le Président de la République actuel ni ses deux gouvernements successifs n'ont engagé les réformes nécessaires, le manque de compétence en fait certainement partie. Bien des observateurs de la vie politique l'ont dit : les qualités nécessaires pour arriver au pouvoir ne sont pas celles qui sont utiles pour l'exercer efficacement dans l'intérêt de la nation. Sans doute serait-il bon dans un régime présidentiel que le gouvernement soit formé principalement de personnes choisies en fonction de leurs compétences professionnelles, des personnes qui n'auraient pas eu à se présenter aux élections. Le choix pour Bercy d'un F. Mer ou d'une C. Lagarde, deux personnalités de la société civile, était intéressant. Un gouvernement composé pour une part importante de "grands commis" chargés de bien gérer la France, de faire travailler leurs services, et n'ayant pas la volonté de donner à tout prix leur nom à une loi, serait une saine innovation. Nous gagnerions probablement à ce que Premier Ministre lui-même ne soit pas en position de briguer la présidence : pour gouverner sérieusement, mieux vaut n'avoir pas à se soucier de sa prochaine élection.

Philippe Crevel : François Hollande pare au plus pressé. Il colmate les fuites plus qu’il ne les répare. Il n’a pas entrepris de réformes dites structurelles car il tente de trouver quelques milliards pour amadouer l’Europe qui rappelle, la France, à juste titre, à ses devoirs. Depuis quarante, quand la France, par bonheur, capte le vent de la croissance mondiale, diffère les réformes et préfère distribuer les cagnottes fiscales virtuelles ; en période de crise, les réformes sont enterrées faute de consensus et au nom du réalisme politique. Les gains d’une réforme structurelle apparaissent sur plusieurs années or tout gouvernement vit dans l’urgence. C’est bien connu, la courbe du chômage va s’inverser d’ici Noël ou la croissance est de retour d’ici la fin de l’année. Le temps politique est court quand celui de la réforme exige du temps. C’est ainsi que la véritable réforme des retraites est reportée, que celle de l’assurance-maladie est à peine suggérée. En ce qui concerne la simplification de la carte territoriale, il faudra attendre de voir concrètement la réforme Valls pour savoir si elle va au-delà de celle imaginée il y a cinq ans par Sarkozy. Dans le passé, la France a réussi à restructurer son armée avec la fermeture de nombreuses bases ; elle a réussi également à  revoir sa carte judiciaire. Mais, à l’exception de ces deux réformes, le bilan est assez maigre ; les économies budgétaires étant avant tout des réductions de progressions de dépenses. Il peut même arriver que la réforme soit à l’origine de surcoûts comme celle des régimes spéciaux.

François Hollande, depuis deux ans, opte de facto pour une politique d’appauvrissement qui se matérialise par des hausses d’impôt, par une augmentation du chômage, par des salaires qui se contractent pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. Tout en récusant le terme, il impose à la France une déflation du niveau de vie. Les Anglais et les Allemands ont joué sur l’offre, en France, la variable d’ajustement demeure la demande à la hausse ou à la baisse, la meilleure preuve est l’atonie de la consommation qui reste en-dessous de son niveau de 2008.

Pourquoi ça nous coûte cher

Jacques Bichot : Le choix de "réformes" qui sont des changements inutiles, et donc perturbateurs, au lieu de réformes utiles, qu'elles soient structurelles ou de détail, coûte cher, à la fois financièrement et humainement. La diminution des aides à l'apprentissage, par exemple, va priver des dizaines de milliers de jeunes d'une voie d'entrée efficace dans le monde du travail : c'est un gâchis humain, et aussi une mauvaise opération pour les finances publiques, car les emplois qui ne seront pas créés, ou pas pourvus, constituent un manque à gagner conséquent pour la sécurité sociale et pour l'Etat, sans compter l'accroissement qui en résultera pour des programmes d'aide bien plus coûteux que l'apprentissage (emplois jeunes et RSA, notamment).

Comme il a été dit, certaines réformes entraîneraient des gains de productivité considérables : l'unification des régimes de retraite diviserait par plus de 2 le coût de gestion par cotisant et par retraité, donc à peu près 3 milliards d'économies. De même, la liberté donnée aux organismes d'assurance santé complémentaire de gérer aussi l'assurance maladie de la sécu, et aux Caisses primaires d'assurance maladie de gérer des complémentaires santé, permettrait d'alléger sensiblement les frais de gestion de la couverture santé : chacun comprend que réaliser une seule opération de remboursement au lieu de deux coûte moins cher. Une amélioration du fonctionnement des tribunaux de commerce qui déboucherait sur un règlement plus rapide des contentieux et des dépôts de bilan éviterait des fermetures d'entreprises et de longues incertitudes très coûteuses. Des hôpitaux mieux responsabilisés au niveau de leur gestion feraient faire des économies à l'assurance maladie – mais les gouvernements, de droite comme de gauche, tiennent à cette espèce de Gosplan déresponsabilisant que constituent les lois de financement de la sécurité sociale, l'ONDAM (objectif national de dépenses d'assurance maladie) et les ARS (Agences régionales de santé). Une meilleure gestion des demandeurs d'asile (qui demanderait de brusquer un peu Bruxelles pour se débarrasser de certaines dispositions européennes qui conduisent hélas à maintenir ces pauvres gens dans des situations invivables) éviterait des gâchis considérables, financiers et surtout humains. Le renoncement à certaines normes abusives et l'arrêt de la raréfaction des terrains à bâtir permettrait une reprise du bâtiment. Et la liste pourrait s'allonger : ce ne sont pas les occasions de faire des gains de productivité, de créer de l'activité et d'améliorer les finances publiques qui font défaut, ce sont les gouvernants capables de les saisir.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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