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Emmanuel Macron s'exprime au Parlement européen pour présenter le programme de la présidence française de l'UE, à Strasbourg, le 19 janvier 2022.
Emmanuel Macron s'exprime au Parlement européen pour présenter le programme de la présidence française de l'UE, à Strasbourg, le 19 janvier 2022.
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

PFUE

Petit tour des capitales européennes sur les réactions au discours prononcé par Emmanuel Macron au Parlement de Strasbourg ainsi que sur la place de la France au sein de l’Union.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Dimitri Oudin

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin est Membre du Bureau National du Mouvement Européen France, Président du Mouvement Européen Marne.
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Atlantico : Emmanuel Macron a prononcé un discours au parlement européen à Strasbourg. Qu’en avez-vous pensé ? Comment va-t-il être reçu dans les différents pays de l’Union ?

Christophe Bouillaud : Macron a fait un discours dans son style habituel. Il n’y a rien de très neuf à en dire. Il ne s’est pas éloigné en effet de sa ligne politique habituelle. Il n’a pas prononcé un discours de rupture avec ce qu’il avait pu dire ou faire auparavant depuis qu’il est Président de la République française. Pour ce qui est de la réception de ce discours dans les différents pays de l’Union, je doute donc que cela soit considéré comme un événement majeur digne d’être porté à l’attention de tous les habitants de l’Union européenne.

En effet, au total, Macron n’a fait que répéter avec son style ampoulé habituel des choses déjà bien connues, comme sa volonté, bien française par ailleurs, de bâtir une Europe-puissance. Il a aussi redit la nécessité d’un dialogue tout en fermeté avec la Russie. Sa proposition d’inclure le droit à l’avortement et la protection de l’environnement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union semble surtout servir à bien marquer l’identité centriste de sa Présidence. L’idée d’un nouvel élargissement aux Balkans occidentaux n’est pas non plus complètement nouvelle, il en profite pour relancer l’idée d’une révision des règles de fonctionnement de l’Union pour accueillir de nouveaux membres. Le nième nouveau partenariat avec les pays africains qu’il entend relancer ferait presque sourire tant ce genre de propositions parait un poncif éternel de l’européisme. On pourrait remonter aux années 1950, voire aux années 1920.

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Surtout, tout son discours est imprégné d’une vision totalement classique de ce qu’est, selon lui, l’Union européenne : la démocratie, le progrès, la paix.  Or peut-on encore parler de progrès en 2021, avec le réchauffement climatique et la sixième extinction de masse, qui représentent la forme paroxystique des « dégâts du progrès » ? Un progrès vers la mort de l’humanité et du vivant est-il encore un progrès ? Vous avez quatre heures. Que veut encore dire le terme de démocratie, quand les formes de gouvernement démocratique semblent des promesses fallacieuses à énormément de nos concitoyens, de l’ouest à l’est du continent ? Et la paix, même nos militaires ont acté récemment que cela n’existe plus vraiment.

Dimitri Oudin : Le discours d’Emmanuel Macron a été aujourd’hui celui d’un Européen clairement assumé, fin dans son analyse des enjeux européens et internationaux. Il s’inscrit dans la droite lignée de ses grandes interventions précédentes sur l’Europe, au premier rang desquels son discours de la Sorbonne de 2017.

Devant le Parlement Européen, il y a défendu le principe d’une Europe démocratique, progressiste et plus sûre pour ses citoyens. Comme souvent sur les questions européennes, Emmanuel Macron se place d’abord au niveau des Idées, même s’il les a traduites par un certain nombre de propositions concrètes.

Ce triptyque 1) démocratie (libérale), 2) progressisme et 3) paix/sécurité n’est bien sûr pas anodin. C’est certes un message envoyé à une partie de son opposition au niveau national, mais aussi et surtout à nos partenaires européens, dans un contexte de cristallisation des opinions européennes autour de l’Europe.

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Lorsqu’il défend une Europe plus démocratique, et soutient le principe de l’initiative législative par le Parlement Européen, il envoie un signal très positif auprès du nouveau gouvernement allemand de coalition, qui s’affirme profondément pro-européen, voire fédéraliste.

Lorsqu’il demande, au nom de l’Europe du Progrès, d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, il s’adresse implicitement, non seulement à la toute nouvelle Présidente maltaise du Parlement Européen, qui s’oppose à l’IVG encore interdite dans son pays, mais aussi au gouvernement polonais qui tend à remettre ce droit en cause.

Au fond, la réception du discours d’Emmanuel Macron dans les pays d’Europe va être à l’image des différentes opinions publiques européennes vis-à-vis du projet européen et de tout ce qu’il implique.

Quel regard a-t-on à travers l’Europe sur le bilan européen du président Français ? Le discours d’aujourd’hui va-t-il conforter les 26 dans leur appréciation de l'action d'Emmanuel Macron ?

Christophe Bouillaud : Probablement, le jugement est sans doute mitigé. Ce jeune Président a finalement défendu les positions classiques de la France en matière européenne. La France de Macron, comme tous les autres pays européens, a donc plaidé pour plus d’intégration quand cela servait ce que ses gouvernants en place considèrent comme ses intérêts.

Sur un plan plus personnel, il est probable que beaucoup le voient comme un « florentin ». Par exemple, au moment de la constitution de la nouvelle Commission européenne en 2019, il a négocié avec les autres dirigeants nationaux, en particulier avec Angela Merkel, pour torpiller le système dit des « Spitzenkandidaten »,  où le candidat présenté par le parti européen arrivé en tête en sièges devait obtenir automatiquement la Présidence de la Commission. En tuant la candidature officielle de Manfred Weber, membre du PPE premier parti en sièges en 2019, au profit de celle d’Ursula von der Leyen, certes elle aussi du PPE, il a montré qu’il n’était pas un vrai fédéraliste, mais un intergouvernementaliste français très classique au fond. De même, ses rodomontades de ce jour sur l’état de droit, visant sans doute les cas polonais et hongrois, auraient eu plus d’effet si le long épisode des Gilets jaunes et le respect tout relatif de la légalité par les élites macronistes – dont il ne resterait plus grand-chose si on leur appliquait des critères suédois ou finlandais de respectabilité en la matière – ne démentaient pas ces belles paroles.

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On pourrait dire la même chose en matière d’environnement. A part défendre le nucléaire français dans l’actuelle controverse sur la nomenclature européenne des investissements dits « verts », il ne semble pas qu’Emmanuel Macron soit aussi préoccupé d’environnement qu’il le prétend dans ses discours.

Pour ce qui est du discours de ce jour devant le Parlement, il est probable que la plupart des dirigeants européens apprécient au fond sa modération. Il n’a rien dit en effet qui soit destiné à le fâcher radicalement avec quelque autre dirigeant. Même ses déclarations sur l’état de droit sont tellement attendues qu’il faut vraiment que les dirigeants hongrois et polonais aient besoin de quelque nouvelle polémique pour que cela produire une crise.

Dimitri Oudin : Il y a un certain hiatus entre les bonnes intentions de principe que le Président Emmanuel Macron a posées au début de son mandat, et la réalité des réformes qui ont pu être réalisées à ce jour. A titre d’exemple, la taxe carbone européenne qu’il défendait lors de son discours de la Sorbonne de 2017 est intégrée dans le Pacte Vert pour l’Europe. Celui-ci a été présenté l’été dernier par la Commission Européenne avant son adoption espérée dans les prochains mois.

En revanche, ses proposition pour une plus grande intégration européenne en terme de politique migratoire sont, pour le moment, presque restées lettre morte. Tout simplement parce que les visions et les intérêts des différents gouvernements européens étaient trop divergents.

Il faut néanmoins reconnaître que la crise sanitaire est passée par là et a fait émerger de nouvelles priorités européennes, où la France a trouvé toute sa place. Le couple franco-allemand a ainsi grandement permis à rendre possible le Plan de Relance Européen.

Emmanuel Macron incarne très certainement un fort leadership idéel en Europe et il l’a assumé comme tel dans son discours d’hier. Le projet européen, c’est en premier lieu un substrat de valeurs qui, bien que contestées par certains gouvernements nationaux, sont globalement partagées en Europe. Tout l’enjeu de la Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne sera de concrétiser la défense de ces valeurs par la réalisation de mesures pragmatiques, et d’embarquer dans ces projets des gouvernements aux intérêts parfois divergents. 

Plus largement, quelle image à la France au sein de l’Union européenne ? Sommes-nous considérés comme un partenaire fiable ? Quelles sont nos qualités et défauts ?

Christophe Bouillaud : La question est trop vaste pour recevoir une réponse simple. Si on se limite simplement aux autorités politiques françaises, l’exécutif, probablement le plus gros défaut, c’est notre tendance durable à l’hypocrisie, à tenir un discours et à avoir une autre pratique. Cela ne date pas d’Emmanuel Macron, pensons à notre rapport avec les règles budgétaires européennes, mais cette image ne s’est sans doute pas améliorée.

Dimitri Oudin : Le projet européen est historiquement lié à la pacification des relations entre la France et l’Allemagne après la Seconde Guerre Mondiale. C’est ce qui a certes contribué à notre leadership, mais a amené les dirigeants français à trop souvent poser un regard franco-centré sur l’Europe.

Or ce regard est d’autant plus frappé d’obsolescence depuis les élargissements successifs de l’Union Européenne vers les pays d’Europe Centrale et Orientale.

Par exemple, dans son discours d’hier, Emmanuel Macron a défendu « un nouvel ordre de sécurité et de stabilité » prioritairement européen, puis partagé au sein de l’OTAN (c’est-à-dire les Etats-Unis), et seulement ensuite négocié avec la Russie. Le diagnostic posé est sûrement juste au vu des équilibres internationaux actuels. Mais cette position reflète une vision somme toute très française du Monde et de l’intérêt du projet européen. Il n’est pas certain qu’elle soit partagée par l’ensemble de nos partenaires, certains étant plus atlantistes, d’autres plus proches de la sphère d’influence russe.   

Lorsque la présidente du parlement européen fait un rappel à l’ordre pour préciser que ce n’est pas le lieu des débats nationaux, cela nuit-il à l’image de la France ?

Christophe Bouillaud : Très peu à mon avis. D’une part, pour les quelques rares européens qui auraient eu vent de l’incident, je crois bien que cela les confirmera simplement dans l’image selon laquelle les Français sont un peuple éminemment querelleur. Une vision à la Astérix en quelque sorte. A la limite, cela pourrait même donner à voir à nos compatriotes européens l’image d’une France ayant une riche vie démocratique.

Par contre, je ne suis pas sûr que le fait qu’Emmanuel Macron ait souhaité donner une conférence de presse sans questions de journalistes, provoquant la bronca de certains journalistes présents, ne soit pas la vraie faille de cette journée en matière d’image de la France. C’est d’ailleurs un choix étonnant de sa part.

D’autre part, je crois que la nouvelle présidente du Parlement européen s’est pour le coup trompé dans son rappel à l’ordre : les affaires nationales et les affaires européennes sont désormais intrinsèquement liées.  Je comprends bien qu’une personne qui a fait toute sa brillante et rapide carrière dans un univers européen qui se veut aussi technique et dépolitisé que possible soit choquée avec quelques autres de la même espèce par ces joutes oratoires destinées aux simples citoyens, mais cela lui et leur rappelle que, dans la vie politique de l’Europe, il y a aussi de simples électeurs à convaincre et pas seulement des lobbyistes à écouter et des enjeux à résoudre par une habile dépolitisation et dans des compromis de haute volée.

J’aurais plutôt pour ma part tendance à remercier les Jadot, Bardella, Aubry d’avoir fait le show.

Dimitri Oudin : Ces opposants nationaux ont donné une image déplorable et auto-centrée de la France. En se regardant le nombril, ils n’ont pas été à la hauteur des nombreux défis qui nous attendent en tant qu’européens. On pouvait malheureusement s’y attendre étant donné la concomitance entre cette Présidence du Conseil de l’Union Européenne et la campagne pour l’élection présidentielle française.   

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