La France, pays xénophobe ? Ce sondage qui montre à quel point les imprécations de la gauche morale ignorent la réalité de l’opinion des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Un citoyen présente sa carte électorale lors d'une séance photo pour l'AFP.
Un citoyen présente sa carte électorale lors d'une séance photo pour l'AFP.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Démocratie

D’après une enquête menée par l’Ifop pour MakemyCv, les Français sont de plus en plus sensibles à l’importance de la lutte contre le racisme. Comment expliquer le décalage entre les « luttes » anti-racistes et la réalité de l’opinion des Français, y compris chez les électeurs de la droite dite nationale ?

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Selon une étude de l’Ifop pour MakemyCv, les Français sont de plus en plus sensibles à l’importance de la lutte contre le racisme et aux diverses formes de discriminations subies par les minorités. Ce qui n’empêche pas nombre de discours de gauche de dénoncer à longueur de discours la xénophobie supposée de beaucoup de Français, voire de pans entiers de l’échiquier politique une fois passé le pôle central. Comment expliquer ce décalage entre les « luttes » anti racistes et la réalité de l’opinion des Français, y compris chez les électeurs de la droite dite nationale ?

Benjamin Morel : C’est une interprétation, mais elle me semble fautive. Il faut en effet différencier racisme et rejet de l’immigration. 53% de l’électorat Le Pen est favorable à une lutte vigoureuse contre le racisme. Certains Français peuvent rejeter les thèses racistes tout en considérant que l’immigration est un problème. La question de l’insécurité culturelle peut ainsi être posée en se fondant sur un rejet absolu de l’autre, mais aussi sur le mode d’une interrogation quant à la capacité de la société d’intégrer rapidement un grand nombre de nouveaux venus. Ensuite, les problématiques économiques et sociales sont prégnantes dans le sondage. Or l’une des raisons du rejet de l’immigration est la peur d’une concurrence accrue sur le marché du travail et du logement. Enfin, la thématique sécurité est évidemment prégnante. Si elle peut être liée dans une partie de l’électorat à l’immigration, elle n’induit pas forcément une approche essentialiste. La délinquance trouve sa source dans la misère sociale qui est bien souvent le lot des populations nouvellement arrivées sur un territoire. Ces différentes motivations du vote RN ou Reconquête n’induisent donc pas forcément une adhésion aux thèses racistes de ces électeurs, quand bien même l’immigration serait pour eux un sujet prioritaire. On le voit notamment dans le développement, maintenant déjà ancien, d’un vote RN d’une partie de Français issus de l’immigration.

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L’assise électorale de la droite nationale et de l’extrême-droite n’a jamais été aussi forte en France (32% des suffrages au mars 2022 contre 26% au premier tour en 2017 et 19% en 2002). Comment expliquer une telle montée en puissance ? Pouvons-nous expliquer ce phénomène par des événements survenus lors des précédents quinquennats ?

Comme souvent, il faut se garder à la fois d’une forme de francocentrisme et d’une approche monofacteur. Déjà, il n’est pas évident que l’on puisse s’entendre sur la définition de l’extrême droite. Si l’on parle en termes de positionnement politique, on aura raison. Ces partis sont bien à la droite de la droite. En termes d’idée en revanche, le RN actuel est plutôt un parti national-populiste comme on en trouve beaucoup en Europe. Son inspiration n’est même pas si différente de certains partis de la droite classique comme les Tories anglais ou, en moins libéral, l’OVP ou la CSU. La montée en puissance de ces mouvements est liée à une recherche d’identité dissoute dans la mondialisation. L’immigration est un facteur à propos, mais il n’est pas le seul. Lisez le dernier rapport de l’Académie française sur la force excluante du Franglais des communicants. Lorsqu’un publicitaire trouve intelligent de facturer à prix d’or un mauvais slogan en mauvais anglais pour faire « in », il donne le sentiment à une partie de la population d’être exclus d’un monde qu’elle ne comprend pas. Il y a évidemment des questions économiques et sociales qui se posent à cet électorat. La fragilisation économique donne un sentiment d’insécurité. La force du national-populisme est d’avoir compris que pour aller chercher les classes populaires il ne fallait pas vomir l’État, comme le fait une partie de la gauche, mais au contraire exiger son retour. C’est la ruse de l’Histoire qui voit aujourd’hui en la matière Johnson liquider l’héritage de Thatcher.

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Selon certains observateurs, la campagne électorale est marquée par une « banalisation » des thèmes identitaires, comme la notion du « grand remplacement ». On peut également noter la montée en puissance de l’idéologie woke, qui s’infiltre de plus en plus au sein de notre société. Pourtant, l’analyse du comportement des électeurs montre qu’ils voteront moins en fonction des thèmes chers à la « gauche progressiste » qu’en fonction de leurs besoins matériels et socio-économiques. Dès lors, comment expliquer cette montée en puissance du wokisme ?

Les partis de gauche sont des partis de militants. Jadis, ces militants étaient formés dans le parti et en comprenaient le logiciel. Aujourd’hui, les formations politiques n’ont majoritairement plus cette capacité. La base militante sur laquelle repose la gauche est majoritairement issue des CSP+. Elle s’est formée et a été formée dans ces théories. C’est également elles qui font phosphorées dans le milieu intellectuel qui sert de référence à cette même gauche et dans la presse dans laquelle elle se reconnaît. Cela crée un microcosme qui est le principal handicap de la gauche. Sur les sujets économiques et sociaux, les thèses de gauches sont majoritaires. L’Humanité en mai 2020 avait par exemple fait faire une enquête par l’IFOP qui montrait une opinion même très radicale sur les sujets économiques. Mais ces thèmes intéressent au fond assez peu le microcosme qui se passionne pour la lutte des intersectionnels. C’est une situation difficilement soluble. En effet, une demande politique peut exister, mais il faut qu’elle soit structurée par une offre ; c’est-à-dire par une élite intellectuelle et militante prête à proposer quelque chose à l’électorat. Le salut ne peut même pas venir des élus de terrain. Avec 20-30% de participation aux élections locales, ces derniers sont élus par les CSP+ et ont donc des raisons limitées de s’intéresser à l’électorat populaire. À défaut, cet électorat vote RN, ce parti étant aujourd’hui bien plus au diapason des classes populaires.

D’une manière générale, quels sont selon vous les éléments les plus notables de ce sondage ?

La lutte contre le racisme est consensuelle en France. Il y a un sujet dans l’électorat Zemmour, mais elle est majoritaire même dans l’électorat RN. Cela ne veut pas dire que ce combat est gagné, mais qu’il faut justement cesser d’analyser toute notre vie politique à cette aune et en faire l’alpha et l’oméga de nos analyses. Le sujet social est au moins tout aussi important, y compris pour comprendre les phénomènes de discrimination

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